vendredi 1 février 2019

Une table


Je suis assis au bout d’une table, 30 pieds de long par 30 pouces de large environ.

Mes souvenirs d’enfance se mesurent en pouces et en pieds. Le système métrique, c’est ma vie adulte. Je vis en Farenheit.

La différence entre le système métrique et l’impérial, c’est le concept.

Je sais dans ma tête à quoi ressemblent cinq cents pieds. Je sais un mille.

Les terres du nord étaient mesurées en lots. Un mille de long par huit-cent-cinquante pieds de large.

L’espace est l’affaire du mental. Le chiffre, c’est bon pour le papier.

Il y a plus d’espace dans une tête en milles qu’en kilomètres.

Sur ma gauche, quinze chaises vont rejoindre celle à l’autre bout. Sur ma droite, quinze autres chaises reviennent vers moi. Toutes vides.

Un roi sans sujets est un homme heureux.

Le café Paillard, dans le Vieux-Québec, est vide. Il neige léger, il fait froid et il est tôt.

La rue St-Jean ressemble à un magasin de jouets.

Au chalet, une table en pin de dix pieds régnait dans la cuisine.

Papa s’assoyait au bout, près de la porte d’entrée.

Sur sa gauche, quatre chaises. Maman, tante Hélène, Michelle et Danièle.

Au bout, Gilles.

Sur la droite, un banc en pin, aussi fabriqué par monsieur Brassard, un menuisier du village.

À côté de Gilles, sur le banc, moi. Ensuite, Claude et Paul, assis près de papa.

Les femmes d’un bord, les hommes de l’autre.

Il restait de la place pour tasser du monde.

La table, les terres, les six enfants, les chevaux, les vaches, les moutons, les lapins, le travail, c’était la façon paternelle de causer bonheur. Même Moustique, le Danois, et Tocson, le Saint-Bernard, incarnaient l’espace.

Lorsqu’il marchait dehors, papa chantait. Les arbres tapaient du pied.

Dans cet espace, il n’y avait ni porteur d’eau ni de nés pour un petit pain.

Le colonisé habite dans une tête étroite. Si tu meubles la tête étroite d’espace, exit le colonisé.

La dernière fois que je suis allé au chalet, je me suis assis à la place de papa. J’ai vu défiler tous nos étés d’enfance et la Soirée du hockey. La place de papa était celle du cinéma.

Le nouveau propriétaire arrivait demain.

Ma tête est partie avec une table en pin, des chaises et un banc.

Il y avait une musique aussi. Je me fous du monde entier, quand Frédéric…




1 commentaire:

  1. "Le colonisé habite dans une tête étroite. Si tu meubles la tête étroite d’espace, exit le colonisé"
    Bien dit!

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