lundi 25 décembre 2017

Cette façon de donner



Yves Boisvert est journaliste. Il écrit des chroniques dans lapresse+. Je ne lis pas
lapresse+, je n’ai pas de tablette. Je lis Boisvert à l’occasion dans lapresse.ca.
 

Pierre Foglia, la référence de plusieurs générations en matière de chroniques, a dit de
Boisvert qu’il serait le chroniqueur des vingt prochaines années.


Yves Boisvert dit de Foglia qu’il a inventé un style journalistique. Nous naviguons en
eaux claires.


À l’époque du papier, la filiation était évidente. Yves Boisvert écrivait dans la page A5 du
journal La Presse, la même page que Foglia. À l’ère numérique, les pages web ne
portent plus de numéro, comme si le facteur cessait de livrer le courrier à domicile.


Yves Boisvert sert les textes comme on dépose les assiettes sur une table. Il place les
mots, vous faites votre idée. Foglia écrivait comme ça.


Le non-dit est le siège de l’intelligence.


Je viens de lire Les molécules crochues entre François Chartier et Barcelone, dans
l’édition du 24 décembre de lapresse.ca. Le succès du sommelier François Chartier à
Barcelone. En principe, rien à se jeter par terre. Une chronique sur un certain bonheur.


C’est juste une histoire de trois amours entre un sommelier et un René Angelil catalan,
le même sommelier et le vin, et encore le même sommelier et une belle sommelière.


Je ne connais pas la sommelière. En amour, la sommelière est toujours belle.


Bref, Yves Boisvert. Il place ses observations une après l’autre et vous vous promenez
lentement dans son récit.


Il n’est pas donné à tout le monde de laisser penser les gens par eux-mêmes.


Dans un contexte où tout un chacun cherche une tribune pour dire ce qu’il pense, même
à qui ne veut pas l’entendre, cela fait du bien de penser tranquille.


Il y a deux types d’écritures. Celle qui pense à votre place, et l’autre.


Type 1 : La dame était en colère.
Type 2 : La dame a levé les poings et a frappé sur la table. Les couteaux, les fourchettes, les cuillers ont levé un moment dans les airs et sont retombés synchros, dans un bruit de métal sur bois.


Lisez Le juif errant est arrivé, du journaliste Français Albert Londres. Dans les années
30, il fait pendant plusieurs mois le tour des communautés juives d’Europe. Cela donne
un article d’une page par jour pendant 27 jours. Dans le livre publié chez Arlea, le récit
compte 93 pages.


Lorsque Londres décrit ce petit ruisseau d’excréments traversant la maison d’une famille
juive d’Europe de l’est, les mots sentent les égouts et l’errance.


Il s’agit non pas d’être pour ou contre, mais de tremper sa plume dans la plaie. Il y a
dans cette phrase tout l’enseignement du journalisme.


Lorsque l’auteur est pour ou contre, le lecteur lit l’auteur. Lorsque l’auteur décrit le petit
ruisseau d’excréments qui traverse la maison d’une famille juive d’Europe de l’est, le
lecteur lit l’histoire.


Cette approche demande de l’humilité et de la retenue. L’histoire se déroule dans la
zone ténue de la simplicité. C’est aussi un peu plus que cela.


À l’agence Cossette, on nous apprenait à nous adresser à l’intelligence du public. Ce
n’est pas une technique d’écriture mais une attitude.


Cette façon de donner un cadeau et de dire passe-moi le beurre.




mardi 12 décembre 2017

Objectif Nord




C’est un écran télé 16/9. Plus large que long. Il y en a au moins un ou quatre chez vous. Le 16/9 a remplacé le 4/3, plus carré.

Quatre sur trois au carré égale seize sur neuf. Mais la racine carrée de seize sur neuf égale aussi bien quatre sur trois que moins quatre sur trois. Comme quoi il est plus simple de grandir que son contraire.

Ouvert, le livre Objectif Nord, au-delà du 49è expose en 16/9 une galerie de photos du nord du Québec. Belles à se demander ce que je fais en ville.

Le Nord défile en deux cents pages, sur des textes de Serge Bouchard et Jean Désy, ainsi que des collaborateurs.

Vous ne verrez jamais un mot imprimé sur le corps d’un animal, d’une maison ou d’un camion. Les textes s’écrivent sur fond blanc ou noir, sur des ciels, des lacs ou des forêts. Le respect dans le détail de l’édition.

Avant le livre, la pierre a probablement été le premier écran.

La pierre est comme la télé; elle diffuse en autant que le public se déplace vers elle.

Le livre est comme la radio : l’œil ou l’oreille est captivé, l’imagination fait le reste. À la radio, l’écran est plus large, disait le cinéaste américain Orson Welles.

Objectif Nord est écrit en deux langues. Ah, plate. C’est comme le magazine enRoute, d’Air Canada. Un bilinguisme de bon aloi, gris, une impression de voisinage forcé.

Mais non. Ici, l’effet est bénéfique. Placés en sentinelles, les textes français et anglais font élargir l’écran, comme un horizon, avec des couleurs plus partout.

Pour une fois, français et anglais ajoutent du bon ensemble.

Il faut bien être du Sud pour rêver du Nord.

Tamini est un Inuit de 29 ans de Quaqtaq, dans le grand Nord. Quaqtaq veut dire ‘ver solitaire’ (merci Wiki). Tamini ferait fortune au Scrabble avec un mot comme ça.

Quand il était petit, Tamini jouait au hockey en t-shirt par moins 10. Son corps fumait de vapeur et lui riait.

Lorsque la glace du lac Rondeau défonçait, à St-Zénon, il passait des heures dans l’eau. Son thermostat était réglé à l’heure Inuit.

Tamini a maigri de cent livres depuis. Il vit dans une maison chauffée, un thermostat au mur. Le thermostat est un écran vertical.

La semaine dernière, Tamini m’a appelé. Il s’ennuyait. Le câble ne fonctionnait pas. S’il ouvre la porte, la banquise l’attend. Mais il ne voit plus le fantastique écran.

Tamini rêve du Sud.

Son écran mesure maintenant vingt-sept pouces. Il n’imagine plus, il regarde. La télé vole son imaginaire et sa culture, comme le thermostat a dévoré sa résistance. Tamini est frileux.

La nature est devenue sauvage le jour du thermostat.

Un écran voile, protège, arrête, dissimule, coupe, ferme, limite. Parfois, il ouvre, comme un livre.

L’écran ouvert n’a pas de cadre.






vendredi 8 décembre 2017

L’honneur des animaux sauvages



Serge Bouchard demande à quoi servent encore les animaux sauvages. Eh oui, les animaux sauvages ne sont plus ce qu’ils étaient.

J’ai beaucoup lu Serge Bouchard. Je n’avais pas encore tout vu.

L’imaginaire de l’urbain n’est pas celui du chasseur. Il met tout dans le même panier des petits becs à donner sur le museau d’un blanchon.

Je lis plus de mille textes par an pour mon cours de rédaction à l’université. Le plus difficile est d’évaluer. Il y a des textes et il y a des textes remarquables, un ou deux dans l’année.

Pour les autres, la structure, l’orthographe, la syntaxe et le style servent de repères quand vient le temps de noter. Mais encore là, ce n’est pas si simple. Un texte peut avoir du coffre et contenir des fautes d’orthographe, bref.

Un texte remarquable est une émotion. Nous ne sommes plus dans les mots mais dans leurs images.

Serge Bouchard l’anthropologue en compte plusieurs dans sa besace.

Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur Innu. Les propos du chasseur ont été enregistrés par l’anthropologue, traduits et écrits. L’écho vient du bois.

Elles ont fait l’Amérique, Ils ont couru l’Amérique. De remarquables oubliés, femmes et hommes qui l’ont modifiée. Nous sommes dans le documentaire des sentiers, du froid, de l’ours et de la souffrance.

C’était au temps des mammouth laineux et Les yeux tristes de mon camion sentent le diesel. Le son est une gracieuseté de la combustion.

Le son du diesel est beau comme un accord de mi septième.

Le nom du livre est Objectif Nord, au-delà du 49è, écrit avec Jean Désy. Le nom du texte est L’honneur des animaux sauvages, entre les pages 124 et 131. Les autres pages sont aussi animales.

Parler du nord au-delà du 49ème parallèle. Le nord sans plan. L’habitat, le terrain de chasse. Du documentaire littéraire. Lorsqu’on efface les traces de l’homme et de la femme, il reste un regard.

Un texte remarquable est un animal sauvage.

Par moins quarante, un lynx est étendu sur le capot chaud d’un camion. Le moteur tourne au ralenti, comme une chaise berçante. Le monde des tentations ramollit la discipline millénaire du félin nordique. Il s’était donné un moment de chat.

C’est de la littérature. Plus de cinquante ans à parcourir ces contrées donnent aux mots de Serge Bouchard une encre d’espaces et de froid.

Je ne sais pas si le mot sauvage convient. Le sauvage est indompté. Le nord dont il est question ici est le meilleur ami de l’homme. Ils vivent ensemble depuis quinze mille ou trente-cinq-mille ans. Nous sommes témoins d’une fusion.

Ce livre est un remarquable publié. Si vous ne le trouvez pas, regardez sur une carte. Au-delà du 49è parallèle, les mots courent les caribous.



samedi 2 décembre 2017

Ces gens et ces lieux



En 1961, René Lévesque survole le territoire en direction de Fort Chimo, l’actuel Kuujjuak. Il est ministre des Affaires hydrauliques du Québec. Il voit des arbres, de la roche et des lacs. Il se tourne vers le géographe Louis-Edmond Hamelin et demande où ils sont, car il n’y a rien en bas.

On ne peut jamais dire qu’il n’y a rien en quelque part. Il y a toujours quelque chose, nous sommes là pour le regarder. Aussi, la nature a horreur du vide. Lorsque tu ne vois rien, tu imagines et pouf, voilà quelque chose.

Quelque part, nous nous sommes trompés de pédagogie. La mienne était emplie de par-cœur en français, anglais, maths, histoire, religion et géographie. Il fallait simplement ouvrir une fenêtre et laisser circuler l’air.

En dehors des roches et des épinettes, le Nord est peuplé de millénaires de présence humaine, d’histoires de chasse, de pêche et de caribous.

Ces récits composent une partie immatérielle de l’humanité. Ils sont pourtant les personnages principaux de notre histoire.

Un enfant ne peut résister à une fenêtre ouverte. Elle est faite pour regarder dehors.

On ne peut apprendre une fenêtre par cœur.

Vous avez peut-être déjà vu ce magnifique bronze au centre-ville. Un étudiant ébouriffé, ahuri, garde les yeux vissés sur son Mac, comme s’il cherchait un sens à ses études. Ce bronze, de l’artiste Cédric Loth, est assis rue Sherbrooke, juste en face de l’entrée principale de l’université McGill.

Cédric et moi avons partagé un bureau pendant dix ans dans des agences de pub.

Quand j’entre à Notre-Dame-de-Paris, je cherche Quasimodo. Lorsque je passe près de l’ancien Forum, sur Ste-Catherine, je croise les fantômes du CH. Devant McGill, je salue l’ahuri.

Sorti directement de l’univers de la BD, le bronze de Cédric fait partie des personnages de Montréal. Assis de l’autre côté de la rue, il est une extension de McGill.

On le croirait faire ses travaux. L’écran du Mac affiche le décès de Steve Jobs, génial co-fondateur d’Apple.

Ce bronze appartient aux étudiants, aux montréalais, au génie humain et à l’imaginaire.

Avant son installation, il y avait un bout de trottoir. Donc, rien. Mais il ne peut pas ne rien avoir. D’où l’étudiant. Les livres d’histoire ne font que cela, placer des quelques choses là où il n’y avait rien avant.

La fenêtre est une talle fantastique à enseigner aux enfants.

Je suis en train de lire Objectif Nord, le Québec au-delà du 49e, de Serge Bouchard et Jean Désy. Les auteurs présentent quelques personnages qui peuplent soixante-dix pour cent de notre territoire.

Ces gens et ces lieux que nous ne regardons pas quand nous les voyons.

C’est tout de même curieux, lire sur le Nord pour apprendre le Sud.




jeudi 30 novembre 2017

Vivre pour la raconter



Ma fille Camille était assise à table quand elle a arrêté de parler. Une fourchette à la main, elle ne voyait pas l’assiette qu’elle regardait. Quand on pleure, le regard est tourné vers l’intérieur.

Elle avait pourtant hâte de débuter sa mineure en Études autochtones.

Depuis deux ans, je lis beaucoup sur la vie des Premières nations, ces grands frères qui nous ont reçus. Je découvre des histoires fantastiques. Tintin peut se rhabiller.

L’ADN culturel des québécois francophones est fortement imbibé de la pensée des Indiens (je reprends le terme favori de l’anthropologue Serge Bouchard, un autre aîné). C’est ce que suggère le documentaire L’empreinte, une tonne de briques signée Carole Poliquin et Yvan Dubuc.

Dans Two Families, Harold Johnson raconte la rencontre de deux familles, du point de vue Cri : comment les Indiens ont accepté de prendre sous leur responsabilité les britanniques et leur reine Victoria.

Une question de Johnson, comme ça, en passant : comment peut-on prétendre avoir découvert l’Amérique, alors qu’elle n’a jamais été perdue ? Il est assez surprenant de sentir le cerveau tourner à 180 degrés dans sa boîte.

En direct des bois et des lacs, Mathieu Mestokosho et Serge Bouchard racontent des histoires de pêche et de chasse. Mathieu Mestokosho, chasseur Innu, une histoire racontée par le loup, le renard, l’arbre et le castor.

Un instant, je retourne dans Astérix en Corse. Le chef corse Ocatarinetabellatchitchix dit ce fromage est tellement frais, on croirait l’entendre braire. Inénarrable Goscinny. Les peupliers de Mathieu Mestokosho parlent.

Dans Regalia, fierté autochtone, les photographes Richard Lorente et Aline Saffore ont saisi des Indiens de nations différentes, dansant dans des vêtements traditionnels de fabuleuse couture. Regardez le détail de ces vêtements, la beauté des personnages, et dites-moi sans rire que ces gens sont des sauvages.

La richesse est dans le non-dit, pas dans le logo.

Camille se trouve sur la face cachée de la montagne. Notre face à nous, la blanche, qui travaillons fort depuis des siècles pour détruire la richesse des autres.

Il y a des pensionnats, des enlèvements, des vols, des mains sous des jupes, des curés, beaucoup de curés. Certains se crissaient bien de leur évangile, en autant qu’ils puissent tirer leur coup. Il y a des cheveux coupés, des enfants mêlés et des corps perdus.

Ces mêmes curés nous ont mentis par la suite, à vous et à moi, en faisant passer ces gens riches pour des sauvages. Donne du pouvoir à un curé, il en fait de l’hommerie.

Pendant ce temps, Tintin donne un cours à des jeunes africains du Congo : je vais vous parler aujourd’hui de votre patrie : la Belgique ! Dans la classe, un jeune Congolais ne se peut plus : ça y en a Tintin.

Depuis ce temps, Hergé a modifié la phrase. Les mots bougent plus vite que le regard.

À 25 ans, Camille ne s’attendait pas à découvrir autant de cruauté envers les autres et les femmes comme elle. Le génocide culturel contre les Indiens est plus vieux que le Canada.

Il y a de quoi déposer la fourchette et regarder à l’intérieur.

Lorsque j’enseigne à des nouveaux arrivants, je leur dis que nous sommes en territoire Mohawk. Que nous sommes tous des immigrés. Que les Indiens nous ont bien reçus, qu’ils sont nos ainés et que nous leur devons respect. Les étudiants ont les oreilles dans le crin, disait mon père.

Il n’y a rien d’ésotérique dans tout cela, ce sont des faits. Il ne faut pas attendre après l’école pour apprendre notre histoire.

Vivre pour la raconter, écrit le romancier colombien Gabriel Garcia Marquez. Un autre monsieur d’une grande richesse.



jeudi 9 novembre 2017

Cette nuit



Cette nuit, je suis allé chez une femme autochtone. J’ai demandé le nom de sa fille à sa mère, à sa sœur, assassin.

Avant de disparaitre, la femme autochtone a été perdue. La femme perdue disparue assassinée autochtone porte mille noms.

Je voulais sentir son air, ses vêtements. Quand mes enfants étaient bébés, je sentais souvent leurs cheveux. L’odeur est notre première identité.

La femme autochtone porte en elle la vie de ses ancêtres. Elle est faite de cercles, d’eau, de vent, de feu et d’arbres. Retrouver la femme disparue n’est pas si difficile. La pensée autochtone s’étend sur dix générations, trois avant et sept après.

Il s’est passé quelque chose au pensionnat. Le lien familial a été coupé. Tuer l’Indien. C’était voulu par les gens de ma ‘gang’.

Avant de disparaitre, la femme autochtone a pensé retrouver son lien dans le quartier Downtown Eastside, à Vancouver. C’est la plus grande réserve au pays.

J’ai déjà marché dans un parc de Downtown Eastside avec mon ami Charles. Il fallait éviter les seringues. Il n’y a pas de lien dans une seringue.

La femme autochtone perdue a fui par la route. Elle est devenue disparue et assassinée. Le génocide suit son ordre.

Ces femmes ont droit à un service particulier. À témoin, ce policier. Dès qu’il a su que la femme disparue qu’il cherchait était autochtone et non blanche, il a coupé le contact avec la famille. Un spécialiste du lien.

Je ne sais pas pourquoi les Blancs ont peur des autochtones. Leurs histoires sont fantastiques. Maudit que l’école était plate.

Sortir la femme autochtone de sa communauté, c’est arracher l’écorce de l’arbre. Faire disparaitre une femme quand on sait qu’il n’y aura pas d’efforts pour la retrouver, c’est du bonbon pour un tueur.

Elle ne doit pas être très loin. Ce cercle à la surface de l’eau, elle est dessous. La goutte de rosée sur l’herbe, c’est elle dans les bras de sa mère. Et la poussière qui tournoie dans le ciel.

L’indifférence est un lien coupé. Nous sommes les premiers tueurs.

Un soir, en partant de Rosemère, j’ai laissé une paire de souliers sur le toit de mon camion. Arrivé à St-Laurent, un s’était envolé. Pendant deux jours, j’ai déduit dans ma tête le parcours de 21 km.

Le seul endroit où il avait pu s’envoler, c’est dans la courbe menant à la 15 sud. L’accélération. Je suis allé voir. Le soulier m’attendait sur le bord de la route.

Pour retrouver une femme autochtone disparue, il faut chausser ses souliers.




vendredi 27 octobre 2017

Wendake la nuit


Je suis à l’hôtel-musée Premières nations, à Wendake, en territoire Huron-Wendat.

Territoire autochtone. C’est un pléonasme. Tout le Québec, toute l’Amérique est un territoire autochtone. Il faut le dire aux enfants.

Je suis venu chercher un enseignement que l’école ne m’a jamais donné. Remettre mon histoire à l’endroit, avec ses personnages vrais.

Pour écouter le téléjournal, j’ouvre la porte patio. Derrière, la rivière St-Charles gronde. Sa rumeur monte aux chambres.

La rivière apporte des nouvelles de l’amont. Elle prend des miennes au passage et les porte vers l’aval. Un flot de nouvelles.

Avant-hier, j’ai dormi chez Isabelle et Cung, à Grondines, près du fleuve. Le St-Laurent est moins bruyant que la St-Charles, quoique.

Grondines tire son nom de ce que le fleuve gronde, mais pas trop. Le fleuve n’a pas à monter le ton, majesté oblige.

Pour ajuster le volume des nouvelles, j’ouvre ou ferme la porte.

Je n’ai pas aimé l’école parce qu’elle ne m’a jamais enseigné le fantastique.

Le catéchisme et le par cœur. Réponds, mon garçon, qui est Dieu? Dieu est un esprit; où est Dieu? Dieu est partout. Imbéciles.

Et les cours d’histoire, marinés d’idéologie. Les indiens sauvages et cannibales, les curés saints et scalpés.

L’autochtone ne marine pas ses enfants. Il leur transmet l’héritage de la terre et des ainés.

Mon école a raté sa vocation. Les crânes n’ont pas à être scalpés, mais libérés.

Je trouvais le fantastique chez Tintin et dans les histoires de l’oncle Paul. C’est bien beau le papier mais un jour, il faut en sortir.

J’ai longtemps pensé que le fantastique devait être loin pour l’être.

À la plage d’Ismaïlia, en Égypte, le café turc est servi dans des tasses en porcelaine. Sur le fond blanc, les lettres canal de Suez, bleues et griffées en arabe.

Le canal de Suez. Mon café est en Afrique. Mon regard est en Asie, sur l’autre rive.

Soudain, le bateau de Paul Nizan passe devant moi, en 1926. Direction : Aden - Arabie. J’ai beau être loin, le fantastique est à deux pieds de moi, au fond d’un livre.

L’école m’a enseigné l’ignorance, à l’époque où on disait que la révolution était tranquille. Faudrait se décider.

Il ne faut jamais attendre pour s’instruire. Lire, s’est se rapprocher du temps perdu.

Pour se convaincre de sa supériorité, le Blanc enterre tout ce qui ne l’est pas. Voyez les grues au centre-ville.

La nuit en a été une de nouvelles en continu.

En quittant la chambre, j’ai laissé la rivière allumée.

lundi 23 octobre 2017

La première fois




J’ai eu peur une fois dans ma vie.

Lorsque la réalisatrice Lyne Charlebois dit avoir eu peur de mourir, le jour où elle a été agressée par Rozon, je sais exactement de quoi elle parle.

J’ai 17 ans. Un vendredi soir de février, il a beaucoup neigé. On défonce la porte arrière chez mes parents. Je suis seul, je sais que ce n’est pas mon frère.

Je m’embarre dans ma chambre. Le cœur est dans la tête.

J’entends des voix.

Lorsqu’ils passent devant ma porte, ils testent la poignée. Ils s’éloignent.
Tout fucke. Ils sont armés ? C’est des tueurs?

Je ne peux pas sortir par la fenêtre. Je suis sur la première page du Journal de Montréal.

Le téléphone est de l’autre côté de la porte.

Les mains testent la poignée. Ils vont la briser. Je dis eille monsieur.

En entendant ma voix, les gars se poussent. Je prends le téléphone, j’appelle la police. J’enfile mon manteau d’hiver. Je vais exploser.

Pendant deux minutes, c’est le silence complet.
Deux minutes plus tard, il y a 15 policiers dans la maison. Un d’eux me dit, toé, bouge pas! J’ai les pieds dans le ciment.

Les gars n’ont pas couru 500 pieds dans trois pieds de neige.

Un policier raconte que les voleurs sont souvent des peureux. Un jour, un voleur qu’il venait d’arrêter se tenait à quatre pattes. Il grattait la terre avec ses doigts, le suppliant de le laisser aller.

Cette nuit-là, j’ai dormi avec mon frère.

La peur a laissé la place à la colère. Si jamais un ciboire me refait le coup, je le sors par la fenêtre, je le passe par le mur. Il va sortir en sacrament, l’hostie de peureux.

Là, tout de suite, tout remonte. C’est Hitchcock, la musique sur la femme dans la douche.

Je sais la peur de Lyne Charlebois. Ça fait mal, et je n’ai pas été violenté physiquement.

Choquez-vous, les femmes, il a peur de vous.
Choquez-vous, les hommes, c’est un chieux.

Je n’ai plus jamais eu peur, de rien ni de personne. C’est comme ça.
Maintenant, je sais comment se passe la première fois : la surprise est la pire ennemie.

La prochaine fois, je lui garde un chien de ma chienne.



dimanche 22 octobre 2017

Une rue pour ça




Je n’ai jamais vu un lion violer une antilope avant de la tuer. Je n’ai jamais vu non plus un éléphant mettre sa queue au visage d’une panthère. Si vous avez déjà vu la queue d’un éléphant, la panthère servirait de brochette. Bref, dans la nature, le pouvoir est une question de nécessité. Je bouffe l’antilope parce que j’ai faim, je veux nourrir mes petits.

Le seul code sur lequel s’entendent parfaitement le lion et l’antilope est celui de la peur. L’antilope a peur parce qu’elle sait qu’elle ne survivra pas au lion. Par contre, l’éléphant n’a rien à craindre de la panthère et la panthère court plus vite que l’éléphant.

Et si l’antilope virait son capot de bord et attaquait le lion?

Il faut être peureux pour avoir peur d’Éric Salvail. Il n’est pas grand, il n’est pas gros, il n’est pas équipé pour faire peur.

Je suis peureux parce que c’est ma nature. Je suis aussi peureux parce que je suis réaliste. J’ai une hypothèque à payer, deux enfants, je peux endurer quelques niaiseries de Salvail le long du parcours. Celles de Rozon, un peu moins.

J’ai peur parce qu’il y a quelque chose que je n’assume pas. Si je m’assume, Salvail ou l’autre n’a aucune emprise sur moi.

Un prostitué vend son cul. Je ne lui demande donc pas d’écrire des textes. J’écris des textes, je maquille, je scénarise ou je réalise; je ne vois pas ce que les gosses de l’autre viennent faire dans ma face. Il y a une rue pour ça.

Tout cela à cause de la pyramide. En haut, le pouvoir, l’argent, la lâcheté. En bas, le nombre et la peur.

Cette pyramide n’existe pas, elle est dans nos têtes. C’est pire. Je crois mon patron supérieur à moi parce qu’il est mon patron, alors qu’il n’en est rien. La seule chose qu’il a de supérieure à moi, c’est le salaire.

Il possède des qualités de gestionnaire que je n’ai pas. Je possède des qualités qu’il n’a pas. Si cette équation n’était pas exacte, il n’y aurait qu’une personne pour remplir nos deux tâches. Le score : 1-1.

Il faut dire que beaucoup de parents enseignent l’insécurité à leurs enfants. Ne fais pas ci, ne fais pas ça, ça ne fait pas des enfants forts. Et le système d’éducation enseigne davantage les avantages du moule que leurs contraires.

À l’agence Cossette, les associés avaient développé une belle complicité avec les employés. Je me souviens d’un pitch pour Air Canada. Nous travaillions jour et nuit. La seule différence entre l’associé et nous, c’était la bouteille de scotch sur la table de Georges Morin.

La pression de la pyramide est en fait celle de la gravité.

Si vous prenez la pyramide et que vous la ramenez au ras les pâquerettes, elle devient un cercle. Tout le monde est assis autour de la même table. Un pour tous, tous pour un.

Mon patron n’est pas mon patron, mais mon collègue. Il m’accepte dans son groupe et j’accepte de travailler avec lui. Son salaire plus élevé est un relent de la pyramide qui n’a aucun sens. Il faudra le comprendre un jour.

La responsabilité et la pression sont partagées. Dans un cercle, le chef ne va pas peloter la jeune fille de 14 ans derrière le décor. Et si mon collègue met sa queue dans mon visage, je lui dis d’aller voir le médecin, de l’autre côté de la courbe.

Dans un cercle, il n’y a que des riches.

Toutes ces histoires de cul qui explosent ces jours-ci sont d’abord des histoires de peur. La peur du faible alimente l’agressivité du pouvoir. Et si ces eunuques ont couru si longtemps, c’est parce que la peur a duré.

Dès que les antilopes se sont levées, les lions sont tombés.

C’est le début de la liberté.




jeudi 28 septembre 2017

L'Italienne




Ce midi, Nat m’a apporté une tomate de son jardin. Sur la table du resto italien Artigiani, la tomate se sent chez elle. Elle ne dépare pas, rouge sur nappe blanche, entre deux pizzas. Rouge, blanc, vert.

Je suis allé une fois en Italie. Cela se passait à La Conception, dans les Laurentides. Le regard des yeux noirs de la dame italienne traversait les miens, pour aller consumer l’intérieur de mes côtes. Cette femme était du feu.

Elle n’a pas loué ma maison, mais j’ai vu l’Italie.

Il y a des yeux comme ça. Ceux de cette infirmière, vissés dans les miens. Nous confirmions la décision de ne pas réveiller papa en cas de décès. Je ne vois que les yeux, il n’y avait peut-être pas d’infirmière autour.

Nathalie Roy a tout d’une Italienne. Le feu, les yeux, la voix, le bronzage et la blouse blanche.

Nat est d’Italie, de Turquie, du Portugal même, catalane plus qu’espagnole.

Elle peut t’enfoncer un argument entre les oreilles avec le sourire et tu le prends en riant.

Je soupçonne les tomates de Nat de ne pas avoir le choix de pousser droit. Six plants de belles grosses tomates rouges. Même les écureuils n’y touchent pas. Ils marchent les fesses serrées dans son 450.

En rentrant chez moi, je réalise que j’ai oublié ma tomate sur la table. Il est dangereux pour une tomate de se retrouver seule dans un resto italien.

Je suis allé la chercher ce soir. La tomate de jardin est libre, elle ne porte pas de marque. Ce sont les meilleures, dit Nicolas le serveur.

J’ai déposé la tomate sur deux boîtes à pizzas chaudes. Deux Mamma Mia, sur St-Denis, en Italie.