samedi 29 juin 2013

Ports d'attache


Ce pourrait être une lettre d’amour adressée à Heidi Hollinger. C’est Ports d’attache, à TV5, la plus magnifique émission portant sur des villes vivant sur le bord de l’eau. Ce ne sont pas tant les ports ou les villes, que la façon de les aborder.

Le métier d’Heidi Hollinger est photographe. Elle n’est ni animatrice de télé ni journaliste et pourtant, elle a cette façon de nous présenter les villes en entrant par la fenêtre.

Tout me séduit dans cette émission. Son animatrice, son accent, sa façon de casser les phrases, les questions ouvertes, la réalisation intelligente, l’infographie en blanc et turquoise, les textes, la nuit, les invités. Côté musique, Michel Corriveau a été particulièrement inspiré en composant un thème qui décolle. Tous ces ingrédients donnent à l’émission un style, on croirait écouter Penny Lane.

Le métier d’Heidi Hollinger, c’est la curiosité et l’écoute. À ce jeu, un kodak ou un micro, c’est pareil. Elle a le don de laisser la place à ses invités, architectes, journalistes, professeurs, guides, ingénieurs, historiens, restaurateurs et ainsi de suite. Chacun donne une couleur à sa ville, selon sa vision des lettres, des gens et des chiffres. J’ai envie de prendre une bière ou quatre avec ces invités. Ce sont les gens qui font les villes, ceux-là en parlent comme d’une amie.

Autour de la production, il semble y avoir une aura. Quelque chose d’immatériel, une ouverture par laquelle l’équipe garde une place au hasard et à l’imprévu. Exactement comme les mots. Il y a les mots et ce qu’il y a autour. Autour, c’est le charme. Heidi Hollinger n’est pas seule, cette émission est une chimie du talent.

Ports d’attache adopte un parti pris en ce qui a trait à l’identité de chacune des villes. Qui êtes-vous? Grande question, nous allons suggérer notre réponse. Changez les invités et les couleurs du portrait ne seront plus les mêmes. C’est l’oeil de la photographe.



vendredi 21 juin 2013

Domingo



Jason Kenney
Ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme
Gouvernement du Canada


Monsieur,

Ce soir, je suis allé dire au revoir à mon ami Domingo. Dimanche, lui, sa femme et leurs deux enfants, seront explusés du Canada en direction du Mexique. Les gens de votre ministère ont décrété qu’ils ne répondaient pas aux critères du statut de réfugiés, qu’ils ont demandé à leur arrivée.

Domingo et sa famille sont arrivés à Montréal, il y a six ans et demi. Trois semaines après leur arrivée, les parents avaient trouvé du travail. Depuis, ils sont des citoyens à part entière. Ils paient des taxes et des impôts, en plus de leur loyer, des études des enfants et de la vie courante.

J’ai rencontré Domingo dans des cours de français langue seconde, au Cegep Maisonneuve. Vingt cours de trois heures chacun, étalés sur six mois, le samedi après-midi. Domingo n’en a raté aucun. Un homme sympathique, charismatique, un baromètre de la bonne humeur. Il était le centre d’attraction du cours, souvent au coeur des débats, qu’il baragouinait dans un français de plus en plus précis.

Je lui ai raconté la Révolution tranquille, la nationalisation de l’électricité, la création du ministère de l’Éducation, les régions du Québec, Félix Leclerc, Raymond Lévesque, Mes aïeux, Richard Desjardins, Claude Léveillée, Norman McLaren, les systèmes parlementaires canadien et québécois, alouette. Je ne les nommerai pas tous, vous les connaissez sûrement. Lorsque Domingo a terminé le cours, son français avait pris un sens culturel et historique.

Il y a deux façons de juger les hommes, sur papier et dans la vie. Les gens de votre ministère sont des champions du papier.

Cet après-midi, avant que Domingo ne quitte l’usine où il travaillait, les collègues ont servi un grand gâteau. Alors qu’il s’attendait à une ambiance de fête, les collègues pleuraient, la bouche pleine de crémage. Et je ne vous parle pas des lettres de références de ses employeurs, aux bons soins des gens de votre ministère. Un patron qui parle ainsi d’un employé veut faire comprendre au fonctionnaire que, derrière le papier, se cache un homme de valeur. Dois-je le dire? Domingo est un gars aimé. La qualité des hommes se mesure aussi à la peine de leur entourage.

Ce soir, l’entourage venait de partout, du Mexique, de la Colombie, de Cuba, du Vénézuela, de Côte d’Ivoire, d’Haïti. Domingo était souriant, dans sa chemise fraîchement repassée, les cheveux coupés et ses souliers vernis comme des miroirs. Il blaguait avec les uns et les autres, se laissait prendre en photo. Je lui ai écrit un mot sur une photo de nous deux. Domingo, lorsque tu reviendras chez nous, tu seras chez toi.

Lorsque Domingo et les siens quitteront dimanche matin, il n’y aura plus un meuble dans leur appartement. Vous n’en aurez pas besoin, vous pourrez manger par terre, tellement ils ont laissé l’endroit propre.



samedi 15 juin 2013

L'âgisme



Si nos copains de l'agence Sid Lee pensaient faire un bon coup en se vantant de ne pas compter dans leurs rangs des directeurs artistiques de plus de 40 ans, ils se sont plantés.

J’ai souvent entendu parler de cette sortie médiatique, cette semaine encore. L’idée est simple : au-delà de 40 ans, un concepteur est bon pour la retraite. Sid Lee ne l’a pas inventée, l’anecdote se promène dans les corridors d’agences depuis plusieurs décennies. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’un salaire de concepteur senior vaut celui de trois juniors.

Comme Sid Lee est la première agence à se vanter d’âgisme, elle a fait monter contre elle une vague de mépris de la part de collègues. Pour la première fois, j'entends une agence se faire traiter d'imbécile.

L'âgisme, c'est le racisme de l'âge. Et le racisme est un cocktail de préjugés et d’ignorance, canalisé par la haine. Il n’y a pas de haine dans les propos de Sid Lee, simplement une attitude fantasque. Et le fantasque, c’est ce que les annonceurs audacieux recherchent chez les publicitaires.

Un trop vieux, c'est quelqu'un qui brasse des idées anciennes, dépassées. La caractéristique du vieux, c’est de l’être au regard des autres. Je connais des gens plus jeunes que moi qui sont plus vieux que moi. Et la femme qui m'a le plus étonné dans ma vie me parlait avec toute l'intelligence de ses 85 ans. On peut être jeune vieux, et vieux jeune. Bien sûr, une personne de 80 ans ne fera pas de la conception pub, nous ne lui en demanderons pas tant.

Le milieu publicitaire est très superficiel. Son mandat est de créer de fausses images sur de vrais produits. Rien pour écrire à sa mère, seulement au public.

Je ne regrette pas une seule seconde de mes années passées en agence, même si j'en suis sorti avec un congé forcé de six mois. En fait, l'agence ma crissé dehors parce que j'avais un billet de repos du médecin. Les Normes du travail ont ensuite rappelé ces sauvages à l'ordre pour congédiement illégal. Parce que, à ses heures, le milieu publicitaire peut être assez sauvage.

S'il est gratifiant pour un concepteur de travailler des jours et des nuits pour trouver une fausse image à un vrai produit, si les vacances ressemblent davantage à une convalescence qu’à des vacances, les agences remplissent leurs comptes de banque avec le gingin des concepteurs et les heures supplémentaires non payées. L’adrénaline de l’un apporte du blé à l’autre.

En agence, j’ai cotoyé du talent, de l'intelligence et du génie. J'ai connu la prétention, la couardise et les oeillères. J'ai vu jusqu'où on peut aller dans la petitesse, uniquement pour s'accoler la paternité d'une idée. J'ai appris qu’un bon créatif est un savant mélange de stratégie et de discipline.

J'ai aussi confirmé que la pub est la plus fantastique école de communication. Et pourtant, je ne m'ennuie plus une seconde de la pub en agence et, aujourd’hui, je n'envie personne qui se tape toute cette pression. C'est ce qui s'appelle la maturité. Je suis un has been de la pub et c'est très bien. Ce n'est certainement pas un ti-cul de 40 ans qui me fera la leçon.



dimanche 2 juin 2013

La révolution des écrans


Je n’ai pas de iPad. Je n’ai donc pas accès à La Presse+, la nouvelle version numérique, dynamique, dithyrambique de La Presse, version papier. On en dit beaucoup de bien. Tellement, il s’agit d’un nouveau média, rien de moins. Depuis son lancement, La Presse+ a sur moi l’effet du chant des sirènes. À la différence d’Ulysse, dans L’Odyssée, je n’ai pas besoin de m’attacher à un mât pour résister. Le dilemme est ailleurs.

J’imagine que La Presse version papier me propose d’acheter pour 600 $ de papier journal vierge. Sur ce papier, dirait l’offre, nous allons t’imprimer gratuitement les nouvelles, chaque jour. C’est un peu ça, je paie 600 $ pour un iPad et je reçois gratuitement La Presse+ chaque jour. Normal, pour écouter le hockey, il faut bien acheter un écran. Mais, acheter un iPad uniquement pour La Presse+, c’est quand même gros.

Je n’ai pas de iPad parce que la fonction première de cette tablette est la lecture. J’ai compris cela au lancement iPad par Steve Jobs, le fondateur d’Apple. Il disait chercher à signer des ententes avec des éditeurs de livres scolaires. Il est là, le génie du iPad. Comme j’écris davantage que je ne lis sur un écran, je préfère l’ordi de table ou même, le iPhone, pour prendre des notes. Et comme je n’aime pas passer du temps devant un écran, je me passe aisément de celui du iPad, fût-il Retina.

La première révolution de La Presse+, c’est de rendre le numérique tellement sexy qu’il relègue le papier à l’ère du jurassique. C’est un feu roulant de télé interactive. La seconde révolution, c’est de faire assumer toutes les dépenses par les annonceurs. L’utilisateur ne paie pas un sou. C’est une façon de parler. En dehors des impôts qui vont payer les déductions fiscales favorisant le développement et la recherche, les coûts de publicité seront redistribués dans le coût de l’ensemble des produits des annonceurs. Le coût de l’information est donc entièrement dilué, nous payons par la bande. Encore un peu, La Presse+ pourrait damer le pion aux quotidiens Métro et 24h, distribués gratuitement dans le métro. L’avantage, vous ne verrez jamais un exemplaire de La Presse+ souiller le métro.

L’écran siphonne toute l’énergie du lecteur. Avec lui, il n’y a pas de place à l’imagination, uniquement à l’attention. Et aujourd’hui, force est de constater que les écrans sont partout. Tu peux faire le tour de la Gaspésie la face dans un écran. Plus il y a d’écrans, plus l’attention est requise, moins l’imagination n’a de place.

C’est une histoire de vases communicants. Plus le média est statique, plus l’imaginaire est sollicité. Devant un hiéroglyphe, un cerveau de l’époque devait posséder les clés de lecture, les codes culturels, la symbolique, les références. À la limite, le cerveau pouvait voir s’envoler le hibou ou imaginer le serpent se déplacer dans le texte. À l’opposé, un média animé comme La Presse+ donne un spectacle. Tout se passe dans l’écran. Le cerveau est ébloui, mais il travaille peu. Il se laisse remplir, comme un voyage organisé.

Comme tout nouveau média, La Presse+ va s’ajouter aux autres qui l’ont précédé. La pierre et le papier pour l’imprimé; la radio pour la tradition orale; la télé, image de la voix; l’internet, la planète; La Presse+, le mix de tous ces médias. Chaque nouveau média ajoute une couche, les anciens demeurent et s’ajustent.

En matière de médias, comme en musique, je préfère la version unplugged, non-électrique. La version unplugged de Layla, d’Éric Clapton, est certainement aussi intéressante que l’électrique, elle en est la genèse. La version unplugged du chant s’appelle a capella. La version unplugged de La Presse+, c’est l’imagination. L’écran de l’imagination, c’est l’horizon.