J’étais un
taiseux, dit le cinéaste Jean-Claude Labrecque.
La phrase débute à dix-neuf minutes et cinquante-huit secondes du
documentaire Labrecque, une caméra pour
la mémoire, de Michel Le Veaux.
Elle se termine à dix-neuf minutes et cinquante-neuf secondes.
Une seconde pour parler du silence.
Un taiseux capte l’attention.
Une seconde de silence, c’est le début de deux secondes, de trois
secondes et de quatre.
C’est comme l’alcool. Le premier verre que je ne bois pas m’emmène au
deuxième que je ne boirai pas.
Certaines personnes ne supportent pas le silence. Comme une peur de
tomber dans l’oubli.
Jean-Claude Labrecque fait du silence un art.
Comme Maurice Richard. Son regard bruitait plus fort que tous les mots.
Il m’arrive dans mon cours de garder le silence durant six ou sept
secondes, après une explication.
Une rosée se pose sur l’herbe.
On s’était donné
comme mandat que, pour une fois, la caméra écoute, dit Jean-Claude
Labrecque, à propos de son film La nuit
de la poésie.
Dans La nuit de la poésie, la
caméra écoute les poètes.
Dans les Jeux de la XXIè
olympiade, la caméra écoute les athlètes.
Voir un film qui écoute, c’est lire un roman. J’écoute ma voix
intérieure.
Jean-Claude Labrecque est un écrivain. Certains plans sonnent comme des
phrases.
Un jour, son fils Jérôme me montre un plan réalisé par son père. Tu me
corrigeras, Jérôme, c’était au Séminaire de Trois-Rivières.
La caméra passe au-dessus d’un escalier. La rampe en bois verni descend
en colimaçon, comme une vis sans fin.
Le même sentiment de vertige qu’à la lecture de Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Márquez.
J’ai vu une caméra écouter un escalier.
Le silence est proche du charisme. Je me suis approché de l’escalier.
Je me suis aussi approché du journaliste Pierre Nadeau. Il était de
moins en moins journaliste et de plus en plus producteur.
Le concepteur Cédric Loth et moi lui présentions une proposition
publicitaire pour son émission Les grands
procès.
Pierre avait passé une grande partie de sa vie à informer la mienne à la
télé.
Il nous écoutait. Un grand journaliste est d’abord un petit garçon.
J’ai rencontré une fois Jean-Claude Labrecque. Jérôme, le réalisateur,
et moi, avions un tournage extérieur de nuit, une pub pour C’est bien meilleur le matin, l’émission radio de René-Homier Roy,
à Radio-Canada.
Jean-Claude Labrecque voulait connaitre davantage la technologie
numérique.
Nous avons passé la nuit à filmer à bord d’un camion, en compagnie de la
réalisatrice de radio Louise Carrière, de René-Homier Roy et de l’équipe.
Entre les scènes, Jean-Claude Labrecque causait technique avec son fils.
Je ne me souviens pas de lui avoir parlé. J’ai dû le saluer, comme ma mère
m’a élevé.
J’ai passé la nuit à écouter.