mercredi 21 décembre 2011

Lettre à Jacques Parizeau


Saint-Laurent, le 26 septembre 2011.



M. Jacques Parizeau
Montréal


Bonjour M. Parizeau,

La semaine dernière, j'étais à Bamako, au Mali, dans le bureau de M. Dionké Diarra.
Depuis quelques mois, Dionké dirige le bureau canadien responsable du financement du programme de réforme des finances publiques du Mali. C’est un homme nerveux, brillant et stimulant. Après que je lui aie exprimé tout le plaisir que j’avais eu à travailler avec lui, Dionké m'a confié que, s'il était engagé dans ce projet, s'il croyait le Mali capable de réussir la réforme de ses finances publiques, c'est à vous qu’il le doit.

J’ai passé six semaines au Mali cet été pour écrire un plan de communication pour ce projet de réforme. MM. Dionké Diarra et Samba Diallo m’ont raconté leurs rencontres avec vous, il y a quelques années, alors que vous aviez été invité à leur présenter un argumentaire à propos de la réforme de finances publiques. Ils m’ont régulièrement parlé de ces rencontres, de la forte impression que vous leur avez laissée. Je peux en témoigner, la détermination de M. Diarra à faire appliquer ce plan de communication est très forte. L’amitié ne connaît pas de frontières.

En quittant mes partenaires, j’avais l’impression d’avoir bouclé une boucle, d’avoir modestement participé à un projet social que vous avez initié quelques années plus tôt. J’en suis assez fier.

Je vous remercie d’avoir consacré un peu de votre temps à lire ce mot et je vous souhaite une bonne journée.





Luc Panneton
Ville St-Laurent (QC)
(514) 895-2477

Rien de neuf en Haïti


Je rentre d’une mission en Haïti, pour le compte d’Oxfam-Québec.

Je suis allé faire une analyse en communications. J’ai donc passé beaucoup de temps avec des gens d’ONG, à comprendre ce que veulent dire les mots urgence humanitaire. La réponse est très simple. L’action humanitaire est une affaire du quotidien, elle consiste à poser des gestes un à un. Elle donne de l’eau à un million de personnes déplacées qui vivent maintenant dans des tentes. Elle bâtit aussi des latrines et des douches, pour permettre à ces gens un minimum d’hygiène en privé. Enfin, elle enseigne à ces gens comment se laver les mains et pourquoi se laver les mains. Se laver les mains après être passé à la toilette, pour éviter la propagation de microbes. Déféquer aux toilettes plutôt qu’à côté d’un arbre fruitier, pour la même raison. Nettoyer les latrines pour éloigner les mouches. Et ainsi de suite, avec des milliers de personnes.

Ce n’est pas que ces gens soient sales. Ils se lavent les mains, mais pas assez bien. Ils peuvent faire mieux. Aussi, une fois les cours d’hygiène dispensés, une équipe de suivi s’assure que le tout a bien été intégré et compris. Ils répondent à toutes les questions et à tous les appels, 24 heures par jour, 7 jours par semaine.

C’est ça, l’humanitaire. Enseigner un à un des gestes. Exactement comme dans le film 2001: l’odyssée de l’espace, du réalisateur américain Stanley Kubrick. L’homme manipule un os et se rend compte que cet os peut aussi servir à fracasser un crâne. Ce film nous fait vivre un grand moment dans la vie de l’humanité. En faisant de l’os une arme, le cerveau humain a inventé le symbole. Il montre aussi que nous apprenons les gestes un à un. Je l’ai bien vu, avec mes trois enfants, les mots, les gestes aussi, comment tenir la cuiller, oups, pas avec les mains, avec la cuiller, à la bouche, pas dans les oreilles, dans la bouche la cuiller, et ainsi de suite. En Haïti, des hommes et des femmes sont en train d’apprendre des gestes qui vont faire d’eux d’autres personnes.

L’Haïtien qui sort de la tente le matin est propre et bien habillé. Cette phrase vient d’un coopérant volontaire, alors que nous passions devant un site de déplacés. L’Haïtien est fier. Il est pauvre, mais digne. Il est comme nous et parfois un petit peu mieux que nous. Est-il possible de tout perdre quand on n’a rien? Oui, c’est arrivé il y a six mois en Haïti. Mais l’Haïtien n’est pas un mendiant. Il ne se laisse pas impressionner. Impression générale, bien sûr. Nous avons nos deux de pique, eux aussi.

Le 12 juillet, le séisme aura six mois. Les médias du monde entier vont débarquer. Ils voudront filmer les sites, les tentes. Plusieurs caméras, pas toutes heureusement, rechercheront des histoires juteuses. Comme ce gars du réseau TVA, qui courait les cadavres et les camions de vidanges. Il n’aura pas à courir loin cette fois. Il n’aura qu’à regarder dans les décombres, il y a plein de cadavres encore, ça devrait faire de belles images.

Les images vont ressembler à celles qu’on voit depuis un bon bout de temps. Des tentes et des tentes sans arrêt avec des gens dedans. Les caméras vont filmer et pourront dire que ça n’avance pas vite en Haïti.

Les caméras ne verront pas que certains Haïtiens ont les mains plus propres, que le nombre de diarrhées est tombé à zéro à certains endroits et que les bactéries sont en train de manger une volée. Les caméras ne verront pas les petites victoires, celles qui se gagnent une à une, comme les gestes. Elles ne verront pas que la reconstruction commence par l’intérieur. C’est ça l’humanitaire. Et voici le scoop: la reconstruction est commencée, elle est invisible aux caméras.

Lorsque je suis allé visiter le site Delmas 75 Opposit Church, je n’ai pas voulu entrer. Ces tentes ne sont pas un camping, encore moins un zoo, ce sont les résidences de gens fiers. Je n’ai pas pris de photos non plus. Montrer quoi? Des édifices écroulés qu’on a vus et revus? Avez-vous déjà vu les pyramides d’Égypte? Elles sont plus immenses que ce vous pouvez imaginer. Les dégâts en Haïti, c’est la même chose. Ce que vous avez vu à la télé, en plus immense, et partout. Le Palais national est une baleine échouée, il ne peut entrer dans une caméra.

Je n’ai pas pu rapporter ce que j’aurais voulu montrer. Un film de 10 minutes montrant une équipe de théâtre faisant revivre le séisme. Les comédiens sont des gens ordinaires, ils jouent le rôle qu’ils ont vécu. Un film sur Haïti qui se relève, qui cherche à passer à autre chose. Enfin, une image positive, d’une beauté et d’une intelligence qui font du bien. Ce film ne sera pas présenté le 12. Il n’est pas terminé. Comme l’histoire des Haïtiens n’est pas terminée. La suite le 12 janvier 2011. Le séisme aura un an, et des milliers et des milliers de gestes de gagnés, trop petits pour les caméras.

(10.07.10)

mardi 20 décembre 2011

Les loups ont gagné


Samedi dernier, je regardais sur RDI un excellent documentaire de la BBC sur les quatre saisons dans le parc Yellowstone, au nord-ouest des États-Unis. Samedi, c’était l’hiver. Il fait tellement froid, les arbres sont glacifiés. Ce parc est un décor volcanique unique. Pour la petite histoire, Yellowstone a été le premier parc protégé au monde et on y compte plus de geysers que dans tout le reste de la planète. Dans ce parc, chaque jour est une question de vie ou de mort.

Un wapiti est entouré d’une meute de loups. Il a été séparé de son troupeau et son avenir s’annonce rouge. Bonheur, il coule à proximité une rivière peu profonde, dans laquelle il se réfugie. Les loups ne vont pas dans l’eau, trop froide pour eux. Ils en seront quittes pour attendre. De son côté, le wapiti a aussi un problème, il faudra bien qu’il sorte de l’eau froide. Ce qu’il fait, en s’échappant par la rive opposée.
Le parc Yellowstone héberge des troupeaux de bisons. Le bison peut résister à des températures allant jusqu’à -35ºC. Ce jour-là, il fait -40ºC. Le narrateur prend soin de nous dire que, à cette température, Celcius ou Farenheit, c’est aussi froid, les deux échelles se rejoignent. Un bison seul tente de se frayer un chemin dans le vent et la neige, dont le niveau atteint son poitrail. Il est tellement fatigué qu’il éprouve de la difficulté à hocher de la tête. Les images sont magnifiques, on ne saura pas s’il survivra.

En route vers la liberté, le wapiti rencontre un autre loup. Suspense. Un loup seul ne peut grand chose contre un wapiti, mais on dirait que le wapiti ne le sait pas. Le loup réussit à le ramener vers la meute. Le wapiti saute une fois de plus dans la rivière, les loups attendent une fois de plus, le wapiti sort par l’autre rive et réussit à s’échapper dans la forêt. Ce n’est que partie remise, prévient le narrateur. Quand il y aura plus de neige, les wapitis seront fatigués et les loups, plus efficaces. L’hiver est la saison des loups. Plus il fait froid, plus les proies faiblissent.

Ailleurs, un renard roux chasse la souris. Beaucoup plus léger que le bison, le renard ne cale pas sous la croûte de neige. Où sont les souris? À deux mètres sous la neige. Le renard marche légèrement, s’arrête, écoute, scrute, fait un grand bond, entre tête première sous la neige et en ressort, une souris dans la gueule.

La chasse est parfois inégale. À Yellowstone, même un coyote peut attraper du poisson. Le froid, la force, la ruse et la fatigue sont des armes pour tuer.

Un panneau RDI interrompt l’émission pour une conférence de presse. Fatigué, la barbe longue, Raynald Leblanc, le président du syndicat, annonce la fin du conflit au Journal de Montréal, un interminable lock out de 25 mois, une guerre sans merci déclarée par l’employeur Québécor. Je me demande si Raynald Leblanc a la force de hocher la tête. C’est une victoire patronale, dit-il.

Les loups ont gagné.
 (11.03.11)

Pour passer de la génération perdue à la génération retrouvée


«Become yourself, because the past is just a goodbye.»
Crosby, Stills, Nash and Young, 1969.

J'enrage. J'ai 39 ans, trois enfants, un contrat de mariage, une maison et un 4X4. Et mes enfants ne sont pas normaux. S'il est naturel pour les parents d'avoir des enfants, il n'est plus normal pour un enfant de vivre avec ses deux parents. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est ma fille qui, depuis plusieurs semaines, nous fait promettre que nous ne nous séparerons pas, que je serai toujours son papa, que maman sera toujours sa maman, etc. Et d'où tu as pêché ça ma nini? «Quand on me demande à l'école si je vis avec mes parents, je suis bien obligée de dire que oui.» Coup de massue. Ma fille est une minorité obligée. Et moi un vieux bouc?
         Je fais partie du plus jeune groupe d'âge de la génération des babyboomers, ceux qu'on accuse de monopoliser tout le discours de notre société depuis 30 ans. Moi, j'accuse ces mêmes bébés explosifs d'avoir démissionné en bloc et d'avoir ruiné la famille. Durant ces 30 années, les babyboomers ont passé les 15 premières à mettre leurs tripes et leur vécu sur la table, et les 15 dernières, à idéaliser les trips des 15 premières.
         J'ai vu le débarquement des Beatles au Ed Sullivan Show en 1964. Pour moi, c'est là que tout a commencé. Les babyboomers ont ouvert leur télé ce soir-là, et ne l'ont jamais fermée depuis. Ils auraient dû. Parce que ce soir-là, la télévision est devenu un miroir et les images, un nombril.
         Je pense que notre génération est la plus égocentrique qui soit. Celle qui, en termes freudiens, a instauré la suprématie du Moi (la personnalité) et du Ça (le vécu), sur le Surmoi (représentant tout ce que la société contient d'autorité). Les années de contestations, l'amour libre, les communes, pas la guerre, Woodstock, l'acide et les plus gros joints du monde en sont témoins. Les valeurs ont pris le champ et sont parties en fumée, vive la liberté, vive ma liberté.
         Si un seul disque peut symboliser avec superbe toute cette génération et l'esprit qui l'a animée, c'est "Déjà vu", du groupe Crosby, Stills, Nash and Young. Quatre musiciens: deux Britanniques, un Américain et un Canadien, pour la pensée internationale (c'est l'époque qui veut ça). Ils chantaient en harmonie (l'amitié); ils jouaient de la guitare sèche (le naturel, les racines), et composaient «Teach your children» (l'héritage, le rêve), «Woodstock» (la boucane), «Our house» (la famille, la nation). Pendant ce temps, signe des temps, Jimmy Page, le guitariste du groupe britannique Led Zeppelin, composait «Babe, I'm gonna leave you». Et nous, nous trippions comme des bêtes sur la musique et les paroles, tout heureux de participer à une si belle époque et à carburer au Moi.
         Tout s'y prêtait. Les médias étaient remplis de cette nouvelle énergie et renvoyaient à hauts cris tous les hauts faits de la jeunesse contestataire en provenance de chez nous et des États-Unis. Et à force de tout contester, c'est un Moi gonflé à bloc qui a fait que la famille, elle aussi, a foutu le camp. Familles monoparentales, recomposées, rapiécées, blessées, la conquête du Moi a laissé ses cicatrices 30 ans plus tard. Au détriment du Nous.
         Le problème, c'est que plusieurs couples ne sont plus des couples, mais deux moi, avec chacun son lot de doléances. Deux carrières, deux opinions et une philosophie de granoles: laissez être et laissez vivre, chacun pour soi. C'est le discours que bien des parents ont imposé à leurs enfants décomposés. Alors que les enfants, eux, posaient la question inverse: «C'est quand que papa (ou maman) va revenir à la maison? C'est quand qu'il va finir mon cauchemar?»
         Les enfants éclatés issus de familles recomposées ont manqué durant leur enfance d'une sécurité familiale, ont été obligés d'obéir et de subir souvent «le chum de ma mère» ou «la blonde de mon père». Comment concilier alors le discours de ces enfants à celui des parents nostalgiques? Le problème de notre génération est d'être tellement centrée sur elle-même qu'elle en a oublié que la terre a continué de tourner. La vie n'a pas cessé de vivre. Au contraire, les jeunes n'ont cessé de crier leur appel à l'amour. Si les années 60 affirmaient «je t'aime», les années 90 doutent: c'est l'ère du «tu m'aimes-tu?». Mais chut! Ne criez pas trop fort, papa fume son joint. Génération perdue, qui devrait crier sa honte de ne plus savoir aimer.
         J'ai trois enfants. Une de 7 ans, un de 4 et une de 2. Sept ans, en première année, 4 ans et 2 ans vont à la même garderie. Le matin, du lundi au vendredi, c'est la course. Il faut se lever et lever, habiller, faire manger et, en hiver, passer 3 jambières, 3 chandails, 3 manteaux, 6 bottes, 6 mitaines, 3 tuques et 3 foulards. Perdez-en un seul et c'est la panique. Ensuite, départ en 4X4, pour aller mener tout ce beau monde à l'heure, déshabiller tout ce que j'ai écrit il y a deux lignes, ranger tout cet inventaire, et arriver au bureau vers 9h15.
         Passons les détails de la journée.
         À 16h30, ma femme m'appelle pour confirmer qu'elle va chercher les enfants pendant que je vais à la maison réchauffer le souper que nous avons cuisiné samedi, après avoir fait les «courses». En soirée, il faut faire les devoirs de 7 ans, brosser les dents, donner les bains, mettre les pyjamas, changer la couche, chanter en choeur «Au clair de la lune» et «Frère Jacques», et dormir. Sans oublier de donner les antibiotiques durant le Festival des otites et des amygdalites.
         La course prend fin vers 21h00. Il reste donc environ deux heures par jour pour jouer de la guitare, lire, téléphoner, faire des lavages, faire les lunchs, passer la souffleuse, sortir les vidanges, ranger la maison, écouter les nouvelles et Le Point. Dire qu'un paquet de familles se tape tout ce travail à court d'un conjoint.
         Évidemment, la course génère des tensions. Et aujourd'hui, j'en ai plein le cul. Non seulement la vie de famille est-elle exténuante, mais nous devons dorénavant rassurer nos enfants et leur démontrer que nous sommes normaux. Et que ce sont les autres, les 70%, la majorité, qui ne vivent pas normalement. C'est le monde à l'envers.
         Ce n'est pas normal que nos enfants passent dès l'âge de 10 mois, 10 heures par jour à la garderie. Ce n'est pas normal qu'ils passent ensuite deux mois dans un camp d'été parce que les parents sont trop occupés à travailler pour payer l'hypothèque. Ce n'est pas normal que les adolescents aient, en plus de la permanence des boutons, une clef pendue au cou. Cette clef sert à faire patienter les ados chez eux, de 15h à 18h, en attendant que le ou les parents essoufflés reviennent du travail. Ce n'est pas normal que les enfants d'aujourd'hui aient perdu leur enfance, qu'ils ne soient pas plus heureux que nous l'étions.
         Quand j'étais petit, je passais, avec mes 5 frères et soeurs, 4 mois par an à la maison. Nous avions le temps de relaxer, de nous tenir loin des structures formelles de l'école, et de vivre ce à quoi les enfants ont droit: leur enfance. Aujourd'hui, à 7 ans, en plus de la pression de l'école, ils doivent être bons durant leur camp de vacances, être disciplinés et performer. Ce n'est pas tout.
À 7 ans, les enfants ne se contentent plus de jouer à la marelle, à la couraille, aux quatre coins ou au ballon-chasseur. Ils s'amusent aussi à faire de la robotique. De nos jours, les logiciels ont envahi les jeux comme des virus. Et à 7 ans, ils savent souvent tous les mystères de la reproduction. Moi, à 7 ans, je devais être nono, je jouais avec mon imaginaire.
         J'accuse notre génération, celle des babyboomers, d'avoir démissionné devant ses responsabilités. J'accuse les femmes d'avoir confondu le marché du travail et la liberté. J'accuse les hommes de n'avoir rien compris aux revendications des femmes. J'accuse les hommes et les femmes d'avoir perdu la notion de couple et d'avoir raté la génération de leurs enfants. Les enfants malheureux sont le signe de parents ratés. Un couple, ce n'est pas deux nombrils. Un couple, c'est deux coeurs et deux têtes.
         Une famille se construit autour des enfants. Les enfants doivent être au centre des préoccupations des parents, au-dessus de toutes les autres, y compris des égos, si chèrement défendus par ma génération. Le bien-être de la famille transcende celui des individus. J'aurai l'air curé en disant que la famille exige un lot de sacrifices de la part des parents. C'est pourtant vrai. La famille, c'est moins de restaurants, moins de cinéma, moins d'argent, moins de liberté, bref, plus de privations. La famille, c'est aussi une gratification si intense que seuls les parents qui aiment leurs enfants peuvent comprendre. Et, chose étrange, s'occuper des enfants apporte une autre perspective aux problèmes, une dimension différente aux petites bibittes de l'âme et du moi de l'Homme. Avec des enfants, je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort trop longtemps. Si les gens de ma génération avaient plus d'enfants, ils auraient moins de bibittes à panser.
         Mes enfants ne sont pas plus heureux que moi à leur âge. À deux salaires, nous gagnons plus d'argent que mes parents à notre âge. Nous vivons plus confortablement, mais pas mieux. Nous sommes en train de perdre le sens des valeurs. Les parents ne veulent plus avoir d'enfants parce que, entre autres, ça coûte trop cher. L'an dernier, les frais de garde nous ont coûté 15 000$. C'est plus encore que notre hypothèque. Tout ça parce que notre société a démissionné.
         Que sont les babyboomers devenus? Sont-ils si occupés à faire des coupures qu'ils n'ont pas le temps de voir quel temps il fait dehors? Ou bien sont-ils si coupés qu'ils passent leur temps à caler leur bière et à roter d'ennui? Pourquoi ne sont-ils pas dans les rues?
         Je ne comprends pas que les exigences économiques aient pris tant d'ampleur et aient grugé un tel territoire dans notre vie privée. Aujourd'hui, l'économie mène le monde; l'excuse première, l'arme suprême des pouvoirs économique et politique s'appelle la rationalisation. Et la passion? Depuis quand le Yin se prive-t-il du Yang?
         Nous devons nous concentrer sur notre qualité de vie, la questionner et trouver une réponse. Je refuse de rajouter encore de la pression et de vivre cette vie de fous pour.... pour...pourquoi déjà? Je ne sais pas. Mais je sais qu'en gardant contact avec mes petits, je suis dans la bonne direction. Je ne sais pas encore comment j'éviterai le problème, mais je refuserai aussi qu'ils deviennent des ados à clef.
Nous devons changer. Et les changements, nous ne les ferons pas seuls.
         Nous les ferons avec l'État.
         Dans peu de temps, les babyboomers arriveront à la direction de l'État. S'ils se souviennent le moindrement des principes qui ont guidé leurs belles années, ils seront en mesure de prendre des décisions éclairées.
         L'État doit faire de gros efforts sur la famille. Il doit reconnaître légalement et économiquement le travail du conjoint à la maison avec les enfants. Il permettrait ainsi de désengorger le marché du travail et de faire revivre le Nous. Il donnerait surtout l'occasion aux couples de reprendre leur souffle et de se retrouver. Et, espérons-le, de rendre nos enfants plus heureux. Nous passerions ainsi de la génération perdue à la génération retrouvée. Nous donnerions un sens nouveau à notre vie. Et une autre corde à notre guitare.
(Avril 1994)