mardi 25 juillet 2017

Dunkirk, le son



BBC Earth présente La forêt pluvieuse du Congo, un des six magnifiques documentaires de la série L'Afrique.

La jungle n’arrête pas d’être verte. Le bébé oiseau mange tout rond une grenouille, cadeau de papa oiseau. Une fourmi marche à l’intérieur de la coque vide d’une sauterelle en mue. Des chutes, des arbres, du soleil, du sable, nos origines.

Le plan final montre des éléphants près d'une plage. Je comprends que si je me tiens à cet endroit, j’entendrai de la musique classique. Mais non. Par-dessus ce magnifique univers, la musique a été placée au montage par le réalisateur. Innocent.

C'est le défaut de ce film. Au lieu de me faire découvrir la richesse sonore de ce nouvel univers, on me plaque une musique, comme pour l’installer entre le sujet et moi. Me dire comment penser.

Avec cette musique, on suggère, on dirige l’interprétation. On m'empêche de faire la mienne. On me dit où et comment regarder.

L’aveugle apprend avec sa canne. Si je lui donne la main, il n’apprend rien.

On dit de la musique qu'elle est l'âme d'un film. Ici, elle sert de béquille, comme dans le film Dunkirk.

En matière de films de guerre, la référence est Stephen Spielberg. Pas Christopher Nolan. Spielberg. Saving Private Ryan. L’action se passe dans la même guerre, quatre ans après celle de Dunkirk.

Dans le village de Neuville-au-Plain, en France, la compagnie de Rangers du capitaine John H. Miller attend l’arrivée des Allemands.

Quand il n'y a rien dans un film de Spielberg, il n'y a rien. On attend et on attend. C’est long le silence, en temps de guerre, pas mal plus efficace qu'une béquille.

Je sais que le requin n’est pas loin mais je ne le vois pas. Je soupçonne Spielberg de s’amuser à jouer avec mes nerfs.

Dans le silence, un son de roulette de métal rouillé. Le son monte lentement, lentement. La peur est patiente. Les soldats savent. Pas besoin de musique, regardez leurs yeux. Le sol tremble. La bibitte au bout du son a l'air assez grosse, merci.

C'est un tank allemand et il n'entend pas à rire. Il va s’approcher jusqu’à la bataille. Il apporte le son avec lui.

Spielberg est dans l'histoire, le micro est collé sur la peur. Il n’est pas en train d’interpréter par le son, il souligne. Quand tu entends le son rythmé du requin, tu sais qu’il est là. Et pendant ce temps, la fille gazouille en nageant. J’ai mal avant elle.

Dans Dunkirk, une musique rythmée joue sur l'action. Le bateau est en train de couler. Je suis avec les soldats à l’intérieur. Le bateau coule, les portes sont fermées, l’eau monte, l’acier hurle, les hommes capotent. En temps de guerre, l’action seule devrait créer l'angoisse, non ? Non. On ajoute une musique rythmée, un cadence de galériens, forte en ta, l'air de dire la pognes-tu? Dans la salle Imax, ça brasse solide.

Je vois les images et les imagine sans son. Si les images sont bonnes, elles n’ont pas besoin de béquille. J’ai commencé à décrocher là. Ailleurs aussi, mais aussi là.

L'Histoire ne peut être racontée par tous de la même façon.

Une rumeur parlait de chef-d'oeuvre. Elle aurait pu se taire.



vendredi 21 juillet 2017

J'ai tué ma belle-mère



Quand j’étais ado, je filmais beaucoup avec ma caméra Canon Super 8. Toutes sortes d’activités au chalet dans le nord, en voyage. Elles sont devenues les archives familiales. La bague du zoom permettait d’aller chercher un sujet au loin, mais aussi de filmer de très très près, en macro.

Une fleur filmée à un pouce de distance remplissait l’écran.

Deux rangées de dents sur fond noir en macro, c’est la dernière image qu’a vue le petit Chaperon rouge avant de se faire bouffer par le loup. Un gros rocher en macro, c’est l’image que voit Coyote, avant de s’écraser au fond du ravin, après avoir raté Road Runner. C’est aussi une longue aiguille, suivie de gants bleus et d’un avant-bras poilu, le dentiste entre une seringue dans votre bouche.

La seringue va piquer la gencive près de la troisième molaire inférieure. Durant 30 minutes, je vais assister à un ballet d’outils en macro au-dessus de mon nez.

C’est le sentiment de ce bout de métal dans la chair. On dirait que Richard cherche en fouillant. Il sait très bien ce qu’il fait. Le macro, le sentiment de l’aiguille se faufilant dans la gencive, est dans ma tête.

Richard donne la seringue à Julie. Elle lui donne la fraise, la drille du dentiste, celle qui vient avec un son d’ongles sur un tableau et d’une odeur de brulé. Et voici un miroir, sur l’air de passe-moi le beurre.

- As-tu sorti ta roulotte?
Crochet.
- Oui, mais je ne la conduis pas. Je n’aime pas conduire un trailer.
Vis à gyproc.
- Il y a des miroirs. En ligne droite, il n’y a pas de problème.
Tournevis carré.
- C’est pour reculer.

Julie n’a pas dit c’est pour reculer. C’est la réponse que je lui ai fait dire dans ma tête. J’ai souvent conduit des remorques à reculons, un véritable cours de géométrie pour les nuls. Une fois que tu as pogné la twist, ça se fait très bien. Anyway. J’ai tiqué sur le miroir au moment où j’en avais un dans la bouche. Richard a de la suite dans le macro.

Mon premier dentiste s’appelait Clément Vallée. Un monsieur très gentil avec une moustache. À cette époque, l’enfance était une collection de caries.

Le docteur Vallée aimait poser des questions alors que j’avais la bouche pleine de cossins. Il savait très bien que je ne pouvais pas répondre et nous trouvions ça amusant tous les deux. Je me faisais prendre à chaque fois. Même chose pour mes frères et sœurs.

Avec le temps, la moustache noire macro est devenue grise macro. Lorsque le docteur Vallée a pris sa retraite, il nous a offert le cognac dans son bureau.

Richard termine d’un outil, la main de Julie l’attend déjà. Lorsqu’il a besoin du suivant, Julie le tend déjà. Tout cela en silence. Une chorégraphie. Je n’ai jamais vu d’aussi près des gens travailler aussi bien.

Il fraise, elle crochet. Il crochet, elle miroir. Il miroir, elle forceps. Il forceps, elle marteau. Il marteau, elle scie à chaine. Il scie à chaine, elle bulldozer. Elle pompe à salive, il pause.

Pour savoir si son interlocuteur l’écoutait, le président américain Lyndon B. Johnson ajoutait parfois dans la conversation j’ai tué ma belle-mère hier.




mardi 18 juillet 2017

Un bin bon livre





Histoire des Américains, de Daniel Boorstin. Je le lis au compte-gouttes.

À chaque page, Boorstin ajoute une fine couche à ce qui deviendra un immense portrait.

L'histoire est assez simple. Comme le disait Richard Desjardins, en introduction du documentaire L’erreur boréale, allons-y doucement.

L'ouvrage est divisé en 3 sections.
Chaque section est divisée en livres, 10 en tout.
Les livres sont divisés en parties, 31 en tout.
Les parties sont divisées en chapitres, 167 en tout.

Le récit couvre 1550 pages, une moyenne de 9 pages par chapitre. La courte longueur de chaque chapitre donne le rythme. C’est comme si nous entrions dans une immense histoire par de toutes petites fenêtres.

Avec une structure aussi précise, Boorstin montre sa parfaite maitrise du sujet et le souci du travail bien fait. J’ajouterais le respect du lecteur et la pérennité de l’ouvrage.

La structure raconte l’histoire par son non-dit. Elle constitue le premier récit silencieux. Au début, l’auteur ne dit pas Vous avez vu ma belle structure ? À la fin, le lecteur ne se dit pas Quelle belle structure !

C’est pourtant là que tout se passe. Une fois la structure bien campée, les contenus coulent.

Chaque chapitre fait penser à une lampée, lorsque minou fait monter du lait dans sa bouche avec sa langue. En bandes dessinées, l’onomatopée de la lampée est Slurp!

Un chapitre de l'Histoire des Américains de Boorstin passe comme une lampée de lait dans un minou.

Si on m'offrait de boire une vache d'un trait, je trouverais l'histoire un peu grosse.

Si on m’offrait la vache par petites lampées, cela me ferait porter attention au lait de chaque gorgée. En passant, lampée, gorgée et goulée sont très proches parents (merci Usito). Bref, j'aurais ainsi l'impression de connaître la vache de près.

Avec de courts chapitres, Boorstin nous fait rencontrer les Américains par le menu, avec une cuillère à pot. La louche n’est pas louche, elle va au fond des choses.

J’ai compris le génie du couturier Yves St-Laurent en observant le détail du col d’une veste, dans une exposition.

La méthode de Boorstin est identique. De toutes petites fenêtres. Yves St-Laurent coud de courts chapitres. Daniel Boorstin raconte en couturier.

Le ton de Boorstin, ce sont des mots simples, très précis, tirés d'une quantité phénoménale d'écrits des premiers américains. 1550 pages écrites en petits caractères sur du papier oignon, mince, mince, mince. Tu lis 100 pages, le signet bouge à peine.

Le ton s'adresse aux yeux, le rythme, aux oreilles. Les deux font la manière, celle qui touche les sens. Vous arrivez à la fin du livre en disant maudit que c’était bon.

Tout est dans la manière. Vous connaissez maintenant l’histoire de Daniel Boorstin.




dimanche 9 juillet 2017

Elle va chanter





L'histoire débute une seconde plus tôt.

Michel Louvain ajuste sa cravate, comme s'il apportait une dernière touche à son personnage. Dans une seconde, le photographe Jocelyn Michel va faire clic pour une des plus belles photos du chanteur de charme. C’est la page couverture du magazine Voir, juillet 2017.

Michel Louvain porte un veston bleu, version mâle de la dame en, une chemise blanche, un teint Floride et une cravate à très jolis motifs.

Le fond est jaune. Jaune safran pour les érudits, (en langue perse, za'farãn veut dire jaune). Jaune Maison jaune, de Van Gogh, pour les impressionnistes (merci Wiki). Et jaune moutarde Heinz, pour les hot dogs.

La vedette de la photo, l'élément rassembleur, ce sont les lunettes soleil à monture jaune et aux verres bleus. Michel Louvain a tous les âges.

Les verres reflètent les spots d'éclairage du photographe, des hexagones remplis d'hexagones, comme une ruche d'abeille. À la différence que les ruches sont jaune miel, et que les spots sont blancs. Je soupçonne le photographe de n'avoir pas poussé le symbolisme aussi loin.

Michel Louvain ajuste sa cravate devant les feux de la scène.

Le magnétisme d’une photo vient toujours du lecteur. Je reconnais tout Michel Louvain dans celle-ci.

Le charme, comme dans le chanteur de.

Le bronzage, comme dans snow birds en Floride.

La jeunesse, comme dans lunettes jaunes aux verres bleus.

L'élégance, comme dans Michel Louvain aime son public.

Cette photo s'inscrit dans la longue tradition des pages couvertures du magazine Voir, des photos marques de commerce.

La photo couverture fait office de titre du magazine. Elle est la première séductrice.

On ne met pas une telle photo au recyclage. On la passe au suivant. Le truc, c'est qu'en offrant la photo, le magazine vient avec. Marketing.

C'est comme le cours d'équitation du groupe d'humour Les Cyniques : vous n'avez besoin que d'un seul éperon, car si un côté du cheval avance, l'autre côté avance aussi.

Clic.

Une belle photo, ce sont des planètes parfaitement alignées sur un rayon de soleil.

Le magnétisme de celle-ci, c'est que dans une seconde, elle va chanter.



samedi 1 juillet 2017

Le pays




En 1961, René Lévesque survole le territoire en direction de Fort Chimo. Il est ministre des Affaires hydrauliques du Québec. Il voit des arbres, de la roche et des lacs. Il ne voit donc rien.

À l’époque, des arbres, des roches et des lacs, ce n’était rien. Il demande à Louis-Edmond Hamelin ce qu'il y a en bas.

En 1970, Robert Bourassa contemple les arbres et les cours d'eau de la Baie James. Seuls les cours d’eau l’intéressent, des barrages hydroélectriques et des milliers de milles de fils et de pylônes pour alimenter le Sud en électricité.

Louis-Edmond Hamelin est géographe. Il a inventé le mot Nordicité. Ce mot définit le Québec comme un pays nordique, le Nord et le Sud, et non le Nord pour le Sud, comme dans la Baie James pour le Sud, la Manicouagan pour le Sud, ou encore le Plan Nord pour le Sud.

La nordicité, ce sont aussi les Premières nations, les Inuit et les Européens, partageant un même grand territoire. Le géographe énonce la définition la plus éclairée du pays.

Le pays est un espace physique et mental émergeant du territoire, de son climat et de ses gens.



Il y a toujours une difficulté à être un ainé. Les jeunes arrivent après toi et font les choses à leur manière, sans égard à ce qui a été fait avant eux. Comme s'ils avaient tout inventé.

Ce sont les Européens tassant les Premières nations.

Ce sont les Britanniques de 1760, disant aux Français nous allons vous montrer comment ça marche.

C'est John A. McDonald, qui décide au nom du Canada de tuer l'Indien dans l'enfant. Nous avons de beaux pensionnats.

Ce sont les curés traitant les autochtones de sauvages.

C’est la GRC qui tue les bisons pour affamer les autochtones. Vous allez faire ce qu’on vous dit.

C’est la GRC qui tue les chiens des Inuit pour les sédentariser. Vous allez faire ce qu’on vous dit.

Ce sont ces milliers de femmes autochtones disparues.

C'est l’histoire du Canada racontée par l’anglophone CBC, mettant en vedette des Français pouilleux névrosés.

C'est Justin Trudeau, endossant la série de l’anglophone CBC, tartinant dans un selfie de trois minutes toute son ignorance de l'histoire du pays. L’ignorance est le mépris de la connaissance et des ainés.

Lorsque Louis-Edmond Hamelin a rencontré les gens des Premières nations, il a fait ce qu’aucun gouvernement n’avait fait avant lui. Il s'est assis. Il les a écoutés. Il a appris leur langue. Il a inventé près de 400 mots liés à la nordicité. Il a écrit.

On ne peut reprocher à René Lévesque d'avoir manqué de vision. Il lui manquait pourtant celle-là, la vision de l'ainé.

Fort Chimo est devenu Kuujjuaq.

Les Premières nations sont plus présentes dans nos vies.

Nordicité est un mot reconnu dans le monde et dans le dictionnaire. L'ignorance faite connaissance.

La parole gagne sur le silence. Je ne crois pas qu'un policier abusera d'une autochtone à Val d'Or, ce soir.

La colonisation n'est pas terminée, dit le géographe Hamelin. Dans la colonisation, l'autochtone n'existe pas.

La colonisation, c’est la CBC, Justin Trudeau, c’est Philippe Couillard et nous. Des gens qui ne savent pas ce que veut dire échanger de nation à nation. Ils ne demanderont évidemment pas à Bernard Landry.

Les québécois sont-ils devenus quelque chose comme un grand peuple ?

Entre les arbres, la roche et les lacs, souffle le regard millénaire de nos ainés. Une vision du monde. Notre mémoire.

Une famille sans ainé n'est pas une famille.