samedi 24 décembre 2022

Égypte vue du ciel

 


Égypte.


De l’arabe kemet: terre noire, fertilisée par le Nil.


Depuis quelques siècles, on découvre les tombeaux de l’Égypte ancienne dans le désert, la terre rouge.


La vie nait de la terre noire et la mort, de la rouge.


Aucun écran ne peut contenir l’Égypte. Ni en largeur ni en profondeur.


Les pyramides, c’est plus que vous ne pouvez imaginer.


Je viens de re re re revoir « Égypte vue du ciel », de Yann Artus-Bertrand et Michael Pitiot.


L’Égypte vue à hauteur de drones. Je l’ai enregistré il y a six mois. Je ne me résous pas à l’effacer.


Le drone est la felouque du ciel.


En temps réel, la felouque passe au ralenti.


Je prends le thé avec mes parents, à bord du bateau-mouche, à Louxor.


Le haut du mât de la felouque passe, lentement, devant un hublot. Sur un fond de soleil brûlé.


À 25 kilomètres de Guizeh, Saqqara abrite les pyramides à étages. Ce sont les plus anciennes.


Sur le sable, un homme polit à la main un énorme bloc de pierre.


Ce geste reproduit la perfection depuis 4000 ans.


On n’a jamais laissé la technologie séparer la main de l’artisan de la pierre.


La technologie est mère de la société de consommation.


La main, celle de la tradition.


Le temps est une felouque glissant devant un hublot.


Un homme aux champs, derrière la charrue derrière le cheval.


Un commerçant d’épices dans un souk.


Un voyageur à dos d’âne.


L’Égypte est un rythme.


Même les millions de voitures roulent au ralenti dans les rues du Caire.


Cette mégalopole compte vingt-cinq millions d’habitants. Le quart de la population de l’Égypte.


La définition même de l’intensité.


Je soupçonne le texte du narrateur Pio Marmaï de s’être écrit tout seul.


Tu regardes les images, les mots émergent de la terre.


Dans une carrière, on fabrique des briques blanches.


Un homme se tient devant la plateforme d’un camion, chargée de briques.


Je compte 12 rangées.


La plateforme est à la hauteur de la tête de l’homme.


Il tient une brique dans chaque main.


L’homme détend les bras, au ralenti. Comme les cuisses d’une grenouille.


Les briques montent dans les airs.


Elles rejoignent la onzième rangée, deux mètres plus haut, et se collent parfaitement aux autres.


Ce grand petit geste est celui d’un artiste.


Comme ce monsieur, sur le chemin d’un temple, à Assouan.


La peau noire bleutée du Soudan, dans une galabeya blanche.


Il joue « À la claire fontaine » arabisée, sur une guitare faite maison. Une cuve en métal, un bout de bois et des cordes.


Je ne me suis jamais rendu au temple.


On a bâti ainsi les pyramides.


Un bloc de 70 tonnes à la fois, poli à la main.


Lancé au ralenti par deux bras, chacun se colle sur le voisin. Une feuille de papier ne passe pas entre les deux.


Un mystère est une question sans réponse.


Une phrase avec pas de point


Cinq mille ans que ça dure.


C’est comme ça que s’est bâtie l’Égypte.


Des blocs de pierre au ralenti, sur une musique de guitare faite maison.





lundi 5 décembre 2022

Madame Jones

 


Je ne me souviens pas de m’être battu avec les Anglais.


Je ne me souviens pas de m’être battu contre, non plus.


Lorsque nous allions à l’école primaire Jean-Grou, mon cousin Louis et moi passions devant le coin des anglais, sur la rue Tassé. Nous ne voulions pas les croiser, pour ne pas avoir à nous battre.


Nous ne les connaissions pas. Nous ne leur avions jamais parlé.


Je ne sais pas d’où venait cette animosité.


La mère de Louis était franco-ontarienne.


Elle appelait mon oncle « Daddy ».


Il était parfait bilingue. Ils écoutaient la radio anglo, CJAD-FM.


Mes parents n’ont jamais dit un mot contre les Anglais. Contre personne, d’ailleurs.


Papa préférait faire des affaires avec le Vanier College que le Cégep St-Laurent.


Était-ce nos frères ainés? La cour d’école? Les livres d’histoire? Bobino?


Sur la rue Dépatie, les Chapleau, Dufour, Adam et Panneton, voisinaient les Baxter, Clarence, Thompson et Pirsky.


Lorsque nous avons piqué la corde à linge de madame Baxter, ce n’était pas parce qu’elle était anglo.


C’est parce que nous en avions besoin.


Et sa cour était ouverte.


Pendant que mon frère Gilles et mon cousin Louis grimpaient dans le poteau pour la couper, je faisais le guet, caché dans la haie.


Lorsque monsieur Baxter est sorti prendre l’air, nous avons paralysé.


Il allait peut-être contempler sa Lincoln Continental 1962 bourgogne, à portières antagonistes, ou portières à ouverture inversée (merci Wiki).


Elle rivalisait de beauté la Chrysler Imperial 1961 de mon père. Blanche, intérieur en cuir rouge, fauteuil de la passagère avant pivotant. Un bande d’acier inoxydable sur la lunette arrière.


Le plus beau char de sa vie.


Lorsque monsieur Baxter est retourné à son salon, nous avons complété la mission.


Madame Jones habitait derrière chez nous, de l’autre côté de la clôture.


Elle ne manquait pas une occasion de nous dire bonjour et de nous gâter à la Halloween. Elle nous a parlé plus souvent que toutes les voisines réunies.


Nous avons piqué de la rhubarbe dans le jardin de madame Dufour, mais jamais dans celui de madame Jones.


Pas besoin de parler anglais pour comprendre l’affection.


Je n’ai jamais fait le lien entre madame Jones et nos ennemis anglos de la rue Tassé.


Les fils ne se touchent pas toujours dans la tête d’un enfant de 7 ou 8 ans.


Nous ne nous sommes jamais battus.


Nous avons juste eu peur.


C’était peut-être ça, l’idée.


Avoir peur.


Le Bonhomme 7 heures.





vendredi 4 novembre 2022

Tadoussac

 


Tadoussac garde dans sa manche une carte qui échappe à Montréal.


Le grandiose.


Le beau et le magnifique se trouvent sur le chemin. C’est le fleuve, au détour d’une courbe, une falaise. La Malbaie.


Le grandiose, c’est une coche au-dessus.


Ce n’est ni l’orchestre, ni la salle, ni les choeurs.


C’est la musique de l’orchestre, dans la salle avec les choeurs.


L’immatériel.


Du genre à te faire lever la nuit pour écrire.


Sur le parterre de l’hôtel Tadoussac, la baie, le fleuve et le fjord remplissent l’écran.


Québec, c’est tout droit. Saguenay, tournez à droite.


Lorsqu’il vente à Tadoussac, attachez vos cornes avec de la broche.


Je m’adresse aux boeufs.


Tout ce qui se tient debout s’oppose au vent. Il bouscule, plaque, patine et recommence.


Le grandiose se passe au-delà du prix de la chambre et du goût des oeufs.


Un nuage de brume tellement énorme qu’il fait la pluie et le beau temps avec le jour et la nuit.


Cette émotion-là.


Tu ne te contentes pas d’écrire une carte postale.


Le vent l’apporte à la poste.


C’est Tadoussac.


Je comprends que les Français et les Premières Nations aient choisi cet endroit pour signer la naissance du pays.


La plus grande rencontre de notre histoire a eu lieu à Baie Sainte-Catherine, à une lieue d’ici.


Des hommes impressionnés, en forêt, à l’abri du vent.


Et j’ai signé, le 27 mai 1603, à la Pointe Saint-Mathieu. Samuel de Champlain.


C’était un mardi.





dimanche 30 octobre 2022

Il vente

 


Le vent comme une leçon d’humilité.


Les boeufs n’ont pas de cornes à Tadoussac.


Sur le parterre de l’hôtel, cinq chaises en bois se renversent à l’unisson.


Le vent joue aux quilles.


Une est tombée en sens contraire.


Ma première leçon d’humilité naturelle, je l’ai vécue dans le désert du Sinaï.


De l’autre côté du canal de Suez, à Ismaïlia, en Égypte.


De l’un côté, c’est l’Afrique.


De l’autre, l’Asie.


Un sentiment de désert, dans un océan de sable et de soleil.


Comme l’aviateur du Petit prince, à mille milles de toute terre habitée.


Une panne de moteur et ta vie change.


Ma deuxième leçon, c’est le tonnerre de la mousson, à Bamako, au Mali.


Moi qui pensais que le tonnerre de mon enfance était effrayant.


Il n’y a pas de mots pour décrire ce fracas.


Le son reste dans les os.


La baie de Tadoussac est tellement vaste, elle n’entre pas dans l’écran.


Le vent pousse un nuage de brume, direction la Gaspésie.


Le nuage est plus gros que la baie.


Il fait noir. On ne voit plus rien.


Les excursions en bateau sont annulées.


Aucun moustique en vue.


Le nuage est suivi par des éclaircies.


La nuit a duré deux minutes.


On ne voit pas ça à Montréal.


Poussée par le vent, la porte de l’hôtel laisse les feuilles mortes s’engouffrer dans l’entrée.


Les édifices craquent.


De l’autre côté de la rue, la chapelle des Indiens, 1750, ne bronche pas.


Je n’ai pas vu de boeufs à Tadoussac.


Ils sont partis avec le vent.




samedi 29 octobre 2022

Il brume

 


Il brume à Tadoussac.


La brume est le terreau de l’imaginaire.


Sur le parterre de l’hôtel, 20 chaises blanches en bois et 20 pots à fleurs regardent la baie.


Elles voient de la brume.


Celle-ci crée un effet de lumière sur le bois blanc.


En rangée de cinq, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot.


Une rangée pour gauchers aurait été un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise, un pot, une chaise.


L’étymologie du mot « gaucher » est « là où tu places le pot ».


Les pots à fleurs contiennent du sable, pour les mégots.


Au fond du pot, un morceau de moustiquaire permet l’évacuation de l’eau, tout en retenant le sable.


Le monsieur qui me dit ça travaille ici depuis 51 ans.


Sa collègue gratte la surface du sable pour enlever les mégots.


Et voilà la deuxième rangée.


Une chaise, un pot, une ch.


Les chaises n’ont pas besoin de passagers pour profiter de la vue.


Par définition, elles sont assises, au repos.


Il suffit de les placer dans la bonne direction.


Les chambres avec vue sur la baie coûtent 20 $ de plus que celles donnant sur le bois.


Aujourd’hui, elles ont vue sur la brume.


La démocratie se trouve même dans les nuages.


La brume a le même réflexe que l’horizon.


Plus on avance vers elle, plus elle recule.


On ne voit pas où on va ni d’où on vient, mais on sait où on est.


Un groupe de 25 touristes part en excursion aux baleines.


Voir la brume reculer.


Une sirène de bateau est un son sans bateau.


Le vent vient de renverser cinq chaises à l’unisson. Elles regardent le gazon.


Dans quelques jours, l’hôtel ferme pour l’hiver.


Je suis venu ici pour marcher et respirer.


Ne rien faire.


Je suis comblé.


Je n’ai rien vu.





lundi 5 septembre 2022

La vraie photo

  

Cristina Fernández de Kirchner est l’ancienne présidente de l’Argentine.

 

On l’appelle Cristina Fernández, dans les pays hispanophones.

 

Ou parfois Cristina Kirchner.

 

Christina Kirchner est née Cristina Elisabet Fernández (merci Wiki).

 

Je me croirais dans un récit de Gabriel García Márquez.

 

Bref, Christina Kirchner prend un bain de foule.

 

Un homme s’approche d’elle, lui pointe un pistolet au visage.

 

Clic!

 

Le pistolet est chargé de cinq balles. Le coup n’est pas parti.

 

Le clip fait le tour du monde, dit-on.

 

L’as-tu vu?

 

Je n’ai pas besoin de le voir. Vous me l’avez conté, je l’ai vu.

 

En fait, je l’ai vu, mais la vraie photo.

 

Un vendredi après-midi, mon ami Jacques et moi sommes dans un appartement, chez les parents d’un copain.

 

Jacques et moi sommes amis depuis 12 ans, à l’époque.

 

Avec l’autre, nous avons en commun d’aller à la même école. En fait, je ne sais pas ce que nous faisons là.

 

À 17 ans, il arrive souvent que nous ne sachions pas.

 

L’après-midi passe. Le copain sort un revolver. Un geste, comme ça, qui donne un air cool.

 

À cette époque, en secondaire 4, nous allions jouer de la guitare chez Louis Morin. Louis jouait avec une Fender Jazzmaster.

 

Il jouait à des années lumière devant nous. Nous étions là uniquement pour le regarder durant deux heures.

 

Louis venait en transe et nous capotions. Une drogue douce, à l’occasion, pendant deux ans.

 

C’était l’époque des premières blondes. Des premières drafts à 25 sous, à la taverne.

 

Le copain me pointe le revolver au visage.

 

La même photo que celle de la dame, mais avec ma face.

 

Clic! Clic!

 

Il y a deux balles dans le barillet.

 

Chanceux.

 

Un pistolet loge les balles dans le manche. Un revolver, dans un barillet. Comme au Far West.

 

Une fois la balle dans la tête, on ne fait pas la différence.

 

J’ai eu le goût de sauter sur le gars. Comme il boxait, j’ai préféré m’en aller.

 

Je vous montre la vraie photo.

 

Un canon de pistolet.

 

Énorme, tellement il est proche de votre visage.

 

Il y a un trou noir au centre.

 

C’est la photo des survivants.

 

 

 

dimanche 21 août 2022

Silence

 


Vendredi, je rentre à Montréal par l’autobus de 17 h 30.


Trois-Rivières-Montréal, en deux heures.


Je m’assois dans les premières rangées, près de la fenêtre.


Le format des fauteuils est conçu en fonction d’une surface habitable et d’un gabarit.


La taille moyenne des gens.


Notre société privilégie le moyen. Il se gère.


La couette qui dépasse échappe au gestionnaire.


À six pieds un, je suis à l’étroit dans mon fauteuil. L’appuie-tête accommode mon cou.


Une jeune femme s’assoit à ma gauche.


Ses ongles sont naturels.


La femme est belle sans maquillage.


Le ronron de l’autobus incite à la somnolence.


Somnoler, comme un moteur au neutre.


Le corps de ma voisine oscille. Sa tête cherche un ancrage.


L’oreiller.


Elle s’appuie sur mon épaule.


La tête se redresse, comme pour s’excuser.


Elle revient lentement. Accoste. Repart.


Plus elle revient, plus elle prolonge son séjour.


Proposer mon épaule à la tête chasserait le naturel.


Rouler la nuit est ma chanson préférée de Beau Dommage. La ligne blanche te mène par le bout du nez, chantent les voix.


Une tête sur une épaule est un signe de confiance.


Je suis à bon port, dit la tête.


Le dernier séjour dure environ 10 minutes.


La jeune femme se réveille. Nous voilà à Repentigny.


Elle descend de l’autobus.


Il n’est pas nécessaire de parler pour échanger.


Le silence fait très bien l’affaire.




lundi 15 août 2022

Le nouveau patron

 


Aujourd’hui, notre nouveau patron a distribué des promotions à tous les membres de la famille.


Stéphanie est devenue maman.


Firass est devenu papa.


Louis Karim, oncle.


Camille, tante.


Micheline, grand-maman.


Moi, grand-papa.


Pas de hausse de salaire à la clé, mais des années de bénévolat heureux.


Le nouveau patron s’appelle Milan.


8 livres, 5 onces.


Une bouille d’enfer.






dimanche 17 juillet 2022

Souvenir de Trois-Rivières

 


Je suis arrivé à Trois-Rivières sans souvenir.


Trois-Rivières, c’est le lieu des rencontres avec mes cousins cousines Alarie.


Le premier, il y a 60 ans, sur la rue Normand. Quatre adultes et quatorze enfants.


Je me souviens du spaghetti bolognaise de mon oncle Émilien et des biscuits de ma tante Madeleine.


Cela crée des souvenirs de famille, pas de ville.


Durant cinq semaines, cet été, rue Champflour, j’ai eu comme voisine l’arrière-cour de l’hôpital St-Joseph.


Un édifice comme un autre pour moi, parce que sans souvenir.


Si ça se trouve, la famille Alarie est née ici.


La rue Champflour est la rue de la gare, dit mon cousin Jean-Marc. Son père, mon oncle Émilien, y a travaillé longtemps.


Papa l’appelait Tino, à cause de sa chevelure à la Tino Rossi.


Je suis née à l’hôpital St-Joseph, dit mon amie Marie.


Un souvenir, c’est une émotion sur une image.


N’avoir aucun souvenir d’un lieu permet d’observer des choses anodines.


Une rivière, au lieu de trois.

Des maisons collées au trottoir.

Un cimetière aux pierres délavées.

Une femme, là où il y a un homme.


Le souvenir que je rapporte de Trois-Rivières, c’est la tranquillité.


La même tranquillité que celle de mon enfance, les années 60.


C’était tranquille à St-Laurent.


Peu d’avions. Peu de circulation. Pas de métro. Très peu de télé.


La radio des Joyeux troubadours, à Radio-Canada, le midi, en rentrant de l’école. « Entrez,voyons! », chantait la radio.


Pas d’autoroute Décarie, ni 440, ni 640, ni 15 ou 117. Que la route 11.


À 600 milles à l’heure sur la route 11, chante la chanson.


Le défaut de la tranquillité, c’est qu’on l’apprécie une fois qu’elle n’est plus là.


Je rentre à Montréal par l’autobus de 17 h 30.


Je marche sur la bruyante rue Berri.


Je prends le bruyant métro, jusqu’à Côte-Vertu.


Traverse la bruyante rue Décarie.


Arrive chez moi, m’assois dans la cour.


Un bruyant avion passe, direction Dorval.


La tranquillité est une entente tacite.


Elle ne s’emporte pas dans une valise.


Il est 4 h 15.


La porte patio ouverte laisse entrer l’air frais.


J’écoute L’heure du monde, animée par Louis Blouin, à la radio de Radio-Canada.


J’éteins la radio.


Et chantent les oiseaux.