jeudi 28 février 2019

Calder


À l’expo Calder, au Musée des Beaux-Arts de Montréal, je regarde un mobile d’Alexander Calder.

Je cherche par où commencer.

Une tige principale. À chaque extrémité, d’autres tiges. À une extrémité de l’autre tige, une soucoupe ; à l’autre, une autre tige. Soucoupe et tige font contrepoids. Et ainsi de suite.

C’est la forme dans l’équilibre.

C’est la clarté dans la confusion, dit Jacques Brel dans L’aventure, c’est l’aventure.

Équilibre veut dire que le poids flotte.

Il n’y a pas un gramme de trop nulle part et il n’en manque pas un partout.

Rêver et flotter sont deux verbes du premier groupe.

J’ai devant moi un très bon texte. Pas un mot de trop et il n’en manque pas un.

Une excellente chanson. Pas une note de trop…

Renaud Garcia-Fons, Solo – The Marcevol Concert.

Le mobile n’est pas une métaphore, mais l’illustration physique d’un texte. Un bon texte est une émotion et là, ça y est.

C’est de ça qu’il s’agit, converger avec des personnes qui vous font voir des choses que vous ne voyez pas, écrit l’écrivain uruguayen Mario Benedetti.

Calder ne suggère rien : il attrape de vrais mouvements vivants et les façonne. Ses mobiles ne signifient rien, ne renvoient à rien qu'à eux-mêmes : ils sont, voilà tout; ce sont des absolus.

Ces mots sont ceux du philosophe français Jean-Paul Sartre. Pour une fois que je le comprends celui-là, je vais le citer.

La dernière fois, c’était Les chemins de la liberté, un interminable supplice de la goutte. Examen de philo dans une semaine.

Cinquante pages chaque soir pendant huit jours, dans le salon, chez mes parents. Et la note 32 à l’examen, au Collège Français.

Ça a été la dernière.

Lire Sartre, c’est comme manger un Big Mac.

Un texte flotte du moment où je ne suis plus dans le rationnel.

Calder flotte. Rembrandt éclaire. Picasso hurle.

Un texte bien écrit est rythmé comme de la musique.

Un texte très bien écrit passe l’épreuve du temps.




samedi 16 février 2019

Plus qu'un livre de recettes



Avec Notre-Dame de Paris, Victor Hugo a meublé nos imaginaires de Quasimodo, d’Esmeralda et du méchant curé possédé par les démons du désir.

L’imaginaire est un espace, un désert, un salon, un trottoir. Vous meublez à votre goût.

La première fois que je suis entré dans Notre-Dame, je cherchais Quasimodo.

Le soir, quand j’étais petit, une sorcière tentait d’attraper ma cheville. Je prenais mon élan pour sauter dans le lit et elle ratait son coup. Là-haut, avec mon pistolet Luger en plastique, j’étais hors de danger.

Je viens de terminer la lecture L’art de vivre selon Joe Beef, un délice selon Fred Morin, David McMillan et Meredith Erickson.

Ce livre se lit comme une BD ou un bon film. Tu n’as pas allumé le four qu’il sent la famille.

Ce saucisson est tellement frais, on croirait l’entendre braire, dit le chef corse Ocatarinetabellatchitchix. Merci René Goscinny.

Depuis deux jours, le Spaghetti au homard-lobsterde la page 27 me regarde.

La recette de construction d’un fumoir, les lettres imprimées sur une photo de boucane, est une expérience.

L’idée, ce n’est pas l’huitre ou le foie gras, mais le chemin pour s’y rendre.

Bien des hommes se sont farci la cuisse d’Esmeralda. Pas un n’a réussi à lui faire vivre un tel trip. Quasimodo n’était pas plate.

Les Huitres chaudes sur radiode la page 120, le Chou vert frisé pour gueule de bois, page 202, ne sont pas plates.

Le meilleur steak de ma vie, c’était il y a vingt ans, à Niamey, au Niger.

Un cafard gros comme ça, sur le mur de la toilette. Le fleuve Niger, le ciel d’Afrique, mon frère Bory Seyni et la voix de Céline Dion sur cassette.

Il n’y a pas de recette pour l’amitié.

Je n’ai encore rien dit sur le steak.

Ton énergie et ton léger retard mental nous inspirent tous, écrit David McMillan, dans ses remerciements à son ami Fred.

Nous n’avons pas assez d’une vie pour faire le tour des vingt-six lettres de l’alphabet.




jeudi 14 février 2019

Second regard


L’émission Second regard porte bien son nom.

Il faut être visionnaire pour donner, en 1978, un nom à une émission de télé qui regardera de plus en plus autrement, au fil des quarante ans suivants.

Second est pris ici dans le sens de Autre. Autre regard, et non pas deuxième, moins important que premier.

C’est comme La semaine verte, aussi diffusée à Radio-Canada. Cette semaine, on parle du congédiement de l’agronome Louis Robert, une sommité, virée pour avoir critiqué l’usage des pesticides dans notre alimentation.

Depuis, le ministre de l’Agriculture André Lamontagne s’empêtre joyeusement dans les mauvaises herbes.

La semaine verte dépatouille tout ça en fouillant les marécages de la prise de contrôle de l’industrie des pesticides sur le ministère de l’agriculture.

Nous ne sommes pas achetables, dit le premier ministre François Legault. C’est ben d’adon, dit la rumeur, le ministre est vendu.

Ouvrez les fenêtres, ça sent le putois dans la salle, dit Lucky Luke.

Cette semaine, Second regard pose aussi la question pourquoi s’intéresser à l’histoire? L’historien Éric Bédard suggère pour chercher du sens, du dépaysement ou des racines.

Je m’intéresse à l’histoire pour retracer certaines vérités.

Ainsi, la phrase Christophe Colomb a découvert l’Amérique est fausse.

Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique, nous n’étions pas perdus, écrit l’auteur Cri Harold Johnson, dans Two Families. Fin regard.

Christophe Colomb n’a pas pu découvrir l’Amérique, ce nom a été donné la première fois au continent le 25 avril 1507, après le navigateur italien Amerigo Vespucci.

Tel que raconté, Colomb a débarqué, planté un drapeau dans le sable et pris possession du continent au nom du roi.

Nous sommes loin du gars qui écoute, mais plus près de celui qui salive.

Dans ce qui aurait pu être la vraie version, Christophe Colomb a découvert La grande tortue en 1492. En mettant le pied sur cette terre, il a rencontré des membres de communautés autochtones. Il s’est installé, a mis le temps pour apprendre la légende du continent, leurs langues et les mieux connaitre. Second regard.

Colomb a aussi découvert que La grande tortue est habitée depuis au moins 13 000 ans, que des monuments autochtones de plus de 5 000 ans sont érigés dans la ville actuelle de St-Louis, que les autochtones connaissent et maitrisent tout le territoire.

Il n’avait qu’à lire 1491, de Charles C. Mann. Il n’avait qu’à écouter.

Plus tard, il retournerait voir son roi et lui dire je me suis fait des amis en Grande tortue. Nous pourrions signer un accord de libre-échange.

Cette vraie histoire n’a pas eu lieu parce que Colomb n’était qu’un européen, équipé de la mentalité européenne, pas plus longue que le bout de son nez : tout ce qui m’entoure est second.

Dans Virginia City, le cow boy Lucky Luke va rencontrer le notaire Chester, du cabinet Chester, Chester, Chester & Chester. Vous le trouverez avec les trois autres dans le bureau du premier, au second, dit le concierge. Inénarrable René Goscinny. Je la ris chaque fois. J’aime cet homme comme un ami.

Imaginez Colomb s’adresser ainsi au chef autochtone. On s’en taperait encore les cuisses.

C’est comme relire l’histoire, telle que refaite par Gotlib, dans Les Dingodossiers. Les boyaux tordus de l’humour.

Un artiste dans la lune, c’est quelqu’un qui va s’y rejoindre.

Lorsque Howard Carter a découvert la tombe du pharaon Toutânkhamon, il l’a scrutée, cajolée, écoutée. Il en a pris soin.

Il faut écouter la découverte. Elle est plus sexy que le découvreur.



mardi 12 février 2019

Johnny Clegg



Jean-François Roberge
Ministre de l’Éducation
Québec



Bonjour monsieur Roberge,

Johnny Clegg va mourir.
Johnny Clegg est connu dans le monde comme le Zoulou blanc. Il a été initié jeune à la culture zoulou, il l’est devenu.

Johnny Clegg est l’exemple même de la fusion des genres. Ça n’a pas toujours été le cas. Lorsqu’il se produisait sur scène avec ses amis Noirs pour chanter en zoulou et en anglais, durant le régime de l’Apartheid, en Afrique du Sud, c’était moins drôle. Les descentes policières faisaient partie des spectacles.

Nelson Mandela est monté sur scène pour chanter et danser Asimbonanga, chanson écrite pour lui par Johnny Clegg.

Johnny Clegg est le modèle de ce qu’on devient, une fois dépassés les débats sur l’appropriation culturelle.

Ma fille Camille a vécu en Nouvelle-Zélande. Là-bas, les Blancs sont initiés jeunes à la culture Maori, les Premières nations. Dans les mariages, tout le monde swing la compagnie au même rythme.

Je verrais bien des cours de langue et de culture autochtones dans nos écoles. Ils nous ont accueilli chez eux, c’est la moindre des choses. Une mise à jour de notre histoire.

Nous avons besoin de nous rencontrer, de jaser au coin d’une table. L’ouverture à l’autre fait baisser la pression et agrandir l’école.

L’école de Johnny Clegg a fait des petits. En décembre, certains se sont rencontrés pour le lui dire, quelques minutes. Les fonds amassés iront aux jeunes d’écoles primaires.

Les corridors de nos écoles sont pleins de jeunes comme ceux-là. Tout ce qui reste à faire, c’est de faciliter la rencontre.



Luc Panneton
Ville St-Laurent

vendredi 1 février 2019

Une table


Je suis assis au bout d’une table, 30 pieds de long par 30 pouces de large environ.

Mes souvenirs d’enfance se mesurent en pouces et en pieds. Le système métrique, c’est ma vie adulte. Je vis en Farenheit.

La différence entre le système métrique et l’impérial, c’est le concept.

Je sais dans ma tête à quoi ressemblent cinq cents pieds. Je sais un mille.

Les terres du nord étaient mesurées en lots. Un mille de long par huit-cent-cinquante pieds de large.

L’espace est l’affaire du mental. Le chiffre, c’est bon pour le papier.

Il y a plus d’espace dans une tête en milles qu’en kilomètres.

Sur ma gauche, quinze chaises vont rejoindre celle à l’autre bout. Sur ma droite, quinze autres chaises reviennent vers moi. Toutes vides.

Un roi sans sujets est un homme heureux.

Le café Paillard, dans le Vieux-Québec, est vide. Il neige léger, il fait froid et il est tôt.

La rue St-Jean ressemble à un magasin de jouets.

Au chalet, une table en pin de dix pieds régnait dans la cuisine.

Papa s’assoyait au bout, près de la porte d’entrée.

Sur sa gauche, quatre chaises. Maman, tante Hélène, Michelle et Danièle.

Au bout, Gilles.

Sur la droite, un banc en pin, aussi fabriqué par monsieur Brassard, un menuisier du village.

À côté de Gilles, sur le banc, moi. Ensuite, Claude et Paul, assis près de papa.

Les femmes d’un bord, les hommes de l’autre.

Il restait de la place pour tasser du monde.

La table, les terres, les six enfants, les chevaux, les vaches, les moutons, les lapins, le travail, c’était la façon paternelle de causer bonheur. Même Moustique, le Danois, et Tocson, le Saint-Bernard, incarnaient l’espace.

Lorsqu’il marchait dehors, papa chantait. Les arbres tapaient du pied.

Dans cet espace, il n’y avait ni porteur d’eau ni de nés pour un petit pain.

Le colonisé habite dans une tête étroite. Si tu meubles la tête étroite d’espace, exit le colonisé.

La dernière fois que je suis allé au chalet, je me suis assis à la place de papa. J’ai vu défiler tous nos étés d’enfance et la Soirée du hockey. La place de papa était celle du cinéma.

Le nouveau propriétaire arrivait demain.

Ma tête est partie avec une table en pin, des chaises et un banc.

Il y avait une musique aussi. Je me fous du monde entier, quand Frédéric…