mercredi 22 mai 2013

L'art de vivre selon Joe Beef



Décrire comment ma mère faisait ses hamburgers, ça ne se fait pas. J’ai trouvé le truc un après-midi dans sa cuisine. Ce devait être son huit cent millième, après avoir élevé six enfants pendant 30 ans. Dans la poêle en fonte, la boulette cuisait, mais maman ne la regardait pas. Elle fixait l’armoire devant elle, j’avais la certitude qu’elle ne la voyait pas. Entre elle et l’armoire, il y avait la lune.

Machinalement, le côté de sa spatule pressait légèrement la boulette, comme pour l’ouvrir un peu. Le jus s’écoulait de la boulette pour aller frire dans le fond de la poêle. Quand la boulette était prête, elle avait l’air cochonne, juste étendue en ingénue sur le pain.

La technique du hamburger de ma mère, c’est toute l’expérience dans la désinvolture. Ça ne s’écrit pas dans une recette.

L’art de vivre selon Joe Beef, c’est exactement la même chose. Je n’ai pas acheté ce livre pour les recettes, je n’en ferai pas une. Je l’ai acheté pour l’édition et les histoires. Joe Beef est entièrement dans les textes, c’est l’esprit. Si je capte l’esprit, je peux tenter une recette. Autrement, je n’y touche pas. À chacun son armoire.