Au Musée des
Beaux-Arts de Montréal, une des premières toiles de l’exposition montre trois
violonistes gauchers. Ils s'appellent Gilles, Luc et Paul, les trois fils
gauchers de ma mère. Chagall a peint cette toile pour nous. Je m’y vois très
bien avec mes frères. Trois gauchers sur six enfants, c'est une bonne moyenne.
La nature
humaine est imparable lorsque vient le temps de tout ramener à elle.
Je visiterai
la suite de cette exposition au Musée des Beaux-Arts en me demandant si le
gaucher fait partie du fantasme russe. Ou l’inverse : un fantasme peut-il
être gaucher ?
Un des
fantasmes de Chagall n’est pas tant le gaucher que le violon est sa muse.
La première dimension
de Chagall, ce sont les courbes. Elles donnent une impression de flottement,
comme un enfant dans le sein de sa mère.
Philémon est
probablement un Chagall. Fils de Fred, Philémon est un jeune homme planant, aux
cheveux hirsutes noirs et au chandail rayé bleu et blanc, à la Jean-Paul
Gaultier. D’une bande dessinée à l’autre, Philémon rêve de trouver le passage
pour se rendre sur le A de l’océan Atlantique. Un autre qui flotte dans le sein
de sa mère.
Chagall
avait 46 ans lorsque Fred est né. La filiation est évidente.
Les courbes
de Chagall emplissent l'espace comme un cercle tourne rond. La dernière fois
que j'ai ressenti une telle sensation, c'est en lisant Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Ce livre laisse
l'impression d’un vertige en spirale. La spirale de Marquez et les courbes de
Chagall sont curieusement issues d’un support plat, le papier et la toile.
Le vertige
est un sentiment d'apesanteur à l'intérieur de nous-mêmes. L'intérieur cherche
à flotter dans un corps fixe. Le vertige est un décalage.
La deuxième
dimension de Chagall est en réalité la troisième. Du bout des doigts, je vais
chercher dans la toile la robe d’une femme et la dépose sur un mannequin
derrière moi. Me voilà devant un personnage de pièce de théâtre ou de carnaval,
en trois dimensions. Je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée. Une
quinzaine de personnages entourent le mien. Sur une toile ou un plancher, Chagall
est de la même dimension.
Prenez
Tintin, sortez-le du cadre, déposez-le sur le plancher. La magie reste dans le
cadre. Le dessin de Tintin est l'antithèse de celui de Chagall. Hors du papier, il est ordinaire. Son adaptation au cinéma est du passé. Les figurines en
3D manquent de magie. Même l'adaptation en dessins animés du cinéaste Stephen
Spielberg n'a pas passé l'épreuve. La magie de Tintin, c’est une ligne claire
sur du plat.
Je suis
retourné voir l’exposition de Chagall hier. Je voulais savoir le titre de la
toile des trois violonistes gauchers, Les
Arlequins. Ils ne sont pas trois gauchers, mais deux.
Cette
exposition est magnifique. Je vois plus de choses dans Chagall que ce qu’il a
peint.
Dans Le cirque comme métaphore du monde, la
lune joue du violon. Dans La danse,
le Minotaure joue du violon. Dans Fidelio,
la harpiste est gauchère. Comment peut-on dire d’une harpiste qu’elle est
gauchère? La harpe est comme un piano, il n’y a qu’une position pour jouer. La
dame tient sa harpe comme s'il s'agissait d'un violon.
Philémon est
heureux. Il a enfin réussi à débarquer sur le A de l’océan Atlantique. Zut, c’est
le deuxième, il cherchait le premier.
La prochaine
fois, cher hirsute, cherche le A de Chagall. Il y en a deux, tu risques d’en
voir trois.