vendredi 27 octobre 2017

Wendake la nuit


Je suis à l’hôtel-musée Premières nations, à Wendake, en territoire Huron-Wendat.

Territoire autochtone. C’est un pléonasme. Tout le Québec, toute l’Amérique est un territoire autochtone. Il faut le dire aux enfants.

Je suis venu chercher un enseignement que l’école ne m’a jamais donné. Remettre mon histoire à l’endroit, avec ses personnages vrais.

Pour écouter le téléjournal, j’ouvre la porte patio. Derrière, la rivière St-Charles gronde. Sa rumeur monte aux chambres.

La rivière apporte des nouvelles de l’amont. Elle prend des miennes au passage et les porte vers l’aval. Un flot de nouvelles.

Avant-hier, j’ai dormi chez Isabelle et Cung, à Grondines, près du fleuve. Le St-Laurent est moins bruyant que la St-Charles, quoique.

Grondines tire son nom de ce que le fleuve gronde, mais pas trop. Le fleuve n’a pas à monter le ton, majesté oblige.

Pour ajuster le volume des nouvelles, j’ouvre ou ferme la porte.

Je n’ai pas aimé l’école parce qu’elle ne m’a jamais enseigné le fantastique.

Le catéchisme et le par cœur. Réponds, mon garçon, qui est Dieu? Dieu est un esprit; où est Dieu? Dieu est partout. Imbéciles.

Et les cours d’histoire, marinés d’idéologie. Les indiens sauvages et cannibales, les curés saints et scalpés.

L’autochtone ne marine pas ses enfants. Il leur transmet l’héritage de la terre et des ainés.

Mon école a raté sa vocation. Les crânes n’ont pas à être scalpés, mais libérés.

Je trouvais le fantastique chez Tintin et dans les histoires de l’oncle Paul. C’est bien beau le papier mais un jour, il faut en sortir.

J’ai longtemps pensé que le fantastique devait être loin pour l’être.

À la plage d’Ismaïlia, en Égypte, le café turc est servi dans des tasses en porcelaine. Sur le fond blanc, les lettres canal de Suez, bleues et griffées en arabe.

Le canal de Suez. Mon café est en Afrique. Mon regard est en Asie, sur l’autre rive.

Soudain, le bateau de Paul Nizan passe devant moi, en 1926. Direction : Aden - Arabie. J’ai beau être loin, le fantastique est à deux pieds de moi, au fond d’un livre.

L’école m’a enseigné l’ignorance, à l’époque où on disait que la révolution était tranquille. Faudrait se décider.

Il ne faut jamais attendre pour s’instruire. Lire, s’est se rapprocher du temps perdu.

Pour se convaincre de sa supériorité, le Blanc enterre tout ce qui ne l’est pas. Voyez les grues au centre-ville.

La nuit en a été une de nouvelles en continu.

En quittant la chambre, j’ai laissé la rivière allumée.

lundi 23 octobre 2017

La première fois




J’ai eu peur une fois dans ma vie.

Lorsque la réalisatrice Lyne Charlebois dit avoir eu peur de mourir, le jour où elle a été agressée par Rozon, je sais exactement de quoi elle parle.

J’ai 17 ans. Un vendredi soir de février, il a beaucoup neigé. On défonce la porte arrière chez mes parents. Je suis seul, je sais que ce n’est pas mon frère.

Je m’embarre dans ma chambre. Le cœur est dans la tête.

J’entends des voix.

Lorsqu’ils passent devant ma porte, ils testent la poignée. Ils s’éloignent.
Tout fucke. Ils sont armés ? C’est des tueurs?

Je ne peux pas sortir par la fenêtre. Je suis sur la première page du Journal de Montréal.

Le téléphone est de l’autre côté de la porte.

Les mains testent la poignée. Ils vont la briser. Je dis eille monsieur.

En entendant ma voix, les gars se poussent. Je prends le téléphone, j’appelle la police. J’enfile mon manteau d’hiver. Je vais exploser.

Pendant deux minutes, c’est le silence complet.
Deux minutes plus tard, il y a 15 policiers dans la maison. Un d’eux me dit, toé, bouge pas! J’ai les pieds dans le ciment.

Les gars n’ont pas couru 500 pieds dans trois pieds de neige.

Un policier raconte que les voleurs sont souvent des peureux. Un jour, un voleur qu’il venait d’arrêter se tenait à quatre pattes. Il grattait la terre avec ses doigts, le suppliant de le laisser aller.

Cette nuit-là, j’ai dormi avec mon frère.

La peur a laissé la place à la colère. Si jamais un ciboire me refait le coup, je le sors par la fenêtre, je le passe par le mur. Il va sortir en sacrament, l’hostie de peureux.

Là, tout de suite, tout remonte. C’est Hitchcock, la musique sur la femme dans la douche.

Je sais la peur de Lyne Charlebois. Ça fait mal, et je n’ai pas été violenté physiquement.

Choquez-vous, les femmes, il a peur de vous.
Choquez-vous, les hommes, c’est un chieux.

Je n’ai plus jamais eu peur, de rien ni de personne. C’est comme ça.
Maintenant, je sais comment se passe la première fois : la surprise est la pire ennemie.

La prochaine fois, je lui garde un chien de ma chienne.



dimanche 22 octobre 2017

Une rue pour ça




Je n’ai jamais vu un lion violer une antilope avant de la tuer. Je n’ai jamais vu non plus un éléphant mettre sa queue au visage d’une panthère. Si vous avez déjà vu la queue d’un éléphant, la panthère servirait de brochette. Bref, dans la nature, le pouvoir est une question de nécessité. Je bouffe l’antilope parce que j’ai faim, je veux nourrir mes petits.

Le seul code sur lequel s’entendent parfaitement le lion et l’antilope est celui de la peur. L’antilope a peur parce qu’elle sait qu’elle ne survivra pas au lion. Par contre, l’éléphant n’a rien à craindre de la panthère et la panthère court plus vite que l’éléphant.

Et si l’antilope virait son capot de bord et attaquait le lion?

Il faut être peureux pour avoir peur d’Éric Salvail. Il n’est pas grand, il n’est pas gros, il n’est pas équipé pour faire peur.

Je suis peureux parce que c’est ma nature. Je suis aussi peureux parce que je suis réaliste. J’ai une hypothèque à payer, deux enfants, je peux endurer quelques niaiseries de Salvail le long du parcours. Celles de Rozon, un peu moins.

J’ai peur parce qu’il y a quelque chose que je n’assume pas. Si je m’assume, Salvail ou l’autre n’a aucune emprise sur moi.

Un prostitué vend son cul. Je ne lui demande donc pas d’écrire des textes. J’écris des textes, je maquille, je scénarise ou je réalise; je ne vois pas ce que les gosses de l’autre viennent faire dans ma face. Il y a une rue pour ça.

Tout cela à cause de la pyramide. En haut, le pouvoir, l’argent, la lâcheté. En bas, le nombre et la peur.

Cette pyramide n’existe pas, elle est dans nos têtes. C’est pire. Je crois mon patron supérieur à moi parce qu’il est mon patron, alors qu’il n’en est rien. La seule chose qu’il a de supérieure à moi, c’est le salaire.

Il possède des qualités de gestionnaire que je n’ai pas. Je possède des qualités qu’il n’a pas. Si cette équation n’était pas exacte, il n’y aurait qu’une personne pour remplir nos deux tâches. Le score : 1-1.

Il faut dire que beaucoup de parents enseignent l’insécurité à leurs enfants. Ne fais pas ci, ne fais pas ça, ça ne fait pas des enfants forts. Et le système d’éducation enseigne davantage les avantages du moule que leurs contraires.

À l’agence Cossette, les associés avaient développé une belle complicité avec les employés. Je me souviens d’un pitch pour Air Canada. Nous travaillions jour et nuit. La seule différence entre l’associé et nous, c’était la bouteille de scotch sur la table de Georges Morin.

La pression de la pyramide est en fait celle de la gravité.

Si vous prenez la pyramide et que vous la ramenez au ras les pâquerettes, elle devient un cercle. Tout le monde est assis autour de la même table. Un pour tous, tous pour un.

Mon patron n’est pas mon patron, mais mon collègue. Il m’accepte dans son groupe et j’accepte de travailler avec lui. Son salaire plus élevé est un relent de la pyramide qui n’a aucun sens. Il faudra le comprendre un jour.

La responsabilité et la pression sont partagées. Dans un cercle, le chef ne va pas peloter la jeune fille de 14 ans derrière le décor. Et si mon collègue met sa queue dans mon visage, je lui dis d’aller voir le médecin, de l’autre côté de la courbe.

Dans un cercle, il n’y a que des riches.

Toutes ces histoires de cul qui explosent ces jours-ci sont d’abord des histoires de peur. La peur du faible alimente l’agressivité du pouvoir. Et si ces eunuques ont couru si longtemps, c’est parce que la peur a duré.

Dès que les antilopes se sont levées, les lions sont tombés.

C’est le début de la liberté.