mardi 21 juin 2022

Une marche aux Trois-Rivières

 

Une marche aux Trois-Rivières comme un cours d’histoire.


Un homme chante tout seul au milieu de la rue.


Il ne porte pas d’écouteurs.


Une femme âgée tire un sac à emplettes brun sur roulettes.


Ses cheveux sont blancs et frisés. Assez longs pour ne pas être courts, et pas assez longs pour tomber.


À une époque, cela s’appelait un voyage de foin.


Elle porte une montre à bracelet extensible pour homme.


Je la vois régulièrement passer en sens contraire.


La plupart des maisons sont collées aux trottoirs.


Rue Sainte-Julie, cette maison est tellement proche du trottoir, que l’épaisseur du mur de façade se trouve au-dessus.


Ouvrir la porte du devant risque de défenestrer le passant.


Acheter une porte pour la condamner.


Sur le coin de cette maison, une autre porte donne sur l’extérieur, dans un angle de 45 degrés.


Les marches de pierres défaites ressemblent à des dents déchaussées.


On les escalade probablement de profil ou les fesses serrées.


Le passant ne se trouve pas au seuil d’une invitation.


Il est courant de marcher aux Trois-Rivières avec pas un chat dans la rue.


Comme si le quartier s’était passé le mot, chacun chez soi.


Laissons le marcheur visiter nos marches.


Une magnifique maison en pierres, de style français, trône à l’angle des rues Tonnancourt et Saint-François-Xavier.


La ligne de fuite de la façade est légèrement décalée de celle du trottoir.


Elles ne sont pas parallèles.


La marche de pierres en façade est plus ancienne que le trottoir.


Elle a l’air encastrée, mais c’est le contraire.


Le trottoir l’a contournée.


Pour la première fois, je vois un trottoir éviter une marche.


La marche impose son trajet au marcheur.


De l’autre côté de la rue, repose un cimetière.


Il est tellement vieux, la pluie a lessivé les mots des monuments.


Des pierres muettes comme des tombes.


Au centre du terrain, une plaque en bronze.


Ce cimetière anglican est fermé depuis 1917, écrit-elle.


Une plaque de bronze comme pierre tombale d’un cimetière.


Je vois la dame au sac brun pour la première fois de profil.


Elle est un homme. Voyage de foin et bracelet extensible.


Trois-Rivières.


Prendre une marche pour les raconter.







samedi 4 juin 2022

Trois-Rivières

 


Trois-Rivières est née d’un malentendu.


Certains disent d’une illusion.


À la hauteur de trois iles, on a compté une, deux, trois rivières.


La rivière n’est pas bête. Dès qu’elle sent une ile, elle la contourne.


C’est la Saint-Maurice, au confluent du fleuve Saint-Laurent.


Celui qui a trouvé le nom Trois-Rivières était un comique, un fin finaud.


Trois-Rivières est une réponse laïque à la trinité.


La ville vit depuis avec ce sourire en coin.


Mon ancêtre Claude est arrivé au pays vers 1680.


En 1685, il se marie à l’Isle d’Orléans.


À cette époque, 85 % des Français prennent le bois, dit l’anthropologue Serge Bouchard.


Ils fuient le mode de vie français.


Ils ont couru l’Amérique.

Elles ont fait l’Amérique.


En compagnie de leurs frères de nations autochtones.


Pas Claude.


Claude initiait une lignée. Une ligne droite.


Théodore, fils de Claude, s’installe à Québec.


Pierre, fils de Théodore, s’en va aux Trois-Rivières, comme disait mon père.


Joseph, fils de Pierre;

Joseph, fils de Joseph;

Louis Onésime, fils de Joseph;

Joseph-Arthur, fils de Louis Onésime;

Roger, mon père, marquent cinq générations à Yamachiche.


Yamachiche. « Le fond est vaseux », en langue abénakise.


Papa, l’ainé des garçons, refuse la terre paternelle. Il s’en va entreprendre à Montréal, et fuir « la pauvreté maudite ».


Jean hérite de la terre. Il la vendra et rejoindra son frère, emmenant avec lui Germaine Caron, ma grand-mère.


Je suis de la neuvième génération, né de la rencontre d’une entreprise et de ma mère.


À ce moment de l’histoire, je vous transmets les salutations de mon cousin Yves Alarie, des Trois-Rivières, comme disait mon père.


D’après Yves, il manquait un élément essentiel à notre histoire: lui.


Mes ancêtres auront mis plus de 260 ans à marcher, de l’Isle d’Orléans à Montréal.


Ils ont avancé au rythme des arbres.


Affirmer trois rivières, là où il n’y en a qu’une, est signe d’une ville riche.


Son nom vient d’un sourire en coin.


Ça sent la poésie.