dimanche 17 novembre 2019

BD



Dans la case de gauche, la présidente d’Énergir quitte son poste.

Est-il difficile de quitter une entreprise au nom aussi laid?

On ne sait pas pourquoi elle quitte, ni pourquoi elle ne termine pas son mandat ni où elle ira.

Dans la case de droite, le président de la Caisse de dépôt quitte son poste.

On sait où il va, on ne sait pas pourquoi il ne termine pas son mandat, il a si bien fait.

Il serait bien que son remplaçant soit une remplaçante, disent les médias.

Dans la case de gauche, un train entre en ville. La tête à l’extérieur de la fenêtre, Tintin dit : Et nous voici à Chicago, Milou!

Dans la case de droite, Tintin et Milou descendent du train. Tintin dit D’abord, à l’hôtel! Milou répond : Prends garde, Chicago, nous voici!

L’avenir se lit de gauche à droite.

Que s’est-il passé entre les deux cases ? Tintin s’est peut-être assis, a terminé la lecture de son journal, son café. Il a pris ses affaires et s’est approché de la sortie.

Il a peut-être échangé quelques mots avec le contrôleur, flatté Milou, en lui disant nous voici en Amérique, Milou.

En bandes dessinées, l’histoire se déroule dans l'espace blanc entre les cases.

Le dessin est un instantané. L’espace s’appelle ellipse. L’espace du temps.

Tous les exemplaires de Tintin en Amérique comptent le même nombre de pages et d’images. Il y a autant de lectures que de lecteurs.

Personne ne m’a encore dit que la présidente devrait redevenir présidente. Les médias ont placé deux cases, j’ai marché entre les deux.

Écrire consiste à laisser deviner, dit l’écrivain Gilles Archambault.

L’ellipse est un lieu de rencontre entre les stratégies de communication, la création de sens et les complots.

À l’évidence, la présidente s’en va, sachant que le président s’en va, dit le complot. De plus, elle a travaillé avec Untel de la Caisse, dit une troisième case.

La présidente a annoncé qu’elle n’annoncerait rien.

En journalisme, l’objectivité consiste à rapporter les faits.

L’objectivité est un état, la nouvelle est un choix. Pour créer une nouvelle, il suffit parfois de placer des cases. Une case à gauche, une case à droite.

Entre les deux, le préjugé et le scandale.

Je marche entre les mots.





vendredi 25 octobre 2019

Indian Time



Un homme est assis devant une caméra.

Je suis derrière la caméra, dans mon salon.

Un monsieur élégant, dans la soixantaine.

L’élégance est la couche supérieure de la beauté. Andrée Lachapelle.

Il est vêtu de bleu et de gris, comme sa veste. Un contraste avec le fond noir.

On a accroché un micro à sa veste.

Le monsieur a le regard d’un monsieur absorbé dans ses pensées.

Un regard de salle d’attente.

Il fait connaissance avec le studio de tournage.

Sa curiosité est attirée vers la gauche. Il se penche un peu, revient droit, vers la caméra.

L’écran écrit Raymond Watso, Waban-Aki (Abénaquis).

Raymond Watso regarde vers le bas. Le regard remonte, fixe la caméra.

Dans un article, Guy Sioui Durand écrit que Raymond Watso semble peiner à ressasser ses idées pour revisiter le fil de sa vie.

Je trouve que le monsieur ne semble pas impressionné une miette.

Guy Sioui Durand est sociologue de l’art, de la nation des Hurons-Wendat.
Je suis curieux du regard des autres.

La curiosité vise en haut à droite. Elle balaie légèrement, de droite à gauche.

Raymond Watso semble regarder son intérieur. Cela crée un sentiment de vide à la surface.

Un regard de cent-quatre-vingts degrés, comme dans la forêt.

À droite, légèrement vers le haut.

En bas puis, légèrement vers le haut. Revient vers la caméra.

Balaie légèrement.

Il fixe le bas devant lui.

En haut.

En bas.

Légèrement en haut à droite.

Devant.

En bas.

Dans la lentille.

Good evening, my name is Raymond Watso.

What I would like to say about myself, that I’m an alcoholic.

I came in seventy-three from Chicago. I drank for ten more years.

Eighty-three, I stopped.

La scène a duré deux minutes et quatre secondes.

L’écran écrit Indian Time. Il n’écrit pas de Carl Morasse.

La communication dans le silence. Comme le temps.





lundi 30 septembre 2019

Country Music



Country Music, de Ken Burns, sur PBS.

Une histoire de famille. Cent ans de musique, huit épisodes et mille-trente-huit minutes.

La musique country passe sa vie à attendre.

Mille après mille, je suis triste. Mille après mille, je m’ennuie.

Je suis un pauvre cowboy solitaire loin de son foyer.

J’arrêterai de t’attendre au jour de ma mort.

You can hear the whistle blow a hundred miles.

On attend l’autre.

L’espoir, c’est l’amour dans l’absence.

Dans La part des anges, Steven Pinker associe la musique et la peinture à l’identité.

Les grottes de Lascaux, un pays.

Le country, un pays.

La musique est un facteur de diminution de la violence, écrit Steven Pinker. Quand tu apprécies la musique de l’autre, pas besoin de le trucider.

Country Music parle de toujours la même chose. Des gens qui attendent et des chansons pour le raconter.

Le narrateur s’appelle Peter Coyote. Ça ne s’invente pas.

Country, Hillbilly, Blue Grass, Rockabilly, Fiddle, Gospel, Banjo, Harmonica & Guitar, Alabama, Texas, Louisiana, Mississippi, Kentucky, Virginia, South Carolina, Tennessee.

On dirait le Sud.

Les années passent, les voitures prennent du coffre, les instruments se bonifient, les étoiles montent.

On passe d’une maison seule dans un champ acoustique à un homme seul dans une ville électrique.

La musique country est la mal-aimée des musiques.

Elle attend toujours.