dimanche 17 avril 2022

La face collée au mur


L’infirmière m’attend, au fond de la salle de prélèvements.


Elle m’indique un fauteuil, semblable à celui d’un dentiste, mais mauve.


Je fais face à un mur blanc. Idéal pour projeter des films Super 8.


- À l’école primaire, pour nous mettre en pénitence, la maitresse nous faisait tenir debout devant un mur.

- Dans mon village, ma grand-mère était l’enseignante au primaire. J’avais d’affaire à me tenir tranquille. Il n’était pas question de l’appeler Mémère, comme à la maison.

- Quand vous reveniez à la maison, vous n’aviez pas d’excuse.

- Ma cousine l’appelait Mémère à l’école. Elle se retrouvait souvent devant le mur.


Autour, les infirmières racontent des souvenirs de la petite école.


Nous sommes des mémères de ruelle.


L’infirmière petite-fille de l’institutrice remplit ses fioles.


- Vous faites le plein de régulier?


Il se dit beaucoup de niaiseries dans une salle de cinéma.


- Votre grand-mère avait-elle été formée pour enseigner?


- C’était une école de rang. Elle avait probablement été choisie parce qu’elle avait le tour avec les enfants. Comme Émilie Bordeleau, dans Les filles de Caleb.


La scène des Filles de Caleb dont je me souviens, c’est le regard de feu entre Ovila et Émilie, pendant que l’étalon fricote la jument dans l’enclos. Une pièce d’anthologie.


Je ne l’ai pas dit à l’infirmière.


Elle retire l’aiguille de mon bras.


La maitresse pensait nous mettre en pénitence, la face collée au mur.


En réalité, nous étions aux premières loges.


Le film de notre vie.