L’objectif premier de l’abolition de
1000 à 1500 postes à la Société Radio-Canada (SRC) est de couper la parole.
En tant qu’actionnaire unique de la
SRC, le rôle du gouvernement fédéral est de mettre ses culottes, de prendre le
micro, et d’annoncer une nouvelle vision stratégique pour son diffuseur public,
tout en justifiant une coupure de 25% des effectifs sur 5 ans.
Rien de cela. L’actionnaire
principal fait faire l’annonce par le président de la SRC, et non par la ministre
responsable de la société d’état. Comme cela, le gros méchant n’est pas celui
qu’il y paraît. Du grand Harper, ce premier ministre élu par le Canada anglais.
De dire que la SRC va se tourner
davantage vers le numérique n’a rien d’excitant ni de très nouveau. Il s’agit
davantage d’une conséquence directe des coupures que d’une vision.
Vous remarquerez d’ailleurs que
Harper donne rarement la parole à qui que ce soit. Sa spécialité est de couper,
pas de donner. Le catimini fait moins de bruit.
Harper coupe les entretiens avec les
journalistes.
Harper coupe la parole aux scientifiques
du gouvernement fédéral.
Harper empêche les ministres de
s’adresser à la population.
Harper musèle les fonctionnaires.
Harper coupe la parole à Radio-Canada.
Cela s’appelle du mépris.
Mépris des institutions
canadiennes ;
Mépris du Parlement ;
Mépris du Sénat ;
Mépris de la Cour suprême ;
Mépris des journalistes ;
Mépris des questions
environnementales ;
Mépris des organismes
internationaux ;
Mépris de la diplomatie ;
Mépris de Statistiques Canada ;
Mépris du discours scientifique ;
Mépris de la Loi à l’accès à
l’information ;
Mépris d’Élections Canada ;
Mépris envers tout ce qui a trait à une
circulation libre de l’information (*).
La liste est longue mais le projet,
unique : couper tout ce qui peut ressembler à un paysage libéral, tout ce qui ouvre et qui alimente l’esprit. Il y a bien sûr
un long héritage du parti Libéral du Canada, même si l’ex-premier ministre
Pierre Trudeau aimait bien manger du
séparatiste contre Radio-Canada. Il y a aussi et beaucoup le parti
Progressiste-conservateur de Brian Mulroney.
A Radio-Canada, la parole porte un nom.
Au premier chef, le journaliste Michel Desautels, une sommité en matière
d’intelligence de l’information. Il y a aussi les Michel C. Auger, Anne-Marie
Dussault, Patrice Roy, Céline Galipeau, Jacques Beauchamp, René Homier-Roy,
Joël Le Bigot, Gérald Filion, Alain Crevier, Pierre Craig, Serge Bouchard,
Charles Tisseyre, Monique Giroux, Raymond St-Pierre, Maxence Bilodeau, Michel
Coulombe, Yanick Villedieu, Simon Durivage, Edgar Fruitier, Pascale Nadeau, la liste est immense.
La parole à Radio-Canada est aussi une
longue tradition: Pierre Nadeau, Jacques Languirand, Michèle Viroly, Guy Sanche,
Pierre Thériault, Luc Durand, Marc Favreau, Michel Cailloux, Fernand Seguin,
Judith Jasmin, Madeleine Poulain, Jacques Normand, René Lecavalier, Roger
Baulu, Bernard Derome, Lise Payette, Jacques Fauteux, Raymond Charette, Henri
Bergeron, Jean-Louis Millette, Christiane Charette, Andréanne Lafond, Guy Maufette,
Juliette Huot, René Lévesque, James Bamber, Kim Yaroshevskaya, Richard Garneau, Jean Besré, Lise
Lasalle, Louis de Santis, Yves Létourneau, Claude-Henri Grignon, Marcel
Sabourin, Denise Morelle, Yvan Canuel, Michel Tremblay, Marcel Dubé.
Ce sont tous ces noms de la parole qu’il
faut opposer à l’idéologie Harper. Et autour d’eux, tous les collègues des
équipes techniques, qui ont fait de Radio-Canada ce qu’elle est aujourd’hui, une
grande partie de ce que nous sommes. J’ai grandi avec Radio-Canada. Mon univers
d’enfant a été alimenté par la créativité de Radio-Canada.
Il ne s’agit pas d’un conflit de fédéralistes
contre indépendantistes, comme dans la paranoïa de Trudeau. Il s’agit d’un
conflit opposant la parole au silence, la démocratie au mensonge, l’intelligence
à la mesquinerie, l’inspiration à la petitesse. Ceux et celles pour qui la
parole constitue une ouverture, contre ceux et celles pour qui elle est une
menace.
Radio-Canada n’est pas une boîte à
souvenirs ou à nostalgies. C’est ce que nous savons faire de mieux en matière
de création, d’information et de variétés publiques. Cette créativité se
renouvelle à chaque décennie, sur une multitude de plateformes.
Radio-Canada, ce sont aussi des doléances et
des critiques bien méritées. Mais l’avenir de Radio-Canada passe par la parole,
sur la place publique. C’est la parole qui nous a fait devenir qui nous sommes,
pas le silence.
Si descendre dans la rue est trop
fatiguant, écrivons et parlons. Ce sont nos meilleures armes contre celui qui
veut nous réduire au silence. stephen.harper@parl.gc.ca
. La parole est à nous.
(*) Voir, entre autres, Trouble
in Toryland: their Dirty Tricks catalogue, Laurence Martin, iPolitics ; Science et pouvoir : le baillon,
émission Découverte, 20 avril 2014, Radio-Canada. Sur ledevoir.com : La fuite en avant, l'éditorial de Bernard Descôteaux; Après les journalistes, au tour de l'opposition de dénoncer
le contrôle de l'information sous Harper, Guillaume Bourgault-Côté ; Ingérence systématique au bureau de Paradis,
Alec Castonguay ; L'information sous
Stephen Harper - De la transparence à la propagande, collectif d’auteurs ;
La communication sous Stephen Harper: un
recul pour le débat public, Anne-Marie Gingras ; consultez aussi le
blogue de Manon Cornelier.