mercredi 31 janvier 2024

Soupe aux lentilles

 


Des activistes lancent de la soupe sur une vitre, au musée du Louvre.


Émoi à travers le monde. Derrière la vitre se trouve « La Joconde », de Léonard de Vinci.


Les médias disent que le geste visait la toile.


Tout le monde sait que si on lance de la soupe sur la Joconde, elle s’arrête sur une vitre blindée.


J’y suis allé, je vous l’aurais dit.


« Voir » la Joconde est grand mot. On l’aperçoit.


Il faut faire la file. Arrêter devant la toile quelques instants. Repartir.


La vitre impressionne autant que la toile.


La pièce, la foule, les gardiens, la Joconde, le blindage, font l’événement.


Une paranoïa.


Les activistes ont lancé la soupe au visage des caméras.


De la soupe aux lentilles.





mercredi 17 janvier 2024

La tour


Je connais les mots pour décrire la curiosité.

Milán. Milano. Tilou. Petit poulet.


Lorsqu’il m’a tendu les bras, ce n’était pas pour faire des gazous dans ceux de son grand-père.


Une fois en hauteur, Milano a pointé du doigt la poêle dans laquelle son père faisait frire des œufs.


Cinq œufs. Quatre tournés et un brouillé. Celui de Milano.


Plus je m’approche de la poêle, plus le petit penche le corps vers l’avant.


Les yeux vissés dans les œufs.


Le verbe frire ne se conjugue pas au pluriel. On n’écrit pas Les oeufs frient. Les oeufs sont en train de frire.


Le son de friture est le même que celui d’une douche ou de la pluie. Un son blanc.


Les yeux de Milano sont de couleur feu.


La curiosité est un volcan.


Il est rivé à ses oeufs et moi, à ses yeux.


Milano a 16 mois. Dans la cuisine chez lui, il monte les trois marches d’un petit escabeau en bois.


L’escabeau s’appelle une tour. Une tour pédagogique, dit la notice. C’est fou, ce qu’on peut faire dire aux mots pour les mettre en marché.


Le pédagogique n’est pas la tour, mais ce que l’enfant en fait.


Un jour, sur un bateau d’excursion, ma jeune fille s’est amusée pendant une heure et demie avec un contenant de jus vide et une paille.


Elle a créé un jouet en jouant avec.


Le contenant ne contenait pas de jus pédagogique.


Une tour imaginaire rapproche des nuages. Comme la proue du bateau rapproche de New York.


Une tour de trois marches élève la curiosité.


Ces trois marches n’appartiennent qu’à Milano.


Du haut de son perchoir, il observe le monde au même niveau que ses parents. Il se tient debout, protégé par une petite barrière.


Sans les marches, Milano aurait attendu six ans pour atteindre ce niveau.


Dans mes bras, il se tient à hauteur de 18 ans.


Tilou observe sa mère préparer des panais.


Milano donne un coup de pouce à son père pour démarrer la cafetière.


Trois marches pour atteindre un moment précieux en famille.


Nous allons manger.




mercredi 3 janvier 2024

La page lisse

 

Un exemplaire du Petit traité sur le racisme, de Dany Laferrière, m’attend, sur une tablette de la Grande bibliothèque, la BAnQ.


Un livre brillant, à des lieues des lieux communs.


C’est Tableaux d’une exposition, de Moussorgski.


L’écrivain accroche des tableaux: Rosa Parks, Birmingham, Martin Luther King, Malcom X.


Chaque tableau évoque un épisode de l’histoire des tensions raciales aux États-Unis. Le racisme, c’est un être humain qu’on a tué ou qu’on cherche à tuer, et non un concept, écrit l’écrivain, en quatrième de couverture.


Sapiens est la seule race à s’auto diviser en races. Elle peut bien être mêlée.


D’un tableau à l’autre, le lecteur forge son opinion.


Je suis intrigué par la page de garde de mon exemplaire.


Le dessin en couleurs de feuilles de lierre est manuscrit.


Il rappelle ceux des romans illustrés de Dany Laferrière. Vers d’autres rives, L’exil vaut le voyage, Autoportrait de Paris avec chat, Sur la route avec Bashō, Dans la splendeur de la nuit.


Un dessin, fait exclusivement pour cet exemplaire.


Il est accompagné d’un mot de 26 mots: 13 septembre 2022. Je suis assis à la Grande Bibliothèque à glisser ces mots sur la page lisse en pensant à vous avec tendresse. Dany Laferrière 


Je suis assis dans le fauteuil de Dany Laferrière.


Me voilà devenu écrivain.




mardi 2 janvier 2024

La promesse de l'écrivain

 

Le livre est le plus ancien écran de ma vie.


C’était les bandes dessinées, dans le quotidien La Presse du samedi, Tintin, Spirou. Les histoires de l’oncle Paul.


L’Aéropostale. Mon premier voyage.


L’Aéropostale, Service quotidien pour l’Espagne, le Maroc et l’Algérie, écrit l’affiche.


Les pilotes, Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet.


Le Sahara, les pannes, les mécanos, les Touareg.


L’école primaire ne m’a rien fait imaginer d’aussi durable.


Le livre est l’équivalent de la radio. J’imagine par les yeux. J’imagine par les oreilles.


J’ai voyagé tout l’été à Montréal, à Petit-Goâve et aux États-Unis, avec Dany Laferrière comme guide.


Dans Chronique de la dérive douce, il repasse ses premières années ici. Le travail d’usine.


Dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, il repasse ses premières années ici, dans sa chambre et les bars de la rue St-Denis.


J’ai vécu l’UQAM à cette époque donc, les mêmes bars. Étudiant à l’UQAM, quelle contradiction, disait le chargé de cours René Pelletier. Je la ris encore.


Le voyage atteint un sommet dans la nouvelle Une maisonnette au flanc de cette montagne bleue (Vers le sud, pp.95-110).


Une dame pas bourgeoise vit à l’étroit dans la bourgeoisie de sa famille. Elle part en vacances bourgeoises dans les Îles. Comme Rose, dans le film Titanic.


Le premier jour, un insulaire lui fait savoir qu’il est là pour elle. Que sa maisonnette donnant sur la mer est là pour elle.


Le lendemain, la dame annonce à son mari c’est fini mon kiki. Elle prend ses cliques et ses claques et déménage chez l’insulaire.


Quinze pages de grande beauté.


Mon roman des romans: Vers d’autres rives.


Un récit en images, non paginé. Tu entres dans l’histoire où tu veux.


Vers d’autres rives, c’est la promesse de l’écrivain.





Da


Je suis le fils de Marie et le petit-fils de Da, écrit Dany Laferrière. Deux honnêtes femmes qui ont nourri pour moi les rêves les plus grandioses. Je ne saurais me contenter de miettes, je veux le gâteau tout entier. (Je suis fatigué, p. 48).

La plus grande de toutes les chances est d’avoir une grand-mère.


L’odeur du café, Le charme des après-midi sans fin, sont des récits d’enfance chez sa grand-mère Da, à Petit-Goâve. Deux ouvrages chauds pour allonger le temps du plaisir.


Dany Laferrière est un écrivain documentaire. Ses récits portent le titre de Journal, Chronique, Roman ou autre. Pour moi, c’est du pareil au même. Un texte raconte une histoire.


Je suis frappé par la cohérence de l’ensemble.


Le récit se tient au niveau de la rue. Je vois les lieux. Je devine les gens. Certaines anecdotes repassent. Elles sont les mêmes, peu importe l’angle du regard.


Dès que le récit monte vers les nuages, je suis largué.


Tout ce qu’il écrit s’est passé. Chez Gabriel Garcia Marquez, tout ce que je lis est imaginé.


Vrai ou pas n’a aucune importance. Le voyage mène ailleurs.


Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo est un ouvrage à deux vitesses. Dany Laferrière raconte son amitié nouvelle avec Mongo.


La première partie fait référence aux chroniques de l’écrivain à l’émission de Franco Nuovo, Dessine-moi un samedi, à la radio de Radio-Canada. Captivant.


La deuxième partie ne fait plus référence à ses chroniques. Pas captivant.


Dans Chronique de la dérive douce, il donne à Mongo une autre perspective. Ça commence à la page 70.


Ce qui nous emmène à une femme blanche et un homme noir. Le rapport de force est constant.


Dans les mots de l’écrivain, la Blanche est en haut. Le Noir est en bas. La distance se trouve dans les têtes et dans l’Histoire.


La Blanche est considérée comme supérieure au Noir mais le Blanc est supérieur à la Blanche, dit Dany Laferrière à Denise Bombardier, à l’émission En tête, le 8 novembre 1985. C’était le lendemain du lancement de son premier roman.


C’est pourquoi il ne peut rien se passer entre un Blanc et une Blanche. Le Nègre est considéré comme supérieur à la Négresse. Il ne peut rien se passer entre un Noir et une Négresse. C’est foutu. Mais au milieu, entre une Blanche et un Nègre, alors là, il y a toutes les possibilités.


Dans le lit de l’écrivain, le Noir est en haut.


Un stéréotype est une règle de trois. Des hommes modernes, un sujet et une perception.


Partout ailleurs, l’écrivain conquiert moult conquises blanches, asiatiques ou noires.


Il les domine toutes.


Seule Hoki, la photographe japonaise d’Eroshima, l’a viré.


La seule fois où l’écrivain est devenu gaga, c’est avec Vava.


En plein dans la jeunesse.