mercredi 26 février 2020

La conquête de l'espace


J’ai perdu mon cell jeudi.

Je ne l’ai pas assez perdu. Lundi, un collègue écrit j’ai trouvé ton cell.

Quatre jours pas de cell, j’ai aimé ça.

Une forme de décolonisation.

J’ai retrouvé cette liberté que j’ai connue la plus grande partie de ma vie.

Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre.

Je rappellerai quand je reviendrai.

À quatre-vingt-quinze pieds derrière chez moi, il y a la maison de mon voisin. Quarante-cinq pieds de mon terrain, trente de rue et vingt de son terrain.

Cet espace, qu’on ne voit pas mais qu’on respire, est un champ de bataille entre une giga quantité d’ondes et de bandes passantes sans fil, et mon imaginaire. Destinations les écrans, serveurs et paradis fiscaux.

Quand j’étais petit, il y avait du Radio-Canada, du Télé-Métropole, CKAC, CJMS, des ondes de taxi.

La galerie servait de bunker, les bâtons de hockey, de mitraillettes, le bloc de ciment, d’hélicoptère. Louis s’appelait Joe et je m’appelais Joe. Les médias occupaient une mini place.

La liberté est une forme d’ignorance. Tu réalises plus tard combien tu étais libre.

Elle occupe un rayon de trois pieds.

Un jour, une pagette a investi ce rayon. Puis un iPod, un iPhone.

La conquête, ce ne sont pas les espaces galactiques intersidéraux vers l’infini et plus loin encore.

C’est l’espace intime que la pub n’a jamais réussi à contrôler.

Dans les années 60, la pub télé se tenait à dix pieds de moi. Elle se trouve maintenant à un pied, dans mon écran. C’est mon curseur, mes clics, bientôt une puce sous la peau. Le temps est mesuré, colligé, métadonnée, stockée et vendue. Tout ça, une gracieuseté de moi-même.

Ces appareils sont des voleurs d’imaginaire : le temps passé dans un écran est autant de moins pour rêver.

En perdant mon écran, j’ai retrouvé dix pieds.

Je me suis souvent fait traiter d’arriéré pour penser cela.

J’ai écrit la première version de ce texte sur mon cell.

J’ai chargé sa pile et je l’ai éteint.

La bohème.




mardi 18 février 2020

Négos


Marc Miller est ministre des Services aux autochtones.

La langue maternelle de Marc Miller est l’anglais. Il est parfaitement bilingue.

La langue maternelle de Justin Trudeau est l’anglais. Il est imparfaitement bilingue.

Justin Trudeau a envoyé Marc Miller, quelque part sur une voie ferrée, pour discuter du blocus ferroviaire avec des membres des Premières Nations.

Il y est resté pendant dix heures.

Ce matin, Marc Miller était l’invité de Paul Arcand sur les ondes de 98,5.

Paul Arcand : Vous négociez avec qui?

Marc Miller : On négocie avec des gens qui disent que les marchandises ne peuvent pas passer.

Paul Arcand : Qui sont-ils?

Marc Miller : Ce sont des gens de la nation Mohawk qui ont des revendications qui leur sont propres, qui risquent leur vie, parce que se tenir sur des rails, c’est excessivement dangereux.

Au risque de me répéter, Marc Miller est ministre.

Paul Arcand : Si vous connaissez l’histoire de la crise d’Oka, vous rappelez-vous d’un ministre qui s’appelait John Ciaccia, qui était par un beau dimanche d’après-midi ensoleillé, dans une pinède avec quelqu’un de masqué, en ne sachant pas avec qui il avait affaires? Ça vous-dit-tu quelque chose?

Marc Miller : C’est précisément ce qu’on fait dans toute négociation diplomatique. Notre pays est basé sur trois principes : la paix, l’ordre et le bon gouvernement et on ne peut pas arriver à l’ordre et le bon gouvernement sans avoir la paix et visiblement dans cette situation, nous avons un blocus qui ralentit l’économie.

Paul Arcand : Ok. Alors, ma question : pendant combien de temps êtes-vous prêt, comme gouvernement, à tolérer le blocus?

Ça dure dix minutes et quarante-deux secondes et je n'ai pas parlé du ton.

Si j’étais un Mohawk, j’aurais pissé dans mes culottes.

Le titre de Marc Miller débute par le mot « Honorable ».

Il n’y a pas de problème autochtone.

Il y a un problème Blanc.

Il dure depuis cinq cents ans.

Marc Miller est un ami de Justin Trudeau.

Ils se sont rencontrés à l’âge de 11 ans.




dimanche 16 février 2020

La leçon de tambour


Rumble, the Indians who rocked the world est une leçon de tambour.

Ce documentaire raconte comment le blues, le jazz et le rock sont les enfants et petits-enfants des rythmes des Premières Nations.

La Terre au micro.

Le film est réalisé par Catherine Bainbridge, co-fondatrice de la maison de production autochtone Rezolution Pictures International, de Montréal.

Montréal est collé sur Oka. Il n’y a pas de hasard.

Par les temps qui courent, des membres des Premières Nations bloquent les passages de trains à travers le pays.

Les Premières Nations sont les vrais leaders du pays. Ils tapent du pied et tout le monde manque d’air.

Je manque d’air aussi. Une balle perdue est si vite partie.

Ils sont en train, une fois de plus, de nous donner le la.

La est une note de musique, quatre-cent-quarante vibrations à la seconde. Chaque concert symphonique débute par un la. Le premier violon se lève et tout le monde la.

À elle seule, la est un accord.

Nous arrêtons de respirer. Comme à Oka, en 1990.

Cela s’appelle de l’autorité.

Le Canada est un pays de droit, dit le premier ministre Justin Trudeau, en réponse au blocus des Premières Nations, en Colombie-Britannique.

J’aimerais voir Trudeau dire la même phrase, sans rire, à un chef des Premières Nations.

De quel Droit parle Trudeau? Celui qui descend des onze traités signés par des chefs des Premières Nations, entre 1871 et 1921?

Vision de Blancs : les Premières Nations ne savent pas lire (interpréter: ce sont donc des ignorants). Comme ils ne savent pas lire, nous allons leur faire signer des traités écrits.

Déni de Blancs : les Premières Nations ont développé une tradition millénaire basée sur la parole. Tout leur contrôle du continent repose sur une tradition orale.

Pendant ce temps, les émissaires de Trudeau, dont le ministre des Transports Marc Garneau et le leader parlementaire Pablo Rodriguez, répètent que le problème relève du gouvernement de la Colombie-Britannique.

Vision de Blancs : pour discuter de nation à nation, nous vous envoyons notre valet.

Il faut l’entendre pour le croire.

Par définition, les Premières Nations sont hors de l’ordinaire. Ils possèdent une histoire dont nous ignorons tout. Et nous allons leur dire quoi faire?

Déni de Blancs : nous n’avons jamais été sur le même pied qu’eux.

Le droit dont Trudeau parle, c’est de bâtir un pays sur des terres volées, planifier un génocide, tuer l’Indien. « Un problème de cinq cents ans », dit le commentateur politique Christian Dufour, sur les ondes de RDI.

Le père de Trudeau parlait de pleutres.

Aujourd’hui, le pleutre a les yeux bleus mouillés et parle mal le français.

Comme s’il confrontait Jody Wilson-Raybould.

En tapant du pied, les Premières Nations rappellent le rythme de la Terre. Ce n’est rien d’ésotérique, c’est de la musique.

Un cours magistral.




samedi 1 février 2020

Bonjour



Les Québécois sont accueillants. À Montréal, même les taxis disent bonjour.

Le scientifique et humoriste Boucar Diouf l’a raconté. Un soir, il a dû se cacher dans un bar parce que des fêtards Blancs voulaient faire sa fête au Noir. Je ne répéterai pas les vrais mots.

Sa rencontre avec une gaspésienne et la Gaspésie a été plus heureuse. Les gens n’ont pas passé de commentaires sur sa jambe un peu plus courte que l’autre. Une belle surprise et un complexe de moins. Devant l’accueil québécois, Boucar Diouf a grandi un peu. Et nous l’aimons.

Le Québec est une société normale dans son ignorance et son accueil.

Le premier ministre François Legault tient à l’accueil. Il est prêt à recevoir moins d’immigrants au Québec, pourvu qu’ils soient mieux accueillis.

L’accueil prélude l’égalité.

Mon grand-père Joseph-Arthur a reçu des passants chez lui. Il leur offrait un repas, parfois une nuit.

Mon père a aidé des entrepreneurs à démarrer leur entreprise. Lorsqu’ils voulaient le remercier, il leur suggérait d’aider à leur tour.

Papa a embauché des détenus.

Nous avons été bien accueillis ici. On nous a dit installez-vous sur nos terres, mariez nos femmes et marchons la Grande Tortue ensemble. Lorsque vous serez malades, nous vous guérirons.

Les Premières Nations nous ont tout appris.

Nous accueillons comme nous avons été accueillis et pourtant, nous ignorons maintenant ces gens qui nous ont reçus.

François Legault ne sait pas quoi dire aux Premières Nations. Alors, il dit qu’il ne peut les rencontrer. Cela s’appelle jouer sur la relation. Jouer au grand en se montrant petit.

Parler de nation à nation prélude l’égalité.

François Legault a besoin d’aide.

Nous ignorons les Premières Nations parce que nous avons volontairement été séparés d’eux. Ils sont devenus des étrangers et nous avons peur de l’étranger. Mais un étranger, ça s’apprend.

La curiosité est l’apprentissage de l’étranger.

Du moment où je sais que nous avons été séparés par une volonté politique de faire des Premières Nations des parias, je sais que j’ai été manipulé. Je veux savoir.

Le vérité, c’est que les Premières Nations sont des sociétés très avancées sur la connaissance, la science, l’eau, l’air et le feu, la spiritualité, l’humour, la vie.

Ces connaissances ont agi sur nous comme un aimant. Dans les années 1680, dit l’anthropologue Serge Bouchard, quatre-vingt-cinq pour cent des Français qui arrivaient ici prenaient le bois. Ces hommes d’Europe ont marié les femmes d’ici et leur continent, la Grande Tortue.

Petit problème, les connaissances autochtones échappaient aux curés et à la mère patrie. Il fallait un mensonge. Le premier a été la religion.

Les Britanniques ont réglé la question en planifiant le vol des terres, le génocide et les politiques racistes. Ne pas avoir à se justifier, se débarrasser des témoins gênants. Une politique de la coupe à blanc, genre.

Les ingrédients du génocide ont été les réserves, les pensionnats, des politiciens, des religieux et des mensonges. Mais aussi les complices, médecins, notaires, policiers, juges et avocats, familles d’accueil. La séparation est devenue inévitable.

Petite parenthèse. Les Européens ont refait le coup en Afrique.

En 1885, treize pays européens et les États-Unis ont découpé l’Afrique en futures colonies. Il fallait apporter aux africains les bienfaits de la civilisation européenne. Aucun de ces diplomates n’avait mis les pieds en Afrique.

Aujourd’hui, l’image de l’Afrique, c’est la colonisation, la pauvreté et la pitié. Aux États-Unis, l’image des Noirs, c’est l’esclavage.

Si vous mettez la main sur la série Les grandes civilisations africaines, du réseau américain PBS, vous verrez l’ampleur de la vérité. La grandeur de l’Afrique est d’avoir tout inventé, même Sapiens. Ne comptez pas sur les Européens pour le raconter.

C’est la même chose ici. L’image des Premières Nations sont des stéréotypes véhiculés et répétés par les descendants des Européens, vous et moi.

Les sages font les proverbes et les sots les répètent, disait René Lévesque.

Nous répétons ces inepties par ignorance. Mais une fois que nous savons que nous colportons des mensonges, avons-nous le droit de fermer encore les yeux?

Pour contrer l’ignorance, il suffit d’ouvrir un livre et de tourner la page.

Il faut lire les récits des Premières Nations, retrouver l’étranger.

L’imaginaire est plus riche que la colère.

Il faut le dire à nos enfants et à François Legault.

N’ayez pas peur, monsieur Legault. Vous serez bien reçu.