mardi 25 décembre 2012

Graffiti Louis


Louis s’intéresse aux graffitis depuis l’âge de 5 ans. D’où? Aucune idée. À 5 ans, Louis était fasciné par les graffitis et par les caricatures de Serge Chapleau. Chapleau a vite pris le bord. Un jour, je lui ai envoyé une photo de mon fils, assis dans sa chambre, les murs tapissés de ses caricatures. J’espérais une rencontre de mon fils et de son idole. Pas de réponse. Les caricatures ont pris le bord de la poubelle. Les vrais bums ne font pas de caricatures dans La Presse.

À l’école primaire, des flos impressionnés par les trouvailles de Louis embarquaient dans son trip, jusqu’à ce que leurs parents capotent. Univers underground, caché, noir et illégal. C’est justement ce qui fascinait et fascine toujours Louis. Les copains changeaient d’idée, mais pas Louis. Un jour, des jeunes ont dessiné des graffitis à l’école. La directrice, pas très intelligente, a aussitôt condamné Louis à une semaine de travaux communautaires. Je n’ai jamais aimé cette femme, trop pressée à mettre le couvercle sur la pression, sans savoir d’où venait le feu. Louis n’est pas un pyromane, idiote.

Il n’est pas évident de gérer le talent d’un jeune à l’école primaire, surtout quand sa passion n’est ni le hockey ni le soccer. Un jour, j’ai offert à Louis nos poubelles pour qu’il les peigne. Durant deux ans, nous avons eu les poubelles les plus funky de la rue.

Avec le temps, la passion de mon fils ne s’est pas démentie. Il rentrait souvent à 5 heures du matin, après avoir passé la nuit sous des ponts à dessiner, explorer ou photographier. Comme le graffiti est un art omerta, j’ai mis du temps à m’en rendre compte. À 5h du mat, on sent généralement l’alcool. Louis sentait l’air frais.

La bilbiothèque de Louis est remplie de livres de graffitis du monde entier. L’ordi contient des gigs de photos de graffitis de Montréal et d’ailleurs. Par la force des choses, cet art est constamment renouvelé; le même lieu est souvent témoin d’oeuvres nouvelles. Il n’est pas un recoin de la ville que mon fils n’ait protographié.

Louis a 23 ans, dont 18 de graffitis.

La semaine dernière, ma fille Stéphanie est allée chez Yavana, un copain de l’école primaire. Yavana est infographiste graffiteur. D’origine cambodgienne, ses dessins couvrent des murs dans plusieurs pays. De fil en aiguille, il lui montre une toile que Louis aime beaucoup. Ce matin, Stéphanie l’a offerte à Louis pour Noël. Ému, le garçon? Il n’aura pas assez de la journée pour s’en remettre. J’ai appris la base du graffiti de Michel, a dit Yavana à Stéphanie. Et Michel a tout appris de Louis. En termes artistiques, à 23 ans, Louis est déjà grand-père, il a deux générations après lui.

Je n’aime pas Noël, fête obligée du faux. Mais ce matin, le cadeau n’a rien à voir avec le commerce. C’est celui d’un garçon qui reçoit tout l’amour de sa soeur.


lundi 24 décembre 2012

e

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Avez-vous déjà mis 20 minutes pour lire trois e-mails ? Moi, souvent, en lisant e.
e est une nouvelle, écrite par Matt Beaumont, en 2000. Ça a l'air vieux, mais quand c'est la première fois, c'est neuf.
Dans l'univers de la pub, une agence prépare un pitch pour Coke; 346 pages, que des e mails, entre les 3 janvier et 7 février 2000.
La dernière fois que j'ai autant ri, c'était en écoutant Planes, Trains and Automobiles, avec Steve Martin et John Candy.
Plié en quatre.
Un maudit bon film.


jeudi 6 décembre 2012

La fleur et le LEGO

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Ma fille me demande c’est quoi le conflit du Moyen-Orient. Pourquoi les Palestiniens? Gaza? Pourquoi Israël? Je fouille. L’Holocauste, la Terre promise, la Guerre des Six jours, le traité de paix Égypte-Israël, l’Iran, Arafat, les morts, les territoires occupés, les morts, Sharon, les colonies, les morts et les morts, le Hamas, Israël et ses F-18, les Palestiniens et leurs lance-pierres, le Mossad, Five broken cameras. C’est gros. En même temps, c’est petit. L’Homme surtout est petit, il n’en finit plus de ne pas régler ses problèmes.

Les problèmes du Moyen-Orient, c’est l’histoire de la haine. Ce sont des gens qui se détestent dans ce qu’il y a de plus profond, la terre natale. Ils feront tout pour arracher un seul pouce carré à l’autre. Et là, ils crieront victoire, comme à la garderie.

La haine fait les hommes se comporter en bébés lala. Maman, il a pris mon Lego, je veux mon Lego! Non, je veux mon Lego, là. Donne-moi mon Legoooooo! Et là, ça crie, ça se tape dessus et ça hurle. On parle d’un insignifiant bloc de plastic rouge, un pouce carré. On parle d’enfants et pourtant, un arracherait la tête à l’autre pour se l'approprier.

Dans les stratégies de guerre, le topo est toujours le même. L’ennemi est un sous-produit de la merde, un moins que rien, un animal, un rat et ainsi de suite. Il faut l’exterminer, le détruire, le tuer, sinon c’est lui qui le fera. Les juifs, les tziganes et les homosexuels vus par les Allemands. Les Chinois vus par les Japonais. Et les Japonais vus par les Chinois, et les Américains vus par les Vietnamiens. Et les Vietnamiens et les Français et les Anglais et les Tutsis et les Arméniens et les Hindous et les Amérindiens, la liste est longue. Au Moyen-Orient, on tue pour mettre la main sur le pouce carré de l’autre. Il faut dire qu’au Moyen-Orient, la tradition remonte à loin. Il y a plus de 2000 ans, le gars qui a voulu enseigner l’amour a fini sur une croix. On repassera pour l’exemple.

La haine au cinéma, c’est Voisins, le film d’animation de Norman McLaren. Deux voisins se battent à mort pour posséder une fleur. Une fleur, ça pousse sur un pouce carré. La récompense de cette haine, idiote, faut-il le dire, c’est un Oscar à Hollywood. Comme quoi l’enseignement de Voisins a fait long feu.

La haine dans ma cour, c’est justement mon ex-voisin. Un vieux, 140 ans. Il n’a pas aimé le ballon de mon fils de six ans sur son terrain. Il l’a confisqué et l’a balancé dans la cour de l’autre voisin, pour ne pas que mon fils le retrouve. Bébé lala. Même sa femme n’a pu le raisonner. Déclenche-t-on une guerre à cause d’un ballon? On l’a déjà fait pour moins que ça.

Dans la jungle et les océans, le plus gros bouffe le plus petit et le plus rusé se farcit le nono. Le lion aime la biche dans son assiette et le requin raffole du phoque salé. Sans le savoir, ces animaux participent à l’équilibre de la nature. Seul l’homme désiquilibré est assez bête pour exterminer ses semblables et les autres.

La mère menace les enfants. Ceux-ci obéissent, pas convaincus. Dès qu’elle a le dos tourné, garde-le, ton maudit Lego, il est même pas beau. Menteur. À force de piquer des Lego et de les assembler, on en vient à bâtir des maisons et même, des colonies.

Il y a un seul hic: les fleurs ne poussent pas sur les Lego.

jeudi 8 novembre 2012

Mon amie Judith

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Au soir de la réélection de Barack Obama à la présidence des États-Unis, nous avons eu droit aux discours d’un vainqueur et d’un vaincu. Les prestations de Barack Obama et de Mitt Romney ont montré une fois de plus l’abysse qui les sépare.

J’ai tout donné durant la campagne, a dit Romney. Il a bien fait de le souligner, il n’avait plus rien à dire. Dans son discours de défaite, le monsieur n’a pas traîné en longueur. Cinq minutes onze secondes, dont près de trois minutes consacrées aux remerciements. Une véritable liste d’épicerie. Romney a remercié des noms, son co-listier, ses enfants et sa tondeuse. Il a fait une déclaration de guerre, La campagne est terminée, nos principes demeurent. Et il a rêvé en couleurs, Ma femme aurait fait une bonne First Lady.

De son côté, Barack Obama nous a emmenés dans sa dimension. L’approche d’Obama est simple et pourtant, il semble le seul dans cette catégorie: Tonight, more than 200 years after a former colony won the right to determine its own destiny, the task of perfecting our Union moves forward. Obama inscrit sa communication dans une continuité, celle de la fierté. Dans les discours d’Obama, il y a un avant et un après. Il ouvre en amont et ferme en aval. La tête regarde à gauche, passe devant et tourne à droite.

À la fin de sa toute première phrase, il passe du passé au présent: ... our Union moves forward. Forward, c’est le thème de sa campagne. Il est en train de nous dire que son discours d’acceptation est un trait-d’union entre la campagne qui vient de prendre fin et les quatre prochaines années au pouvoir. Il y a quatre ans, l’avenir était sur la forme active, Yes we can; ce soir, c’est une vision.

Obama ne se contente pas de remercier des gens, il raconte leur portrait: ceux qui ont voté pour la première fois, ceux qui ont passé des heures au téléphone, ceux qui ont attendu des heures pour voter. Comme pour enraciner la grandeur du moment, il s’en tient à des exemples concrets, au quotidien des gens. Obama parle, je me reconnais. Il veut prendre une bière avec moi.

Un texte bien écrit est rythmé comme de la musique. Obama ne rate jamais l’occasion de bien livrer, c’est sa grande force. Son discours de 20 minutes prend fin sur un crescendo, c’est le Boléro de Ravel. Le crescendo monte vers le ciel, Obama aussi: God Bless America.

Depuis un mois, j’ai vu plusieurs reportages et documentaires sur Obama. Partout, la même aisance, le même naturel que ce soir au micro. Dans le bureau ovale, son adjointe lui lance un ballon de basket. Dans le même bureau, il mange des peanuts comme moi dans ma cour. Rien d’arrogant, que du naturel. Il a beaucoup été aimé par sa mère et ses grands-parents, dit mon amie Judith. C’est au fond chaque fois le message d’Obama: voici à quoi l’amour du passé ressemblera, à l’avenir.

samedi 6 octobre 2012

5 raisons pourquoi pas Bell


Sylvain Labarre, président
Agence de publicité LG2



Bonjour Sylvain,

Tu as dû lire comme moi les chroniques de Pierre Foglia, dans La Presse, à propos de l’annonce de Bell, conçue par ton agence. Le titre: 5 raisons pourquoi tant de québécois choisissent Bell.

M. Foglia note avec raison que le texte doit se lire 5 raisons pour lesquelles tant de québécois choisissent Bell. Eh bien, surprise! La semaine suivante, des collègues publicitaires lui ont répondu que Mais oui, monsieur le chroniqueur, 5 raisons pourquoi est mieux reçu par le monde ordinaire que 5 raisons pour lesquelles, trop littéraire... . Wow! Dans les années 70, les Cyniques disaient Vivons heureux, vivons niaiseux! Il semble que cette blague soit devenue aujourd'hui une approche publicitaire.

J’ai mal à mes mots. J’ai été, il y a longtemps, rédacteur d’annonces de Bell, à l’agence Cossette. À l’époque, Bell prenait un soin maniaque de la qualité du français. L’entreprise disposait d’un service linguistique qui ne laissait rien passer. Nous devions sortir notre plus belle plume.

Pour la première fois, je suis soufflé de voir une agence en vue comme LG2 laisser passer une telle erreur, en format double page, et dans le titre, par-dessus le marché. Si on ajoute au message original de Bell le commentaire stupide des collègues rédacteurs, le message insinue maintenant : 5 raisons de promouvoir la pauvreté du français à des gens ordinaires, trop nonos anyway pour s'en rendre compte.

On peut critiquer les publicitaires de bien des maux, et avec raison, ils font en général du mauvais travail. Mais à ce point?

Les publicitaires ont l'habitude de prendre des licences avec la langue française, et j'en suis. Triturer des mots, tordre la syntaxe, créer des formules, mais dans le but de capter l'attention, jamais dans celui de propager la pauvreté. Le privilège d’occuper le champ de la communication publique est trop précieux, nous n'avons pas de droit d'en abuser.

Sur votre site, LG2 présente sa philosophie d’entreprise, Penser comme une marque. Si vous assumez vraiment ce que vous écrivez, je comprends maintenant pourquoi Bell ne pense pas loin.


samedi 29 septembre 2012

Jérôme 32

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Jérôme a 15 ans. Hier soir, il a joué une partie de football dans l’est, à l’autre bout de la ville. Tellement loin, si vous manquez le parc, vous tombez dans le fleuve. L’équipe de Jérôme a perdu 75 000 à 0. À un moment, nous avons cessé de compter les points.

Après la partie, Jérôme, le # 32, avait le visage défait, comme boursouflé. Le genre de mal qui vient de l’intérieur. Les bleus sur son bras, il ne les sentait pas. Il était en train d’apprendre à gagner.

samedi 18 août 2012

Elle s’appelle Djemila Benhabib


Bonjour madame Benhabib,

J’étais aux États-Unis quand j’ai lu les frasques verbales du maire Jean Tremblay, de Saguenay, à votre endroit. Je me suis bien marré. Soyez sans crainte, M. Tremblay ne sait pas ce que le mot ‘marrer’ veut dire, ce mot vient de France. Bien sûr, vous, d’origine algérienne, savez ce que ce mot veut dire. Comme on dit familièrement ici, vous êtes ‘culturée’, comme beaucoup de vos compatriotes. Lorsque j’ai travaillé à Alger, j’ai rencontré ce chauffeur de taxi qui m’avait raconté l’époque romaine en Algérie. Impressionnant, j’aurais passé la soirée dans son taxi à l’écouter. Les ruines romaines en Algérie sont fabuleuses et cet homme ne s’appelait pas Jean Tremblay.

Les mots et les idées que M. Tremblay utilise sont clôturés, comme les vaches qu’on laisse paître dans un champ. La clôture sert à ne pas laisser sortir les vaches. Remarquez, les vaches sortent quand même. Elles ne sont pas très intelligentes, les vaches, mais lorsqu’elles voient une ouverture, elle prennent le champ, comme on dit. Il faut bien sortir d’un champ pour en prendre un autre. Ce n’est pas nécessairement pour brouter l’herbe du voisin, elles peuvent aussi bien partir marcher sur la route, traverser la rivière et s’arrêter sur un banc de sable. Il est là, le manque d’intelligence. Un mouton irait brouter l’herbe du voisin, pas une vache. En ce qui a trait aux mots de M. Tremblay, pas de danger qu’ils franchissent la clôture, ils ne sont pas assez intelligents.

Je me marrais bien. Je me disais que, à côté des intégristes que vous confrontez en Algérie et ailleurs, M. Tremblay est ce qu’on appelle de la petite bière, du menu fretin. Pour employer un mot résolument homophobe, il a l’air fif avec son petit crucifix. Au Moyen-Orient, la mitraillette est autrement expéditive, surtout quand il s’agit d’une femme.

Bien sûr, M. Tremblay devrait avoir honte. En tant qu’élu représentant une communauté, étendre ainsi toute son ignorance dans les médias est répréhensible et gênant. Mais cela, M. Tremblay ne peut le savoir, car la mentalité de ce monsieur ne voit pas plus loin que la clôture. C’est la culture de l’ignorance. Par définition, un idiot ne peut savoir qu’il est idiot; s’il le savait, il ne serait pas idiot.

M. Tremblay a raison d’avoir peur. C’est pour cela qu’il croit encore impressionner en brandissant un crucifix. Il ne sait pas que vous êtes la Québécoise d’aujourd’hui. Il ne sait pas que vous avez apporté dans vos bagages des problématiques sociales qui seront les nôtres demain matin. Il pense probablement que le mot ‘athée’, c’est un liquide chaud qui se boit à cinq heures.

vendredi 3 août 2012

Vivre à six


Nous sommes cinq à la maison. Deux parents, deux jeunes femmes et un jeune homme, 20, 22 et 25 ans. Depuis hier, nous sommes six. Le petit dernier s'appelle Cancer, Lymphome de Hodgkin, de son petit nom. Cancer est une saloperie de vermine qui s'invite à votre table sans prévenir. Tout d’un coup, il occupe toute la place d'un enfant, celui dont le comportement fatigue vous le voyez dans votre soupe. C’est le p’tit-crisse de la famille.

Si la politesse veut qu'on frappe avant d'entrer, cancer fait l'inverse: il entre, il frappe ensuite. Dans notre cas, tout a débuté par un examen de routine. La Dr Ngo, du CLSC de St-Laurent, a décelé une toute petite bosse dans le cou, tellement petite, même la médecin au premier scan ne la sentait pas. Bref, de diagnostic, en scan, en biopsie, cancer des ganglions s'est installé chez nous. Il n'est pas le bienvenu.

Aujourd'hui, cancer a assisté à un mariage. Il se nourrit de salade fraîche, de poisson, de fromages et de yogourt. Il fait du yoga, du Thaï boxing, du vélo et des longueurs de piscine. Toutes des activités saines, pas très bonnes pour sa santé à lui, bien fait pour sa gueule. Il n'a pas fini ses crêpes.

Dans une semaine, un autre scan l'attend puis, une thérapie visant à l'expulser. Exactement comme un passage à la Régie du logement pour se débarasser d'un locataire véreux. D'après Wikipédia, le taux de réussite est de 90%. C’est bien, mais nous ne prenons rien pour acquis. Nous serons heureux le jour où le médecin nous dira qu’il est complètement parti.

En attendant, ce petit fils de pute va frapper un mur et trouver plus actif que lui. Ma fille va lui montrer à vivre.

lundi 9 juillet 2012

Jouer


Je joue de la guitare depuis 45 ans. Un copain m’a demandé veux-tu acheter une guitare ? 10 piastres. Le soir, mon père acceptait de me donner l’argent. Deux jours plus tard, assis dans la chaise berçante de la cuisine, je contemplais la plus belle guitare au monde, une Kent classique d’une valeur de 45$.

Ce même premier soir, j’ai remarqué que, si je jouais alternativement les cordes 2, 3, 2, 3, 2, 3, j’obtenais le début de la chanson L’eau vive, de Guy Béart, Ma-pe-tite-est-com-me. Mon premier concert s’est arrêté au –me, il a duré six notes. Pour obtenir la note suivante, il aurait fallu appuyer sur la touche 2 de la corde 3, trop compliqué pour une première. Mais le feu était allumé. J’allais apprendre par curiosité et jouer par plaisir, comme aujourd’hui.

La différence entre la curiosité et le plaisir, c’est que la première mène au second. La curiosité, c’est de toucher les cordes pour savoir ce qui va se passer. Le plaisir, c’est d’entendre la musique. Le curieux n’arrête jamais de jouer, il a toujours des cordes devant lui. Les sons irritants qui ont arraché les oreilles à ma famille durant de nombreuses années n’ont été pour moi que de bons moments à passer. D’un son à l’autre, la suite serait toujours un peu plus belle. Ainsi, de cordes en touches à accords, en band, en grattages, en shows au Forum, en écoute de vinyles, en heures de plaisirs, vient un jour où on joue mieux.

Deux ans plus tard, le hasard a mis un technicien de la Place des Arts devant ma guitare. Il l’a accordée. Je venais de découvrir l’équilibre des sons.

Mon père m’a souvent demandé si je voulais suivre des cours. Pas vraiment, je répondais. Une fois, j’ai dit oui. Un prof de l’École de musique du Cegep St-Laurent. Il jouait vite, du jazz. Je n’aimais pas ce qu’il jouait, je le trouvais plate. Surtout lorsqu’il m’a annoncé que je devrais jouer droitier, plutôt que gaucher, et tout réapprendre. Je suis rentré chez moi ébranlé. Sur le chemin, je me suis dit que c’était mon dernier cours avec ce monsieur. Pour la seule fois de ma vie, être gaucher a été un argument identitaire.

Le deuxième prof m’a donné deux cours, avant de se sauver avec le mois que je lui avais payé à l’avance. Il venait de sceller à tout jamais mon désir d’apprendre d’un autre. La curiosité, c’est apprendre des autres, mais par toi-même. J’aurai suivi en tout, trois heures de cours en 45 ans. J’y ai appris beaucoup plus que de la musique. J’ai rencontré deux voleurs : un d’argent, un d’identité.

Les premières années, les joueurs de guitare s’évaluent entre eux par la pièce qu’ils savent jouer. À une époque, jouer Les portes du pénitencier générait un regard d’admiration. Quand George Harrisson a joué Raunchy, de Bill Justis, à John Lennon, il est devenu un Beatles. À une époque, il suffisait de dire qu’Untel joue telle toune, et Untel trouvait instantanément une place dans le palmarès des meilleurs. Comme ce gars qui m’a dit un jour je joue Blackbird. En trois mots, je l’ai vu loin devant moi. Un autre jour, j’ai vu mon copain Richard Nellis jouer I’m going home, de Ten Years After. La version de Woodstock en 1969, Alvin Lee et sa Gibson ES-335 rouge, un moment d’anthologie.

Louis Morin était dans un autre univers. Nous avions 15 ou 16 ans. Louis jouait huit heures par jour sur sa Fender Mustang. Nous allions chez lui, au sous-sol, uniquement pour l’accompagner. Louis jouait des pièces que personne ne connaissait. Il nous faisait halluciner. En même temps, il me faisait filer cheap. Quand je rentrais chez moi, je regardais ma guitare, un vide entre les oreilles.

La pièce qui a décidé de tout, c’est Babe, I’m gonna leave you, de Led Zeppelin. La partie acoustique, cette façon qu’a Jimmy Page de décomposer chaque accord en notes. Je trouvais assez plate de gratter des accords avec un pic. Page me montrait comment raconter un accord de façon plus originale. Tout ce que je joue depuis découle de cette pièce.

Sans prof, sans partition, j’ai passé des heures et des heures devant mon tourne-disque à écouter de minuscules extraits, sans arrêt, pour apprendre chaque note. C’est ainsi que Greg Lake, d’Emerson, Lake & Palmer, et Ian Anderson, de Jethro Tull, sont entrés dans ma vie. Lake, surtout pour The Sage, dans Picture at an Exhibition ; Anderson, énormément pour Thick as a Brick.

On n’a pas assez d’une vie entière pour faire le tour d’un manche de guitare. Si la démocratie existe, elle est là. Chacun devant son manche, à chacun sa chance. J’ai eu beaucoup de guitares, acoustiques, électriques, assez pour me rendre compte un jour que je passerais ma vie sur l’acoustique, la forme unplugged de la guitare, le plus beau des sons.

Pendant très longtemps, jouer les pièces des autres est le passage obligé pour aller ailleurs. C’est aussi très agréable de maîtriser un répertoire plus large. Ainsi, McCartney, Lennon, Harrisson, Clapton, Hendrix, Valiquette, Fiori, Lake, Moustaki, Brel, Félix, Anderson, Page, se sont ajoutés aux pièces que j’avais commencé à composer.

J’ai grandi dans une maison de musique. Mon père avait une belle voix de basse. Dans sa famille, tout le monde chantait ou jouait de l’instrument. Papa chantait partout, dans l’auto, dehors, sur ses chantiers de construction, devant ses clients, dans le champ, la douche, partout. Quand j’ai eu mes enfants, je me suis demandé comment leur offrir un héritage semblable. Je ne chante pas, mais je joue. Ainsi, tous les soirs durant des années, je montais dans leur chambre jouer Frère Jacques et Au clair de la lune pour terminer leur journée. Ma guitare était devenue ma voix.

Plus le temps passe, plus j’aime faire des versions maison de chansons connues. Les mettre à ma main. Et plus le temps passe, moins je joue de versions originales, le plaisir est dans l’appropriation. Et soudain, hier soir, j’ai tout compris.

Au Festival international de Jazz, il y avait Harry Manx et trois musiciens de partout. À eux quatre, ils couvraient cinq continents. Un concert sublime, acoustique, dans la salle neuve tout en bois de l’OSM. Plusieurs pièces originales, plusieurs versions, toutes a-la-Harry-Manx. Harry Manx a compris un jour que toute la musique qui passait par lui devenait la sienne. Celle qui sortait était marquée par lui.

À partir d’aujourd’hui, quand on va me demander ce que je joue, je répondrai uniquement des pièces à moi. Des titres ? Here comes the Sun, version moi, Signe, version moi, Le p’tit bonheur, Le tour de l’Île, versions moi. Et bien sûr, quelques pièces de moi.

La curiosité sert essentiellement à former l’identité. J’ai mis 45 ans à le comprendre.



dimanche 24 juin 2012

Bonjour, monsieur Campana


Dans les années 70, j’ai rencontré au Collège Français le plus fabuleux de mes professeurs. Il enseignait la psychologie au niveau cegep, il était d’origine corse et il s’appelait Paul Campana. Le collège était et est toujours situé rue Fairmount, à Montréal. Plus tard, lorsque j’y ai inscrit mon fils en secondaire IV, je lui ai dit qu’on n’allait pas au Collège Français pour la beauté des locaux, mais pour la qualité de l’enseignement.

Il y avait là de fabuleux professeurs, tous passionnés. Monsieur Goudard en linguistique, messieurs Laralde et Dahan en mathématiques, messieurs Longuemare et Bertrand en philosophie, monsieur Abrassart en français. Et au niveau supérieur, il y avait dans mon panthéon, monsieur Campana.

Lorsque monsieur Campana enseignait la psychologie, il parlait de philosophie, de musique, de karaté, d’astronomie, de physique, d’anthropologie, de sociologie, d’histoire, de mathématiques, il n’y avait pas de fin. Ses cours étaient des récits ininterrompus de matières et de connaissances. Ils me semblaient universels, j’étais vissé à ma table, directement branché sur un fabuleux voyage. La meilleure façon de faire grandir nos passions, c’est de rencontrer celles des autres.

Pour des raisons de salles de billard et de bars, les 5116 et Idéfix, mon cegep a traîné durant six ans. C’est long, mais cela m’a permis de suivre huit cours avec mon mentor. Une fois à l’université, j’allais le consulter, lorsqu’il était question de psychologie. Mon prof de psycho à l’UQAM enseignait comme un raisin sec.

Quelques années plus tard, j’ai appris que monsieur Campana retournait en Corse. Il partait demain. Je l’ai appelé pour lui dire bonjour et merci. Il ne se rappelait plus de moi. Mais c’était trop tard, le bien était fait dans ma vie.

Aujourd’hui, j’enseigne à la Faculté de l’Éducation Permanente de l’Université de Montréal, un cours de Rédaction et Communications publiques. L’écriture publique, dans les secteurs de la publicité et des relations publiques.  Mon cours est basé sur une dynamique de réflexion, d’anthropologie, de stratégies, de communication, de musique et ainsi de suite.
Bonjour, monsieur Campana.

Carré rouge et carré de sable


Dès le début de la grève étudiante, février 2012, j’ai dit à ma fille Camille que les montants en jeu ne me paraissaient pas valoir une grève. Je n’ai pas changé d’idée. Une hausse de 325$ par année durant cinq ans, l’équivalent d’une semaine de travail au salaire minimum, cela me semble bien peu. Une hausse de 75% après cinq ans a l’air faramineuse, mais 75% de pas grand chose égale pas grand chose. Camille a voté en faveur de la grève et elle n’a pas changé d’avis, 17 semaines plus tard.

Je dois faire partie d’une vieille génération. Quand il était question chez moi de problèmes liés à l’argent, papa disait on travaillera une couple d’heures de plus. Je ne suis toujours pas convaincu. Je ne parle pas des grands principes, de la gratuité scolaire, du néolibéralisme et tout ça, c’est autre chose, quoique.

La gratuité scolaire est un jeu de mots. Ce qui ne sortira plus de la poche des étudiants viendra des taxes et des impôts de leurs parents. Quatre trente sous pour une piastre. À ce prix, je veux bien.

Ceci dit, j’ai dit à Camille profites-en, vas-y, milite, tu vas apprendre plein de choses que l’école ne t’apprendra jamais. L’école enseigne-t-elle davantage quand elle est fermée?

Mon ami Bory Seyni est journaliste à Niamey, au Niger. Un jour, il m’a emmené voir le Sahara. C’était un énorme mur de vent chaud soufflant vers le sud. Tellement chaud, les arbres deviennent de la pierre. Le vent transforme les arbres en sable, à raison d’un kilomètre par année.

J’ai connu Bory à l’UQAM en 1981, durant nos études de Maîtrise en Communications. À l’époque, Bory était rédacteur en chef du Sahel, le seul journal de son pays. Il a plus tard fondé l’hebdomadaire Le Démocrate.

Pour faire une histoire courte, Bory a déjà été battu par un ministre du gouvernement nigérien pour avoir trop bien informé ses lecteurs. L’histoire a fait le tour d’internet. Il a aussi émigré durant plusieurs années au Sénégal pour assurer sa sécurité. Il est maintenant de retour chez lui. À propos de la grève chez nous, Bory écrit: Vu d'ici, cela a l'air d'un jeu de "petits bourgeois" bien rassasiés. Au Sahel, c'est la famine et la guerre. Je redoute simplement que l'Amérique y vienne avec ses gros sabots par le canal des Nations unies. Comme en Afghanistan. Mais le pire n'est jamais sûr, n'est-ce pas ?

Cela a l’air loin de nous tout ça, le Niger, la guerre, et pourtant. Il y a 10 mois à peine, j’ai fait un séjour de six semaines au Mali, le pays voisin, pour écrire un plan de communication, dans le cadre d’un grand projet démocratique du gouvernement du Mali. Aujourd’hui, 10 mois plus tard, c’est le chaos là-bas. Plus de projet de démocratie, on parle de la sharia, d’Al Qaida au Maghreb islamique, des rebelles Touareg, exit la démocratie. L’idée même d’y aller n’est plus une bonne idée. La guerre est un peu dans ma tête parce qu’elle est dans la cour de mon ami.

Dix-sept semaines de grève à 200 000 étudiants, cela fait 3 400 000 semaines de perdues. Je veux bien, le printemps érable, les chaudrons et tout ça. Je ne peux m’empêcher de penser quel maudit gaspillage.

samedi 19 mai 2012

Lettre à Jean Charest

Montréal, le 19 mai 2012.



Monsieur Jean Charest
Premier ministre du Québec


Bonjour, M. Charest,

Pour la seconde fois au moins dans votre troisième mandat, vous êtes allé trop loin. Remarquez, je l'avais dit à ma fille, il y a de cela 14 semaines. C'était en février, le CEGEP St-Laurent entrait en grève. Ma Camille avait décidé de voter en faveur. La connaissant, je savais très bien qu'elle s'engageait pour de bon, elle n'allait pas changer d'idée en cours de route. Je le réalise en l’écrivant, sa détermination était à l’image de celle des carrés rouges pour la suite des choses. Dans son esprit, vous étiez le premier interlocuteur du Québec.

Je ne veux pas me prononcer à sa place, elle a peut-être pensé que vous étiez son Premier ministre.

Ma première réaction a été de lui dire Tu crois vraiment que Jean Charest va changer d'idée? Et de lui expliquer comment le Québec entier avait tenté de vous convaincre, sans succès, de tenir une enquête publique sur l'industrie de la construction. Chaque jour, ou presque, pendant près de trois ans, les médias transmettaient la même demande d'enquête. Chaque jour, ou presque, pendant près de trois ans, les médias transmettaient votre même réponse, laissons la police mener ses enquêtes.

Pour avoir subi ce long supplice médiatique, je pouvais affirmer sans risque de me tromper que vous adopteriez la même attitude face à la grève. Je ne pouvais prédire la loi spéciale votée hier, mais votre attitude, oui.

Ces 14 semaines ont généré un grand nombre de conversations avec Camille. Je lui ai expliqué bien des choses à propos de la légalité, de la violence et de la paix sociale.

De son côté, elle m'a fait comprendre que sa voix et ses choix comptent, pour devenir une jeune femme. J'ai compris que, même si je paie ses frais de scolarité, je dois lui laisser porter la parole. Ce n'est pas tant ma société qui est en train de changer, mais la sienne. Enfin, par dessus tout, j'ai compris que ma génération, qui est aussi la vôtre, a le devoir de ne pas humilier la sienne. Vous avez des enfants, vous savez ce dont je parle.

En fin politicien que vous êtes, vous devez certainement avoir reconnu, en ces trois jeunes leaders étudiants, vos pairs. Pour la première fois, vous faites face à des gens qui adoptent la même attitude, la même intransigeance que vous. Même les chefs syndicaux ont été dépassés. Lors de la rencontre durant les événements de Victoriaville, Michel Arsenault, président de la FTQ, a dû rappeler aux leaders étudiants que dans une négociation, il faut concéder. Michel Arsenault respecte la loi. Les jeunes leaders étudiants respectent les idées. Comme vous, les jeunes ne concèdent rien. Mais vous disposez d’un avantage sur eux, le pouvoir. C’est pour cette raison que vous avez l’obligation de parler directement à ces jeunes. Or, en ce moment, tout se passe comme si, pour s’adresser à ses enfants, le père passait par la mère. Vous avez adopté la force dans le silence.

Aujourd'hui, des reproches vous assaillent, aussi bien du Barreau du Québec, que de citoyens et de syndicats. Curieusement, les mêmes noms que lors de la demande d’enquête sur l’industrie de la construction, reviennent.

Depuis 14 semaines, Camille et moi avons beaucoup avancé dans notre conversation et nous partageons la même zone grise. Nous ne comprenons pas votre attitude. Nous ne comprenons pas cette absence de dialogue de votre part. Nous ne comprenons pas pourquoi vous n’agissez pas en père de famille.

En ce lendemain de loi spéciale, les jeunes sont redescendus dans la rue. Depuis quelques jours, des policiers se disent fatigués. Ils ne sont ni formés ni payés pour taper sur des jeunes. Depuis des semaines, les parents, les jeunes, les professeurs, les citoyens sont excédés. Depuis hier, la désobéissance civile est à nos portes. À ce moment, le train est apte à dérailler. Ce n’est pas grâce au dialogue. Combien de temps pensez-vous tenir ainsi ?

La dimension humaine manque cruellement à votre approche. Jusqu’ici, vous vous en êtes montré totalement dépourvu. En l’absence de sensibilité, vous passerez à l’histoire comme le premier ministre d’un rendez-vous manqué. Il est question ici non pas seulement de flair politique, mais d’un minimum d’échanges et de curiosité. 


Luc Panneton
Ville St-Laurent

vendredi 18 mai 2012

Les vrais amis sont dans la rue

En ce 18 mai 2012, une question mathémathique pour cégépiens : comment fait-on pour perdre six mois dans une année qui n’en a fait que cinq?

Réponse : il suffit d’avoir à la maison deux cégépiens en grève durant 13 semaines, 26 semaines = six mois. Six mois de grève en cinq, quatre en réalité, tout a débuté en février. Multiplié par 200 000 étudiants en grève, j’arrête ici la recherche du temps perdu.

Si on ajoute que mon fils ne retournera pas terminer sa session, le travail d’été l’ayant remporté sur l’écoeurement, cela fait neuf mois. Ajoutons le stage humanitaire, crédité et annulé, de ma fille, 10 mois. Et je ne parle pas du mois supplémentaire qu’elle comptait faire en Équateur, ni des offres d’emplois refusées pour partir dans le sud, ni de son entrée incertaine à l’université en septembre.

En ce 18 mai, nous en sommes donc au 600 000ème mois de grève cette année. Le 16 mai, dans le journal La Presse, la journaliste Marie-Claude Lortie écrivait la grève, plus capable. Bien d’accord, faisons donc contre mauvaise fortune bon coeur.

Pour consoler un père, mieux vaut compter les dommages collatéraux de la grève en termes qualitatifs que quantitatifs. Parce que si cela était, je dirais ce que je dis depuis le début : toute cette grève pour 325 $ d’augmentation de frais de scolarité par année durant cinq ans? Vous êtes dans le champ, ma Camille. Tout cela pour l’équivalent d’une semaine de travail au salaire minimum? Cela n’en vaut pas la peine. Si nous parlions de 10 000 $ d’augmentation, j’imprimerais vos pancartes de protestations et je vous les livrerais dans la rue.
Mais 325 $? Une farce.

Au bac à l’UQAM, j’ai été de tous les conseils étudiants et de toutes les grèves. C’était au pavillon Read, angle St-Alexandre et La Gauchetière, avant le pavillon Judith-Jasmin. Pour franchir la porte d’entrée, il fallait contourner le marxiste-léniniste de service qui vendait son journal. Nous nous foutions bien de sa gueule, il devait boire de la grosse Black Label. Et quand il y avait grève, nous faisons des chaînes téléphoniques pour demander à nos collègues d’aller voter et de tasser ces marxistes qui tentaient de noyauter les assemblées. À cette époque, Charlebois chantait entre deux joints, tu pourrais te grouiller le Q. Nous n’avions rien à cirer de Marx ni de Lénine, mais être contre, c’était le fun, trois années de purs plaisirs.

C’est ce que je dis à Camille, impliquée dans son carré rouge. Je ne crois pas à votre cause, mais vas-y, amuse-toi. Lève-toi à 3h pour aller empêcher l’administration d’entrer à 5h, vas-y. Va piqueter à fond, c’est ça, vivre. Mais 325 $? Fais seulement en sorte que ton oeil ne se trouve pas devant une balle en caoutchouc. Pour le reste, vas-y, tu le ne regretteras pas. L’insouciance et la naïveté font partie de la jeunesse. L’idée, c’est que, avec l’âge, elles ne vieillissent pas trop vite.

Le truc pour les parents, c'est de ne pas pogner les nerfs. Pas toujours évident. Je paie les frais scolaires, cette grève est la mienne par la bande. Mais dans les faits, Camille est le moteur de sa grève. Ma job, c'est de l'encourager. D’où une longue conversation depuis février. Toutes sortes d’échanges à propos de la légitimité, de la police, de la politique et de la communication. Des lettres d’étudiants que Camille me fait suivre, en demandant chaque fois mes commentaires. Durant cette grève, Camille est en train de devenir une jeune femme.

Il y a eu des erreurs de part et d'autres. Il y a aussi eu d’excellents coups de la part des étudiants, ils ont montré une grande intelligence dans leur parole et dans leurs gestes. La marche des 200 000 était tout simplement magnifique. Comme quoi l’intelligence peut impressionner autant que la violence. Autre acquis, il me semble qu'il y a moins de temps passé devant Facebook. Les vrais amis sont dans la rue.

mercredi 25 avril 2012

Les mooks



C’est une histoire dont l’enjeu est le temps.

En France, le nouveau phénomène journalistique s’appelle mooks, contraction des mots ‘magazine’ et ‘books’. Un mooks se situe quelque part entre la lecture à consommation rapide et celle à déguster lentement. Le fondateur de la lignée des mooks s’appelle XXI, un généreux pavé trimestriel de 200 pages, écrit par des journalistes, photo-reporters, auteurs et bédéistes. Une maquette à l’italienne, notre format télé 16/9, des articles inédits, un graphisme dynamique et aucune pub. Au sujet de lui-même, XXI écrit qu’il ose l’inverse de pratiquement tout ce qui se fait dans la presse aujourd’hui.

XXI a été co-fondé à l’hiver 2008 par le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry, prix Albert Londres. Il n’y a pas de hasard, Albert Londres est le modèle français du grand reporter. Dans les années 20 et 30, il partait durant six mois s’imbiber de son sujet, qu’il racontait ensuite en 30 pages de journal, à raison d’un page par jour. Dans un livre, un reportage d’Albert Londres s’étale facilement sur 115 pages. Il faut lire Le juif errant est arrivé, un reportage sur la vie des communautés juives d’Europe de l’Est d’avant 1939. Le texte de Londres en vient à sentir les égoûts et la misère. Or, faire émaner des odeurs d’un texte demande un certain temps à l’écriture.
 
Cent-quinze pages de livre, c’est la longueur d’un documentaire à la télé. À l’instar du grand reportage, le documentaire raconte une histoire que l’auteur a mis du temps à comprendre, à mettre en contexte et à raconter, ce que les médias ne font plus. À la fin du documentaire, nous comprenons d’où viennent les rides.

De nos jours, le reportage télé, l’article de journal et les médias sociaux ne peuvent plus se payer le luxe de faire cela. Et surprise, XXI a déclaré des bénéfices dès le premier numéro.

Aussi curieux que cela puisse paraître, il n’est pas donné à tous d’apprécier la notion de temps en 2012. Les jeunes d’aujourd’hui naissent le visage dans un écran. Depuis tout jeunes, ils sont systématiquement interpellés par le numérique. Ils ne savent pas ce que veulent dire trois mois de vacances, sans média, à ne pas savoir que faire du temps. Ils doivent réapprendre le temps, la denrée rare du XXIè siècle.

Un jour, dans un cours universitaire, un prof a demandé à la classe de ma fille d’éviter tout contact avec un média durant une semaine. Pas de cell ni d’internet, de SMS, d’ordi, de télé ou de radio. Une semaine. Elle l’a fait, pour réaliser la place omniprésente qu’occupent les médias dans sa vie et la place relative qu’ils pourraient occuper. En réalité, son prof lui a offert une semaine de temps, cadeau rare de nos jours.

Les raisons du succès des mooks sont multiples. Un marketing à contre-courant de l’information instantanée ambiante, de longs textes opposés aux 140 caractères Twitter, le papier contre le numérique, l’indépendance éditoriale sans pub VS la dépendance avec la pub. XXI et les mooks, c’est aussi et surtout, une victoire du documentaire et le retour du grand reportage. C’est le temps qui reprend sa place devant l’instant.

En France, le père des mooks n’est plus seul : Usbek et Rica, Schnock, Charles, Ravages, Feuilleton, le Tigre, l’Impossible, le Majeur, Clés, Badabing, We demain, Zmâla, Di6dent, le Believer, Muze, Crimes et châtiments, 6 mois, France Culture papiers ou Alibi, jouent du coude sur les tablettes. Trouverons-nous le temps de lire tout ça?


XXI en ligne : http://www.revue21.fr/ ;
Aussi, les mooks selon le quotidien Marianne : http://www.marianne2.fr/Les-mooks-jouent-les-meneuses-de-revue_a217037.html .

vendredi 6 avril 2012

Les voleurs d'imaginaire


Dans les années 80, je me suis promené sans radio dans la voiture. J’avais acheté une Volkswagen Rabbitt 1981 pas de radio. Comme j’en possédais déjà une, je l’ai rangée dans le coffre, en attendant la faire installer. De fil en aiguille, la radio est restée dans le coffre. Quand j’ai changé de voiture quatre ans plus tard, la radio est allée rejoindre le coffre de la Peugeot 504. Cela a duré 10 ans. Pas de radio dans l’auto. Toute la période du disco. Je n’ai pas manqué grand chose, trois tounes max. Dans mon esprit, les trois plus belles tounes de disco ont été écrites par des rockers: Staying Alive, des Bee Gees, Miss you, des Rolling Stones et Da ya think I’m sexy?, de Rod Stewart. À part ça, le désert.

On fait quoi, 10 ans, pas de radio dans l’auto? On imagine. Je pensais à toutes sortes de choses en regardant la route, les panneaux, les vaches, les lignes blanches, l’esprit libre. Du vagabondage. On pense à nos affaires ou à rien. Dans tous les cas, cela devient assez agréable. L’habitude du silence, qui n’en est pas vraiment un, vient rapidement.

Dix ans en auto, c'est 400 000 kilomètres, environ 10 fois le tour de la Terre. Le temps d’imaginer en roulant des caravanes de chameaux dans le désert, d’écouter le vent des pôles, le hurlement des loups, les bonhomme sept heures de mon enfance, la prière du matin au royaume d’Allah et le son des bidonvilles. Avec la radio, j'aurais raté tout ça.

Je repensais à cette période il y a deux semaines. Je quitte l’Université de Montréal, sur Côte-des-Neiges, pour rentrer à Ville St-Laurent. Un flash, je rentre à pied. Une heure et demie sans radio ni écouteurs. En chemin, je me joue la très belle pièce Pauvre Rutebeuf, écrite au Moyen-Âge. Pas d’iPod, pas d’écouteurs, tout dans ma tête.

Que sont mes amis devenus?
que j’avais de si près tenus
et tant aimés?

Chanté par Nana Mouskouri, c’est plutôt céleste. Ce n’est pas tant pour Nana que pour la partition de guitare de Georges Petsilas, son mari (http://www.youtube.com/watch?v=_ztc55sZs3o ). Aussi simple que magnifique. Dans ma version Côte-des-Neiges, c’est moi qui joue et Nana ne chante pas. C’est la beauté de la chose pas de radio, je suis mon DJ, chaque partie a son volume, les versions n’ont pas de fin. Le temps de le dire, je serai chez moi.

Je descends donc la Côte-des-Neiges, direction nord. J’ai le vent dans le dos. On dit du vent qui souffle vers le nord qu’il est du sud. Sur le parterre, au chalet, à La Conception, je voyais bien les nuages noirs arriver parfois par le sud. C’était leur chemin naturel, nous étions au creux de la Vallée de la Rouge, une méchante caisse de résonnance pour le tonnerre. C’est dans cette vallée que j’ai appris à lire la météo. De la rosée dans le gazon signifiait une belle journée demain. De même, le rose dans le ciel en début de soirée. Pas de rosée annonçait de la pluie. On disait de même lorsque les feuilles des arbres qu’elles étaient à l’envers, à cause du vent. Et quelques minutes avant l’orage, le métal devenait légèrement iridescent, encore plus métallique, comme s’il contenait l’électricité de l’éclair. Je ne sais pas pourquoi, l’orage du sud me semblait plus menaçant que celui du nord. Celui-là me semblait naturel. Et me voilà à l’angle de Jean-Talon.

De la Côte Sainte-Catherine à Jean-Talon, il y a un mille. De Jean-Talon à Crémazie, un autre mille ; de Crémazie à Côte-Vertu, de Côte-Vertu à Henri-Bourassa, et de Henri-Bourassa à Gouin aussi. Ce sont les mesures anciennes des terres : un lot, 100 acres, égale un mille de long par 850 pieds de large. Comme j’habite près de Côte-Vertu, ma marche mesure près de trois milles. En chemin, je croise des passants, les écouteurs blancs dans les oreilles, je me dis je suis chanceux, j’écoute la musique de mon goût avec, en fond, les sons de la ville.

L’imagination est un espace qui demande du temps pour se développer. Or, de plus en plus, la technologie envahit cet espace, les lieux autrefois privés. Aujourd’hui, tout le monde peut couper le gazon, passer la souffleuse, jogger, marcher main dans la main, un iPod pour deux, chacun un écouteur dans l’oreille, faire du vélo les écouteurs vissés sur la tête. À quand la musique en nageant des longueurs de piscine? Faut-il avoir hâte?

Bien des parents occupent les enfants devant un écran. Quand ce n’est pas un film de Walt Disney, c’est la télé ou l’ordi. Et maintenant, quand on voyage dans un véhicule sept passagers, on fait le tour de la Gaspésie en écoutant des films à bord. Il faut garder les esprits canalisés vers l’écran. Y a-t-il de quoi de plus beau que de regarder les paysages filer et de ne penser à rien?

Imaginer, c’est voyager seul sans frontières. C’est plutôt inspirant comme exercice. Imaginer, c’est prendre le contrôle de notre vie, du travail, des amours, de l’avenir. C’est un retour aux sources. La technologie freine tout cela en nous distrayant. Elle nous offre une soi-disant présence rassurante, à tel point que, pour beaucoup, couper le volume angoisse. Remarquez un silence en groupe. Il ne se passera pas longtemps avant que quelqu’un signale son inconfort.

Quelle est la grande différence entre l'univers de mon enfance et celui de mes enfants? Mes enfants passent beaucoup plus de temps devant quantité d'écrans remplis d'informations, de jeux, de films, de variétés, etc. Tout ce temps, ma génération l'utilisait essentiellement à l'imagination libre. Nos jeux n'étaient jamais médiatisés, ils ne passaient jamais par une console, une télé ou un ordinateur, ils se vivaient toujours live, entre copains. Exemple pratique: les premiers blocs à assembler Lego permettaient de construire n'importe quelle structure, fut-elle grossière. La limite était celle de l’imagination. Aujourd'hui, un ensemble Lego construit un bateau, une maison ou un cheval, un seul à la fois, pas deux ni trois. L'imagination des enfants a été rayée de la liste des invités. Elle a été remplacée par leur capacité mimétique, tu regardes le plan et tu le reproduis.

Qui gagne à ce que nous perdions une partie de notre temps d’imagination? Les réseaux numériques. Ils sont sociaux, radio, télé, CD, DVD, Wii, www, iTunes, Facebook, Twitter, LinkedIn, Friendfeed, Myspace, Gowalfa, La Coolpool, Flickr, Viadeo, Foursquare, Reddit, Digg, Dailymotion, Weibo, Basecamp, Webwag, la liste est longue. Ce sont eux qui nous tiennent occupés à produire la nouvelle actualité: A aime Tourisme-Québec, B a commenté sa photo, C aime le lien de D, E aime la photo de F et le lien de C. Bien sûr, il y a aussi du bon, mais il y a surtout beaucoup de temps passé sur ces réseaux. Au fil des années, ils ont pris d’assaut nos temps libres pour nous faire écouter, regarder, mimer, chatter, full participer aux jeux. Beaucoup d’agréments et surtout, beaucoup de temps passé devant des écrans. Le temps autrefois libre est maintenant accompagné d’images et de sons.

Ces réseaux, ce sont les voleurs d’imaginaire, aussi appelés ère du divertissement.