mercredi 22 août 2018

Quinze minutes en dix



Le réseau américain PBS présente le documentaire Our Man in Tehran, du réalisateur Roel van Broekhoven.

Je pense à mes étudiants de cegep.

Le journaliste néerlandais Thomas Erdbrink, correspondant du New York Times en Iran, est notre homme.

À la pause-café, ils plongent dans leur écran.

Ce film dure quatre heures.

Le cours dure deux heures trente.

L’épisode 2 est sorti le 14 août. Le premier, en 2013.

L’Iran et les États-Unis sont les deux personnages principaux. L’enjeu : l’image.

Trois périodes de cinquante minutes, ponctuées de deux pauses de dix minutes, qui en durent quinze.

Entre l’ambassadeur américain en Iran et le journaliste du New York Times en Iran, je choisis le journaliste.

Une période de cinquante minutes est rythmée de contenus de quinze à vingt minutes, sinon l’attention s’effrite.

Marié à une photographe iranienne, Thomas Erdbrink parle parfaitement le farsi.

Lorsque les visages s’allongent, c’est le temps de la pause.

Thomas Erdbrink part à la recherche de la culture iranienne et, dit-il, de ses silences.

Plusieurs se lèvent pour fumer ou café. Les dix qui restent sont scotchés à leur écran.

Quatre heures. Cinq fois cinquante minutes. Presque deux cours complets sans bouger.

Si on répète pendant vingt ans à un enfant qu’il est bien de mourir en martyre pour sa religion et son pays, plusieurs finissent par le croire.

Si un jeune passe dix ans les yeux rivés à son écran, plusieurs finissent par penser que c’est ça la vie.

Le monsieur iranien responsable des contenus diffusés en Iran demande à Thomas Erdbrink de ne pas présenter l’Iran comme un pays de demeurés.

Il n’a pas dit demeurés, il a dit arriérés.

Ce film est l’exact opposé d’un étudiant de cegep.

Il est long et lent.

Ils sont nerveux, pressés et portables.

Il faut du temps pour détricoter des mentalités, comprendre comment les choses se pensent.

Seul le téléphone est qualifié d’intelligent.

À la fin, Thomas Erdbrink choisit son pays.

Le cours commence.



dimanche 12 août 2018

Le temps



Hier, j’ai passé deux heures, assis sur un banc, au festival Présence autochtone.

Il ne s’est rien passé.

À un bout de la Place des festivals, un groupe de musique répétait.

Ailleurs, un illustrateur illustrait.

Une joaillière bijoutait.

Des enfants jouaient dans les fontaines.

Devant moi, un artiste peignait. Un monsieur rond, à l’air très sympathique, autochtone de la Nouvelle-Écosse.

Il n’a à peu près rien peint durant ces deux heures.

Il jasait avec des gens. Il ajustait son casque d’écoute. Il s’amusait de cette sauterelle qui est partie de sa table pour atterrir sur mon bras.

Communication animale.

Derrière, un resto de rue vendait des sandwiches au bison effiloché. À la grosseur du bison, j’imaginais le sandwich.

Le temps, c’est rien.

Il n’y a rien à faire.

Il n’y a rien ici.

Il n’a rien peint.

Quand il ne se passe rien, l’imagination clenche. Il se passe donc quelque chose.

C’est peut-être ça, Présence autochtone. Toute une journée de rien, et une parade annoncée à 17h, dans deux heures.

Ces gens ont passé quinze mille ans dans les bois, pas de montre.

Nous ne sommes pas habitués. Au Festival de jazz, ça ne dérougit pas.

Ici, ça dérougit.

Le temps, c’est Astérix en Corse, page 35. En trois ans, quatre ouvriers corses ont posé douze dalles en pierre de la voie romaine, reliant Aléria à Mariana.

Quatre ouvriers, douze dalles, trois ans. Une dalle par an par homme.

Une route de 69 kilomètres.

Au lieu de nager avec les poissons, le temps s’assoit au fond de la mer et les regarde passer.

Travailler quatre-vingts heures par semaine, ce n’est pas du temps, on ne le voit pas passer.

Or, ici, je ne fais que ça, regarder passer le temps.

Le temps est un personnage.

Dans un documentaire, la semaine dernière, un autochtone disait ne jamais s’être ennuyé dans le bois.

Il y a toujours quelque chose, toujours quelqu’un.

Il ne peut pas avoir rien, puisque nous sommes là.

Suffit de regarder.

Cela s’appelle apprendre à lire.



samedi 4 août 2018

Fait divers


Une inuite abandonnée la nuit par des policiers est portée disparue.

La phrase que vous venez de lire est une phrase complète. Sujet, verbe, complément.

Au lieu de « abandonnée », j’aurais aimé lire « protégée ».

Sur la photo, la femme de 48 ans est assise dans un fauteuil roulant. Une attelle tient son bras gauche.

Elle était en état d'ébriété, après avoir profité d'une sortie-cigarette pour se procurer de la bière, révèle l’article du quotidien La Presse.

Une autre phrase complète.

Les policiers ont emmené la dame dégriser au Centre opérationnel Ouest, au 2805 boulevard Thimens, à St-Laurent.

Le 2805 boulevard Thimens est pas loin de chez moi. Plus près du marché Adonis, en fait.

C’est à 10 minutes de marche de Côte-Vertu, à 20 minutes de Marcel-Laurin. En état d’ébriété, ce n’est pas la longueur qui compte, mais la largeur.

La dame inuite vient de dégriser. Elle ne connait pas le coin, ne parle ni français ni anglais, a des problèmes de santé mentale et de dépendance aux médicaments.

À minuit, les policiers lui ont donné un billet d’autobus, ont ouvert la porte et ont dit bonne nuit madame.

Vous allez où, madame? demande le chauffeur.

Ajoutez un banc de neige et nous voilà à Val d’Or. Là-bas, des policiers emmènent des femmes autochtones en dehors de la ville et les laissent pieds nus dans un banc de neige.

Mentalités solidaires.

La dame inuite vit à Umiujaq, à 1250 kilomètres au nord de Montréal. Un véhicule de police lui est passé volontairement sur le corps, dit l’article. Une façon comme une autre d’arrêter quelqu’un.

Au moment de sa disparition, elle portait toujours son bracelet d'hôpital et avait un cathéter dans le bras, écrit le journaliste.

J’entends la voix de Richard Desjardins.

Un cathéter est une forme d’abonnement. Le garder en permanence coute moins cher que de l’installer à chaque fois.

Les policiers d’Umiujaq ouvrent la porte de la banquise, vous donnent un harpon et vous disent bonne nuit madame.

À minuit, la banquise de la rue Thimens est noire.

L’histoire ne dit pas si les policiers souriaient.

Parlant de bêtise, une phrase complète n’est pas nécessairement lumineuse. Avec 140 caractères, on n’écrit pas un projet de société, disait le professeur Michel Cartier.

La dame a été retrouvée cinq jours plus tard, à l’angle de Crémazie et Bloomfield.

Sur la photo, elle a l’air d’une gamine avec son beau sourire.

En cinq jours, le système de santé vient d’économiser zéro douche et quinze repas.

Les policiers du SPVM l’ont laissée partir.

Cette phrase est incomplète. Il manque le raisonnement.