dimanche 28 juillet 2019

Histoire de pêche



Le regard met un kilomètre à traverser le lac.

Il arrête sur un mur d’arbres, on ne passe pas.

Ce que les arbres ne disent pas, c’est que plus loin derrière, tout est rasé.

Une image en cache toujours une autre.

Comme les arbres regardent toujours vers l’avant, ils s’intéressent au lac.

Huard décolle. Jean-Pierre dit il va faire trois fois le tour.

Il va porter des truites aux bébés huards.

Ses pattes trainent sur l’eau comme une roche plate rebondit à la surface.

En toile de fond, les arbres.

Huard fait le tour du lac. Il tourne dans le sens des aiguilles d’une Terre.

Il disparait à droite, hors du champ de vision, et réapparait devant nous, vers la gauche.

Un vol de truites. Des truites flyées.

Un jour, un héron s’est empiffré de truites, dit Jean-Pierre. Il a décollé et s’est posé, gros plein de truites.

J’imagine le titre du Journal de Montréal : Surréservation de truites, le héron prend le bois.

Le bruit des ailes rappelle le son sourd d’une éolienne.

Huard amorce un deuxième cercle. Il descend légèrement.

Les arbres expirent de l’oxygène, go huard go.

Ce huard tire sa puissance de la fascination.

Les chevaux de Cavalia traversent la scène au galop.

Huard disparait à droite. Les arbres retiennent leur CO2.

Il réapparait vers la gauche, il a inversé sa direction.

Une truite n’y retrouverait pas ses petits.

Huard repasse devant les arbres, mais de droite à gauche.

Les arbres pompent l’air.

Il repasse devant nous, suivi par son bruit éolien.

Il disparait vers la droite pour son troisième tour.

Il vole plus haut que les arbres, suit sa courbe, rerepasse devant nous et sort derrière, vers l’ouest.

Le lac est calme.

Une rumeur court chez les truites.

Il revient demain.





mardi 23 juillet 2019

Écrire


Écrire exige de la discipline et de la rigueur.

La discipline respecte les délais.

La rigueur indique la hauteur du niveau.

On vous donne un délai pour rédiger un texte. Vous vous assurez de franchir les étapes, rédaction, imprévus, approbations et production.

Vous allez choisir les mots, juger de leur pertinence en fonction du public, défendre votre texte, avoir l’humilité de vous tromper.

C’est la concision, l’absence de répétitions, le style, toutes ces qualités qui font d’un texte un bon texte.

Cela s’appelle le professionnalisme.

Écrire un texte est simple. Écrire un bon texte est un défi. Tout dépend des mots que vous y mettez, un peu de talent et beaucoup de travail.

Vous aurez souvent l’impression de produire de la saucisse. À de rares occasions, vous serez fière de vous.

Le mot clé est recommencer.

Avec le temps, vous verrez votre style s’améliorer.
Vous reconnaîtrez votre façon d’écrire.
Vos textes vont vous ressembler.

C’est l’identité.




vendredi 19 juillet 2019

Pour quelques octets


Les Mohawks sont des gens sales.

Ce n’est pas ce que le maire d’Oka dit, mais c’est ce que j’entends.

Pascal Quevillon dit que céder plus de terrains aux Mohawks d’Oka, veut dire plus de cabanes à cigarettes, plus de comptoirs de cannabis, et des cours d’eau remblayés par on ne sait même pas quoi. Tout du sale.

Pascal Quevillon dit informer, il est de la propagande.

Et le maire en rajoute.

Et le chef Mohawk Serge Otsi Simon n’en rajoute pas. Il parle de réconciliation.

Un promoteur Blanc veut redonner aux Mohawks des terres qui leur ont été volées. Pascal Quevillon déterre la hache de guerre.

Et les médias en rajoutent. Par leur présence, ils créent l’événement. Une Crise d’Oka 2.

Et les gens en rajoutent.

Et cetera.

L’information colporte l’ignorance. Un homme en colère ne règle rien.

Nous nous comportons comme des cancres.

Depuis trente ans, le maire d’Oka n’a pas ouvert un seul livre.

Il répète les mêmes bêtises que l’autre maire d’Oka, trente ans avant lui. Ce ne sont pourtant pas les livres, les articles et les films qui manquent.

À croire que le fauteuil de la mairie d’Oka est moulé pour des cruches.

Si le maire lisait, s’il écoutait, il s’assoirait avec le chef Simon.

Il dirait aux caméras de rentrer chez elles.

Au lieu de prendre ses distances, il les donnerait pour se rapprocher.

Il baisserait le ton et deviendrait un chef.

Le litige porte sur la distance, pas sur les terrains.

Si vous ne croisez jamais de membres des Premières Nations, c’est parce que c’est voulu.

C’est ce que le chef Simon m’a expliqué. Il lui a fallu une phrase dans un film. La distance est voulue et maintenue par le politique.

L’inconnu a la tête de tous les fantasmes.

Une phrase. Quelques octets dans un cerveau.

Un cerveau de maire devrait être en mesure de les absorber.

Encore faut-il qu’il soit ouvert.





vendredi 5 juillet 2019

Cent ans


Je viens de passer deux semaines près de communautés juives.

Le juif errant est arrivé, un reportage du journaliste français Albert Londres.

En 1928, huit mois dans des communautés juives d’Europe de l’est et de Palestine. Un documentaire écrit.

Il y a les juifs au dos voûté et ceux au corps droit.

Il y a ceux habillés en noir, barbe et papillotes. Il y a ceux rasés et celles aux seins à l’air. On y va de la misère aux bonheurs.

Albert Londres les a observés, écoutés, il leur donne la parole.

Ça fait changement, nous sommes habitués de les juger.

Une ballade en taxi avec un homme en noir, une femme dormant dans un ruisseau d’égout, un rabbin hésitant à propos de la Palestine.

Ça sent le tissu, la merde et le malaise.

Ça sent l’espoir aussi.

Quatre-vingt-dix pages. Un voyage.

J’ai toujours entendu parler de communautés juives et pourtant, je ne les connais pas.

Un quartier de Saint-Laurent, autrefois surnommé Jérusalem.

Les juifs d’Outremont, ignorants des gens et du pays.

Des collègues publicitaires juifs, les plus hilarants que j’aie rencontrés.

Il y a Leonard Cohen, les guerres, les paix, la Shoah, Einstein, Israël, Spielberg et ainsi de suite.

L’histoire n’a jamais été tendre avec eux.

Ce sont mes voisins.

Dans certaines pages, on dirait que quelques jours nous séparent de 1928.

J’ai vu des juifs dans un marché aujourd’hui. J’ai eu le sentiment de les connaître mieux.

J’aimerais lire un documentaire de cent pages de Marie-Ève Bédard, journaliste à Radio-Canada, sur le Moyen-Orient et l’Asie.

Cent pages de Raymond St-Pierre, sur la Chine et la Russie.

Cent pages de Denis Lessard, sur le pouvoir à Québec.

S’informer sur un écran de la taille d’une souris, c’est regarder un long métrage par le trou de la serrure.

Le format original du récit, c’est le temps.

Cent pages, ce n’est rien et ça dure cent ans.

Le papier est l’avenir de l’information.