Il y a quelques semaines, ma fille
Camille est partie pour la Nouvelle-Zélande. Le lendemain matin, elle rentrait
à la maison. À Vancouver, elle a décidé qu’elle ne voulait pas partir, elle
n’était pas prête. La peur, l’avion, la vie, papa je rentre à la maison.
Comprendre la peur de
l’avion, toutes ces heures consacrées à angoisser sur ce qui pourrait arriver,
à ne pas profiter de ce qui se passe. L’angoisse, c’est la sorcière cachée sous
le lit, elle va attraper le pied de l’enfant. L’angoisse essaie de nous éloigner
du moment présent. En échange, elle nous offre la peur. L’angoisse demande
pourquoi ai-je acheté un billet dans un avion qui va exploser ? Le voyage
est long.
Le voyage d’une fille est un peu
aussi celui du père. L’espace nouveau pris par la fille est en quelque sorte
enlevé au père. Une fille qui voyage durant un an en Nouvelle-Zélande, c’est un
an de moins de cette fille dans la vie de son père. C’est la partie sensible du
voyage. Un père heureux de voir sa fille trouver son bonheur lâche du lest. Le
voyage, ce sont aussi des vases communicants.
Lorsque ma fille revient de
Nouvelle-Zélande 24 heures après son départ, nous sommes en zone
d’inquiétude. Durant les trois journées suivantes, la seule phrase complète
qu’elle m’adressera, c’est bonne nuit.
L’idée pour le père n’est pas de
connaître tous les tenants et aboutissants de l’inquiétude, mais d’offrir à sa
fille des éléments de solutions, des pistes à explorer pour la suite des
choses. Dans le plus long des scénarios, il se pourrait que la vie de ma fille
soit dorénavant divisée en Avant et Après ce bref aller-retour. Il se pourrait
que, au fur et à mesure de son avancement, le temps offre à ma fille une
perspective différente sur cet incident. Cela se passe dans la vie de ma fille.
Ce qui se passe dans la mienne est autre chose. Et toutes les discussions
autour de l’incident ouvrent une perspective nouvelle. Elle est là,
l’odyssée. Ce n’est pas la couleur des palmiers dans l’hémisphère sud, ni les
odeurs de soufre de Rotorua. L’odyssée, c’est l’espace nouveau créé par les
palmiers dans la vie de la voyageuse et dans l’esprit de son père.
Depuis près de 40 ans que je le
connais, mon ami Jean-Pierre a voyagé des dizaines de fois. Cela pouvait durer
un mois, 12 ou 18. Il y a deux ans, il m’a dit que le voyage lui avait toujours
permis de prendre à distance la mesure du Québec. Aller loin pour se rapprocher
est un long processus d’identité.
En 2003, je suis allé au Pérou.
J’étais président du Club 2/3, un organisme d’éducation et de coopération
internationale auprès des jeunes. J’allais visiter une douzaine de projets dont
le Club 2/3 avait appuyé le financement. Dans un quartier de Lima, nous
visitons un projet d’aqueduc, reconstruit suite à un glissement de terrain. Un
grand-oeuvre entièrement à flanc de montagne, refait par les résidants du
quartier, sous la supervision d’une ingénieure Péruvienne.
En voyant les maisons de pierre du
quartier, construites pour vivre 100 ans, je me dis tous ces visages fiers de
leur aqueduc sont locataires. Les gens passent, la maison demeure. Une maison
de bidonville est assurée de vivre longtemps dans la pauvreté, alors que ses
locataires, pas nécessairement.
Le voyageur passe devant le palmier.
Il vit dans la maison. Il parle une langue. Nous sommes tous locataires de
l’espace des palmiers, des maisons et de la langue, qui nous survivront
longtemps. Certains prennent soin de l’espace loué, d’autres non. Elle est là,
l’odyssée.
Depuis quelques jours, ma fille est
de très bonne humeur. Elle part demain pour la Nouvelle-Zélande. La sorcière se
cache sous le lit, elle ne lui attrapera pas le pied.