Décrire comment ma mère
faisait ses hamburgers, ça ne se fait pas. J’ai trouvé le truc un après-midi
dans sa cuisine. Ce devait être son huit cent millième, après avoir élevé six
enfants pendant 30 ans. Dans la poêle en fonte, la boulette cuisait, mais maman
ne la regardait pas. Elle fixait l’armoire devant elle, j’avais la certitude
qu’elle ne la voyait pas. Entre elle et l’armoire, il y avait la lune.
Machinalement, le côté de sa
spatule pressait légèrement la boulette, comme pour l’ouvrir un peu. Le jus
s’écoulait de la boulette pour aller frire dans le fond de la poêle. Quand la
boulette était prête, elle avait l’air cochonne, juste étendue en ingénue sur
le pain.
La technique du hamburger de
ma mère, c’est toute l’expérience dans la désinvolture. Ça ne s’écrit pas dans
une recette.
L’art de vivre selon Joe Beef, c’est exactement la même chose. Je n’ai pas acheté ce livre pour les
recettes, je n’en ferai pas une. Je l’ai acheté pour l’édition et les
histoires. Joe Beef est entièrement dans les textes, c’est l’esprit. Si je capte
l’esprit, je peux tenter une recette. Autrement, je n’y touche pas. À chacun
son armoire.