jeudi 16 juillet 2020

L'exil vaut le voyage


Je lis L’exil vaut le voyage, de Dany Laferrière.

La page 200 ressemble à un 21 juin.

Le 21 juin se lève sur la lumière la plus longue de l’année. C’est le solstice d’été, célébré par les Premières Nations.

Le soir du 21 juin est un pincement au cœur.

À partir de demain, les jours vont raccourcir, lentement mais sûrement, comme si la nuit tirait la couverture de son bord.

Et ainsi de suite, jusqu’au 21 décembre. Le 22, c’est la joie. Le jour prend le contrôle de la couverture.

L’année est une couverture de vases communicants et les solstices, les pôles du clair-obscur.

Une légende autochtone raconte que les oiseaux migrateurs tirent la chaleur vers le nord au printemps et repartent avec à l’automne.

L’exil vaut le voyage compte quatre cents pages.

Comme tout est écrit, dessiné et paginé à la main, cela donne certaines phrases.

... il aura attendu 13 ans cette phrase magique qui lui ouvrira toutes les portes de la perception. 103

... mais 114 que fait cette chaussure au milieu de la pièce?

... soit celui qui change la mé- 126 moire en un fleuve de...

Lire comme un enfant, c’est pas mal plus drôle.

Ce livre goûte les bonbons Taveners de ma grand-mère Panneton, avec une fine poudre sucrée autour.

Dany Laferrière s’est inspiré d’enfants qui dessinaient par terre dans un aéroport. Il a posé son crayon à hauteur du plancher, écrit et dessiné à la main ses trois derniers romans.

Vers d’autres rives est le plus magnifique récit que j’aie lu depuis Cent ans de solitude.

J’ai sauté cinquante pages d’Autoportrait de Paris avec chat.

Je déguste L’exil vaut le voyage.

Pour un enfant, un avion qui tombe, tombe. L’avion tombe parce qu’il s’est endormi.

Vus du plancher, les personnages haïtiens sont blancs. Ben oui, puisque le papier est blanc.

Un jour, ma fille Stéphanie a dessiné notre maison tout en noir. Ses pages n’étaient jamais assez grandes pour dessiner le soleil. J’ai été inquiet. C’était notre maison la nuit.

À la page 83, l’action se passe la nuit. Le fond de la page est noir, comme le dessin de Stéphanie.

L’enfance ne connait pas l’arrière-pensée.

Le roman précédent, Vers d’autres rives, n’était pas paginé.

Que je conte ma journée d’hier ou le plus beau jour de ma vie, il n’y a pas de page dans mon récit.

Hier, page 1, je suis allé faire le marché chez Adonis. En revenant, j’ai fait le plein, page 2.

Bref, à la page 201, le récit raccourcit forcément, il reste moins à lire. C’est la nuit du 22 juin.

Je n’ai jamais compris pourquoi la fin d’un livre déboule rapidement.

Comme si le texte mincit plus vite parce qu’il reste moins de pages.

Tout écrivain est d’abord un lecteur, écrit à la main sur le papier blanc de la page 47 Dany Laferrière, mais tout lecteur ne devient pas écrivain.

L’enfant dans la lune apprend à écrire.






mercredi 15 juillet 2020

Un courant d'air


Notre monde carbure au racisme systémique.

Il ne sait pas faire sans.

Nos sociétés occidentales se sont enrichies grâce à l’esclavage et aux ressources volées aux Premières Nations.

L’Europe est bâtie sur le racisme systémique.
Le Canada est bâti sur le racisme systémique.
Les États-Unis…

Il est tellement ancré en nous que nous ne le voyons plus.

Il y a quelques mois, j’explique à une amie la colère des Premières Nations. Nous avons volé leurs terres, les pensionnats, les réserves, les assassinats. Tu ne serais pas en colère, à leur place?

L’ignorance est un courant d’air à la hauteur des yeux. Elle est la première complice du racisme, et la base du système.

L’esclavage a débuté il y a mille cinq cents ans. Esclave vient du mot slave. L’esclave était blanc slave.

Les premiers acteurs du racisme systémique sont Dieu, les papes, des rois et reines d’Europe, des explorateurs, des marins et l’effort collectif.

Depuis 1400, la Doctrine de la découverte alimente le système. Au moyen de bulles papales, cette doctrine justifie l’européen de répandre les bienfaits de la civilisation européenne de par le monde.

En clair, occupe, pille et favorise l’expansion coloniale de peuples autochtones.

La bulle papale est la caution de la conquête. Comme le pape représente Dieu sur Terre, tout baigne.

En 1444, débute l’esclavage africain, sur une plage de Lagos, au Portugal.

Le Noir comme valeur d’échange. Il n’est pas humain, juste utilitaire. Naissent le « Blanc » et le « Noir ».

Au Brésil, on crée les plantations sucrières comme modèle d’affaires. Le sucre est la gâterie de l’Europe et l’esclavage, son industrie.

À la longue, Blanc égale « supérieur » et Noir, « inférieur ». Le système devient une mentalité, une normalité.

1492. Colomb découvre l’Ile de la Tortue. Toute sa vie, on lui fera croire qu’il s’agit de l’Amérique.

L’Amérique est la version européenne de l’Histoire.
L’Ile de la Tortue est un univers autochtone millénaire.

1534. À Saint-Malo, Jacques Cartier quitte pour un nouveau monde. Il pense en rapporter des richesses. Dans la foulée, les européens envahissent les deux amériques, comme des bars ouverts. La Doctrine souffle dans les voiles.

Du point de vue européen, explorer s’appelle un projet de société.
Le professeur américain Wilbur Schramm appelle cela de la gratification.

1885. La Conférence de Berlin. La France, l’Espagne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Portugal et l’Italie se partagent l’Afrique.

Aucun de ces gens n’a mis les pieds en Afrique. La première exportation de l’Europe est la suffisance.

Tous ces moments d’histoire se téléscopent dans le temps en un non-dit: nous voulons votre bien et nous l’aurons.

Mon dieu est plus fort que le tien.

Après plus de cinq cents ans, on peut comprendre que le blanc européen se sente assez à l’aise partout sur Terre. La doctrine est devenue une évidence.

Dans les années 70, la Baie James est un projet de société au Québec. Assurer l’autosuffisance hydroélectrique et vendre la ressource à des marchés extérieurs.

Le juge Malouf dit au gouvernement de Robert Bourassa vous êtes sur les terres des Premières Nations. Vous devez négocier. Bourassa tombe en bas de sa chaise.

2015. Le Rapport de la Commission vérité et réconciliation expose le génocide canadien à l’endroit des Premières Nations.

Je vous mets au défi de lire cent pages.

Mêmes européens, mêmes bulles, même suffisance. La caravane passe.

2020. George Floyd.

Voyez Les routes de l’esclavage (Arte), Les grandes civilisations africaines (PBS, sur Savoir.tv), Kanehsatake, 270 ans de résistance (ONF), L’empreinte, (ISCA).

Ces films disent le contraire de nos préjugés. C’est l’fun, la vérité.

Nous devons l’enseigner à nos enfants.

Un jour, ils dirigeront le pays.