samedi 16 juillet 2016

Nous sommes en train de perdre





Je ne lis pas les articles sur Nice. Je n’écoute pas non plus les reportages radio et télé. Autrement dit, à part les fenêtres, tout est fermé chez nous.

Je viens de ne pas lire le cahier A de La Presse papier. J’ai mis environ 35 secondes, le temps de tourner les pages. Sur 30 pages, 7 parlent de Nice et 18 de pub. C’est l’autre nouvelle : La Presse est d’abord un véhicule publicitaire et ensuite, un média d’information. Dans le cahier A son édition imprimée du samedi, La Presse imprime des publicités à hauteur de 55% et 60%.

Je m’abonne à la version papier pour me faire vendre de la pub, que je paie déjà par ailleurs, en consommant ces produits. Fais-moi mal, Johnny.

Chaque commentaire sur Nice, c’est autant de gangrène que les auteurs de l’attentat sèment dans nos têtes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en parler. Simplement doser. Et là, nous sommes dans l’hystérie de la surinformation.

Les médias ne se peuvent plus d’en remettre et se font un devoir d’injecter à petite goutte les doses d’angoisse et de peur dans les cerveaux des publics. Hier, l’émission télé 24/7, à Radio-Canada : deux heures sur Nice. Non. Les auteurs des attentats sont morts de rire.

Ce matin, La Presse décortique, dissèque, démultiplie au ralenti l’événement de Nice. Elle passe et repasse en gros plan tout ce qui peut faire durer encore l’émotion, si chère à la consommation de l’information.

En première page, la question : Pourquoi? La réponse simple : pour vous faire peur, pour que vous parliez de nous. Le public visé par les attentats, c’est les médias. Et ça marche big time.

En page 3 : Nice, le jour d’après. Première ligne : Sur toutes les lèvres, les mêmes scènes. Je lis plutôt : dans tous les médias, les mêmes mots. Ailleurs : Nice, entre la douleur et la colère. Il y a un an, c’était Bruxelles, entre la douleur et la colère. Il y a deux ans : Paris, entre la douleur…

En page 9 : Les feux viennent tout juste de finir. Les gens ont encore des étincelles dans les yeux. Et dans l’âme, l’envie douce d’être heureux. Et c’est à cet instant que l’horreur fonce sur eux. La démultiplication inutile et bébête de l’émotion, c’est ça. Peser sur le même piton du drame, c’est ça. Heureusement, l’article est suivi de deux pleines pages de pub, ça détend.

En page 16, la contrition : Les médias et l’horreur. C’est le moment de justifier l’orgie de surimpression de l’événement. La vraie raison, c’est parce que ça se passe chez nous. Il y a 13 jours, 292 morts à Bagdad. Pas 84, 292. Pas un mot dans tout le cahier A de ce matin.

Vous ne lirez pas : Mohammed est au marché de Bagdad avec le petit Nour. Ils vont acheter des fruits pour le dessert préféré de maman. Et c’est à cet instant que l’horreur fonce sur eux.

En page 5, le chroniqueur Francis Vailles : Ils sont en train de gagner. C’est comme ça que la gangrène gagne du terrain. Je suggère : Nous sommes en train de perdre. Et nous l’avons bien cherché. Bientôt, nous l’aurons trouvé.





2 commentaires:

  1. Bonjour Luc, désolé de passer par là, encore une fois. Mais voilà, c'est un peu de ta faute. C'est un drôle de samedi. Et je ne lis pas La Presse. Je fais ma revue de presse sur Facebook. Entre The Guardian, Fox News, CNN, Le Courrier International, Le Monde etc.

    Ce qui est bien avec ça, c'est que tu peux lire les commentaires "en live" comme on dit en bon français. C'est comme la pub dans La Presse, 55%-60% de décérébrés, le reste juste des végétatifs. L'ordinaire en somme: mal-être, ignorance, haine, colère, stigmatisation, surémotion, le "nous autres" de Parizeau contre les "eux autres" - moi et ma clique d'Impurs-laine.

    Et tu vois Luc, quand on justifie tout ça par un "C'est normal, ce sont nos cousins", je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression que mes morts (noirs, arabes, asiatiques etc.) ne font pas parti de la famille.

    Manifestement, je ne fais pas parti de la famille. Je suis et resterai toujours le mec qui vaut moins que le cousin éloigné.

    Parce qu'en réalité Luc, c'est parce que je ne suis pas blanc. Les cousins sont blancs, ils sont européens, américains, etc. La proximité raciale. Voilà. C'est comme ça. On n'a pas besoin de le dire, contrairement aux apparences je suis assez intelligent pour le comprendre.

    Je te l'ai dit Luc c'est un drôle de samedi. Le café est corsé, un sucre au lieu de deux, et je ne me suis jamais autant senti queer.

    Merci. Pour le billet. Beaucoup. Désolé d'avoir été long. Navré, vraiment. C'est sorti comme ça.

    Ludewic

    http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709 (La Stratégie de l'émotion)

    http://50nuancesdedave.wordpress.com/2016/07/12/le-journalisme-est-foutu/ (Le journalisme est foutu)

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  2. Bonjour Luc,

    Je partage entièrement ton point de vue, ainsi que ta pratique. Lors d'événements semblables, je ferme tout et je me tiens loin des médias.

    Je suis d’accord avec toi, les grands titres cherchent à nous hameçonner. L’émotion que les médias préfèrent est selon moi la peur. La peur fait de grandes choses. La peur fait de grandes guerres.

    Le journalisme d'opinion tendancieux fait un fantastique boulot en la matière. Des opinions que l'on mélange avec des faits se répandent comme la pub dans La Presse. Martineau dit: «Tous les musulmans ne sont pas terroristes, mais tous les terroristes sont musulmans». L'opinion est maintenant scientifique pour plusieurs. Les gens en raffolent.

    J'ai lu et entendu à plusieurs reprises: « Le terrorisme, une nouvelle forme de guerre» ou encore «Le terrorisme, l'ennemi du 21e siècle». En boucle et en boucle. Tout comme toi, j'ai honte, j’ai mal.

    Le terrorisme une nouvelle forme de guerre, faites-moi rire ! Aujourd'hui en occident, lorsqu'on pense attentat, on pense au 11 septembre 2001. Puis Paris. Puis peut-être Bruxelles. Pour plusieurs, le terrorisme est né en 2001. Merci aux médias. Ce n’est pas tout, l'attaque est terroriste lorsqu'elle vient de la part d'Amin de Mohammed ou d'Omar... et la nouvelle mérite d'être tapissée mur à mur lorsque l'attaque est perpétrée sur des Occidentaux par Amin, Mohammed ou Omar.

    Or, en Europe, 5% des actes terroristes entre 2000 et 2013 sont islamistes. Les séparatistes basques en ont commis plus de 195 durant cette période. L'Espagne est le pays le plus touché par le terrorisme dans la dernière décennie. Je ne crois pas qu'il y ait eu une interdiction de regarder les matchs sur les terrasses à Bilbao pour autant! Je trouve tout simplement que la peur est démesurée et propagée de mauvaise foi par la politique et les médias. Dans un article que je lis à l'instant (où je puise les chiffres que je te donne), il est mentionné que lorsque les médias parlent de terrorisme, il s'agit de terrorisme islamiste 8 fois sur 10! C’est un grave biais.

    Le terrorisme est une très ancienne bête. Certes aujourd’hui, de nouvelles armes permettent de nouvelles sortent d’attaque. Les médias étant probablement la plus destructrice. Mis à part les nouvelles technologies de guerre, je me rappelle des croisades. Je pense à toutes les colonisations. Aux autochtones. La traite négrière. Des événements d’une d'une violence infinie, et ce sans kamikazes!
    Les attentats terroristes ne représentent qu'une minime particule  des décès dans le monde. Or les médias traitent le sujet au microscope. Daesh est vraisemblablement la pire barbarie de l’humanité selon les médias occidentaux. Je pense pourtant que les Casques bleus de l'ONU commettent plus de viol en Afrique que les kamikazes tues de victimes en un an. Je ne peux qu’en conclure que la couverture médiatique démesurée face aux attentats terroristes à comme unique but de déshumaniser un ennemi qu'on tente de fabriquer depuis une décennie, c'est-à-dire l'Arabe. 

    La peur est en train de s'installer et c'est excellent pour le commerce des armes, contrôler la masse et pour justifier une guerre et aller voler encore plus de ressources au Moyen-Orient. Les politiciens et les médias sont en train de nous foutre la chienne pour nous faire passer les prochaines dégueulasseries du pouvoir. Je me souviens des paroles de mon professeur d'Anthropologie de la mort, M.Roland Viau. Nous avions eu un cours sur la guerre et les génocides. Il nous disait : «Avant toute guerre, il y a une propagande visant à déshumaniser l’ennemi, car un ennemi, ça se fabrique». Je pense que les médias remplissent très bien ce rôle.

    Merci, Luc, pour tes billets!

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