samedi 29 novembre 2014

Mauritanie


Mauritanie, pays d’Afrique. Pendant de longues années, Mauritanie aura été deux mots dans mon esprit. Je pourrais ajouter “quelque part en”, tellement les mots ont longtemps été vagues.

Dimanche dernier, nous sommes allés au restaurant La Khaïma, un resto mauritanien sur la rue Fairmount. En ouvrant la porte, Mauritanie est devenue tente, désert, bienvenue, arabe, palissa, couscous, agneau, parfums, délices.

Je pensais la Mauritanie un pays habité par des Noirs d’Afrique, la population est plutôt de type Arabe. Je ne les savais pas francophones. Il suffisait d’y penser, l’Afrique de l’Ouest. Pas vraiment, la Mauritanie fait partie du Maghreb.

Khaïma veut dire tente traditionnelle. Elle est utilisée par les nomades de la Mauritanie et du Maroc. Dans la société Sahraouie, du Sahara, khaïma veut aussi dire famille, tribu. Plus on entre dans la Khaïma, plus Mauritanie prend une couleur nouvelle. L’Afrique du désert est très colorée.

Les mots ne changent pas. C’est nous qui changeons autour d’eux. Nous les faisons évoluer selon nos humeurs et notre curiosité. En fouillant dans mes souvenirs, je me suis rappelé autre chose de la Mauritanie. J’étais allé pour un tournage, d’Abidjan, en Côte d'Ivoire, à Dakar, au Sénégal. L’avion avait survolé la Mauritanie. Au retour, nous volions dans un Bombardier. Mauritanie veut aussi dire fierté dans le ciel.

C’était un faux souvenir. En réalité, l’avion a survolé la Guinée et le Mali. La Mauritanie est plus au nord. Les mots nous font voyager aussi loin que l’erreur. Le ciel de Mauritanie, ce sera pour une prochaine fois.

La palissa contient beaucoup de délices, de la viande de pigeon, du riz et de la pâte feuilletée. Ce plat viendrait du Maroc. Je l’imagine traverser le désert à dos de chameau, enroulé dans une khaïma. Quelque part sur le sable, elle cuit sur un feu, des nomades assis autour en famille, un peu avant le thé. La Mauritanie est certainement très belle.

Dimanche, Samia aussi était belle. Elle est entrée dans le resto, nous étions 15 à l’attendre sous la tente. Elle nous connaît tous. Chaque année depuis 22 ans, dans un camp d’hiver à St-Côme, ce groupe passe deux jours à glisser, skier, patiner, hockey. Au début, c’était beaucoup pour les enfants. À la longue, c’était aussi pour la famille élargie.

Cette année, il n’y aura pas de St-Côme. Jean-Pierre a pensé inviter le groupe pour saluer Samia. Elle est née dans une famille algérienne en France. Elle vit ici depuis deux ans. Ce soir, Mauritanie, tribu, khaïma, palissa, fête, Samia.

Les mots ne changent pas. C’est nous qui évoluons autour d’eux. Aujourd’hui, dans mon esprit, Mauritanie est la rencontre entre une tente et une femme. La tente dit à la femme tu es ici dans ton pays.





dimanche 23 novembre 2014

La parole


Dimanche dernier, 20 000 personnes ont pris la parole dans les rues de Montréal, pour empêcher la fermeture de Radio-Canada. Une fois de plus, le gouvernement du Canada, bailleur de fonds de Radio-Canada, tente de couper la parole au diffuseur public en lui imposant des coupures. Cette semaine, dans une charge remarquée à l’Assemblée annuelle de Radio-Canada, le journaliste et animateur Charles Tisseyre a évoqué le montant de 700 millions de $ de coupures depuis les années 70.

J’écoutais la sortie de Charles Tisseyre et j’imaginais la même scène à TVA: le journaliste Pierre Bruneau dénonçant les orientations financières de TVA devant son patron, Pierre-Karl Péladeau. Pierre Bruneau n’aurait même pas le temps de terminer sa phrase, il serait en lock-out.

L’assemblée annuelle de Radio-Canada est un espace unique. Une fois l’an, le public est invité à poser des questions à la haute direction du diffuseur, dans un exercice public. Il n’y a qu’à Radio-Canada où un ancien directeur de l’information, Alain Saulnier, ou un ancien journaliste, Jean-François Lépine, critiquent ouvertement la haute direction à l’émission Tout le monde en parle. Vous ne verrez jamais cela à TVA.

À Radio-Canada, la parole est plus large. Il y a une quinzaine d’années, le réalisateur Pierre Plante et moi étions à la recherche d’un diffuseur pour le financement d'un documentaire sur le jeu compulsif au Québec. La chaîne spécialisée Canal D avait refusé, invoquant des représailles possibles de l’annonceur Loto-Québec. TVA avait refusé, le réseau ne diffusant pas de documentaire. Le journaliste Jean-François Lépine nous avait ouvert les portes de Radio-Canada, le diffuseur considérait le documentaire comme faisant partie de l’information.

Elle est là, la largeur de la parole. Un diffuseur privé ne vise que la performance économique. L’information importe pour ce qu’elle rapporte. J’ai déjà vu, chez un diffuseur privé, un vice-président programmation exiger d’un producteur de couper des extraits d’un reportage. Un de ses annonceurs aurait pu mal paraître, tu coupes ou je ne diffuse pas. C’est beaucoup cela le privé. Pour protéger les revenus, on coupe la parole. Le mandat de Radio-Canada est d’informer. C’est cet espace de liberté qui est visé. Nous sommes dans une autre sphère.

Hubert Lacroix est président de CBC-Radio-Canada. Lorsque Charles Tisseyre a fait sa sortie cette semaine, Hubert Lacroix faisait partie du groupe qui n’applaudissait pas, ne souriait pas. Le président de Radio-Canada devrait pourtant être son premier défenseur.

Hubert Lacroix reproche aux manifestants pro Radio-Canada de passéisme. Il se trompe. Bobino, les Beaux dimanches, Bernard Derome et Enquête parlent de la même voix. Ce sont des voix de référence. Elles ont établi des standards de créativité, de rigueur et d’indépendance. Radio-Canada permet une parole qui n’existe pas ailleurs. C’est celle-là qui est visée par les coupures, car elle dérange.

À l’époque des premiers ministres Pierre Trudeau et Jean Chrétien, Radio-Canada était considéré comme un nid de séparatistes. Aujourd’hui, Stephen Harper cache difficilement la haine qu’il porte au diffuseur public. Il s’agit pourtant du seul diffuseur national. Il est quand même étrange que les politiciens ne s’en rendent pas compte. En fait, ils le savent très bien. C’est pour cette raison qu’ils cherchent tant à le faire taire. Que font les ministres québécois du gouvernement Harper pendant ce temps? Ils bêlent.

Faisons le jeu de mots: la parole n’a pas bonne presse au Québec par les temps qui courent. Les 16 lock-outs de Pierre-Karl Péladeau pour museler ses employés du Journal de Montréal et du Journal de Québec durant des années en sont témoins. La rage de Péladeau est privée, le fils n’est pas à la hauteur du talent de son père. La haine de Stephen Harper est publique. Il ne peut concevoir une parole inspirante, elle doit absolument être contrôlée. Comme la parole des scientifiques. Comme celle des ONG. Il faut tuer Walt Disney.

La parole est l’eau du fleuve dont la démocratie est le lit. Et le fleuve coule vers son élargissement, l’océan. Nous avons dans notre cour un des plus beaux fleuves au monde. Les projets pour donner au public accès à ses rives ne manquent pas. La métaphore vaut pour Radio-Canada. Une référence culturelle pour une société distincte. Sans Radio-Canada, la commission Charbonneau n’aurait pas eu lieu. Nous devons en prendre soin. Enquête est du même lit que Bobino. L’horizon n’est pas seulement loin, il est large.




samedi 15 novembre 2014

On dirait le sud


Vers 19h aujourd’hui mardi, heure de Paris, le robot Philae a atterri sur la comète «Tchouri», vieille de 4,5 milliards d’années. Le robot a voyagé à bord de la sonde européenne Rosetta durant 10 ans. Il a parcouru 6,5 milliards de kilomètres, pour se retrouver à environ 510 millions de kilomètres d’ici. C’est la rencontre du Big Bang et XXIème siècle, un retour à nos toutes premières origines, la formation de la Terre. Ok, qui va annoncer la nouvelle aux talibans ? C’est bien connu, les talibans raffolent mettre du plomb dans la tête de ceux qui savent.

Sur lemonde.fr, l’astrophysicien Français Francis Rocard utilisait des mots simples pour raconter en direct cette nouvelle odyssée. Vis, train d’atterrissage, senseurs scientifiques, système d’amortissement, caisse, voyage, largage, descente, 2,5 km/h, atterrissage, 3,5 km/h, on se serait cru en avion.

Le nouveau arrive par de vieux mots. Je connaissais ceux utilisés par Francis Rocard, mais rien de ce qui se passait sur Tchouri. Avec des mots connus, Francis Rocard a fait tourner dans mon esprit un film nouveau. Du moment où Philae atterrit (acométit ?) sur Tchouri, le film n’est plus de fiction, mais documentaire.

Les mots sont toujours les mêmes. Ce doit être pour cette raison que nous disons que nous n’avons rien inventé depuis 2 000 ans. Même les mots nouveaux émergent de racines plus anciennes. Le téléphone sonne : allo ! En grec, allo veut dire autre. Le nouveau, c’était le téléphone de monsieur Bell. Télé, loin, phone, voix. En son temps, le téléphone a été une comète. Celle-là, les talibans l’ont ratée, ils n’avaient pas le téléphone.

Le mot internet vient du mot anglais internetting, interconnecter les réseaux. Et Wikipédia vient du mot hawaïen wiki, vite. Wiki se dit aussi vite que vite. Paideia, mot grec, veut dire éducation. Bref, les mots se régénèrent en fonction des nouvelles réalités.

Israel Kamakawiwo’ole aussi venait des îles d’Hawaïi. Son ukulele avait l’air minuscule sur son immense corps. Une comète sur une planète, lorsqu’il chantait Somewhere over the rainbow. Une voix pour flotter sur l’eau. Les cendres d’Israel Kamakawiwo’ole ont été dispersées dans l’océan, dont les scientifiques pensent que l’eau vient de la glace des comètes qui ont heurté la Terre.

Au début, il n’y avait que du magma. À la longue, il a refroidi. Il s’est regénéré, les océans, les continents, la vie est sortie de l’eau, l’homme est descendu du singe et Philae dort sur Tchouri. Un satellite issu du magma. Il aura fallu tout ce temps pour que cette rencontre improbable ait lieu.

La matière sur laquelle nous marchons chaque jour a déjà été en fusion. Elle s’est refroidie et a durci. Elle a permis la vie. Comme les mots. Ils sont parfois en fusion, ils refroidissent aussi.

Si nous utilisons les mêmes mots pour décrire de nouvelles réalités, ce doit être parce qu’il n’y a rien de nouveau. Christophe Colomb débarque en Amérique, Neil Armstrong sur la Lune et Philae sur Tchouri. Le même geste, de plus en plus loin, avec des outils différents et les mêmes mots. Vers l’infini et plus loin encore, dirait le jouet Buzz Light Year, du film Toy Story.

Mon cerveau ne peut comprendre tout l’univers, Rosetta et le plus long rendez-vous de l’Histoire. Les mots, oui. Ils enveloppent l’univers, le nomment et racontent les histoires. Pour eux, six milliards, ce n’est qu’un chiffre. Pour mon cerveau, c’est le vertige.

Question : une comète se déplace dans l’univers à la vitesse de 66 000 km/h. Combien de kilomètres a-t-elle parcouru depuis sa naissance, il y a 4,5 milliards d’années ? Le taliban cherche les Advil.

On dirait le sud, le temps dure longtemps et la vie sûrement plus d’un million d’années, chante Nino Ferrer. Notre alphabet compte 26 lettres. Nous n’aurons pas assez de toutes nos vies pour en faire le tour.