samedi 22 mai 2021

La nouvelle école

 

J’ai rencontré une fois Serge Bouchard.

C’était au Salon du livre de l’Outaouais, à Gatineau.


Mon éditrice exposait mon premier livre. Serge Bouchard présentait un des nombreux siens.


Les gens arrivaient dubitatifs à mon livre, admiratifs au sien.


Je ne pensais pas à cela à ce moment. Je rencontrais mon professeur de la nouvelle école.


La nouvelle école est celle de la vérité des faits. De la réflexion et de l’intelligence. Tous les livres sont signés.


L’étudiant choisit la matière et les professeurs. Il creuse comme bon lui semble. Le temps ne compte pas. La seule note est la satisfaction d’assouvir sa curiosité. Un désir de vengeance envers un système dépassé.


Entre le professeur et l’élève, il y a la fascination de la matière.


Serge Bouchard fait partie des auteurs qui ont écrit notre histoire. La vraie.


Il a fouillé les textes. Il a appris les mots, vécu le terrain. Il a mis l’histoire à l’endroit.


Que faites-vous lorsque vous débarquez du bateau? Vous faites connaissance avec vos hôtes des Premières Nations. Vous vous installez. Vous visitez les environs avec vos hôtes. Vous apprenez leur langue. Ils vous apprennent le territoire. Vous désapprenez l’Europe et vous prenez le bois. Chemin faisant, vous parcourez ce qui deviendra l’Amérique.


L’histoire du gros bon sens.


Serge Bouchard ne sort pas d’un livre. C’est le livre qui sort de lui.


Les Canadiens français ont été les premiers européens à courir toute l’Amérique. Toute? Oui.


Dans la nouvelle école, Serge Bouchard est entouré de Joséphine Bacon, Mathieu Mestokosho, Ghislain Picard, Michelle Audette, Stanley Vollant, Florent Vollant, Alanis Obomsawin, d’épinettes noires, de diesel et de coureuses d’Amérique.


Une école laïque, racontée par les faiseux et les faiseuses.


Lorsque Serge était jeune, le directeur de l’école primaire a dit à sa mère que le quotient intellectuel de son fils avoisinait 102. Une coche au-dessus du débile.


Je m’en foutais complètement, dit Serge Bouchard, dans le documentaire Le Moineau sauvage. Je savais que j’étais plus intelligent que tout le monde.


Ce genre de prof. Celui qui écrit une thèse de doctorat sur des camionneurs et ne se demande pas s’il s’agit d’anthropologie.


Du diesel dans les veines, chez Lux.


Ce prof qui a appris par coeur le nom des cinq cents communautés autochtones d’Amérique.


Qui a rencontré un ours, et dix mille caribous.


J’ai rencontré tellement, tellement de monde dans ma vie, dit-il au journaliste Patrice Roy. Chaque personne a une histoire à raconter.


Même un poteau de téléphone ou une corde à linge.


Nous avons causé quelques minutes. Le temps de varloper quelques curés.


Il y a l’histoire qui rapetisse, la religion, l’apartheid et le génocide.


Il y a l’histoire qui grandit, celle de l’humanité.


Serge Bouchard écrit celle-là.


Les remarquables oubliés.


Tu es un Innu, Serge, dit Le peuple rieur.


Innu veut dire humain.


Les camionneurs ont de la peine.


Les camions sont en deuil.


Il nous a accompagnés dans notre guérison, dit la militante Innu Michelle Audette.


Un professeur ne s’éteint pas.


Le passé de vos histoires fait partie de notre avenir. ​