Le COM-2650
se donnait au pavillon Read, angle St-Alexandre et de la Gauchetière, deux rues
en haut de la brasserie chez Maurice. Je connaissais bien. L’été précédant
l’ouverture de ce pavillon de l’UQAM, je venais livrer des matériaux de
construction pour les électriciens du chantier, au volant d’un pickup
International rouge. Mon père avait le contrat d’éclairer les futurs étudiants.
Sans le
savoir, j’allais avoir une bonne idée de ce qu’est l’université: un endroit d’abord
entièrement ouvert, dans lequel on monte des cloisons, pour contenir le savoir
dans autant de locaux. Les silos universitaires sont en gyproc.
Pierre
Foglia arrivait au cours avec Mauve, son vélo, pour le cours d’écriture
journalistique. Il m’est resté deux choses de ce cours: Foglia parle exactement
comme il écrit. Ses anecdotes, je les ai lues le samedi précédent ou j’allais
les lire le samedi suivant. Premier enseignement: Foglia est la forme humaine
de ses chroniques.
Foglia m’a
aussi griffonné un héritage. Dans un de mes textes, un homme regarde un paysage.
Foglia ajoute comme une vache regarde passer un train. Je n’ai jamais oublié
cette phrase, elle résume à elle seule le cours de 45 heures. Si tu veux savoir
comment pense un homme, passe par le regard de la vache. Ça tombe bien. Moi qui
dessine comme un pied, je vais écrire pour dessiner.
Cette
semaine, six journalistes du journal La
Presse ont écrit un texte dans une grande chronique, Le style Foglia, suite à la parution du livre Foglia l’insolent, de Marc-François Bernier. Chacun chacune s’inspire
d’une chronique ou d’une anecdote. Il n’est pas facile de décrire Foglia, une
fenêtre ouverte dans un texte cadré. D’où ce détour par le COM-2650. Et le
souvenir d’une chronique parmi 4300.
En 1995, au
Tour de France, le cycliste italien Fabio Casartelli décède suite à une chute.
Sa tête est allée donner sur une borne de ciment. Le lendemain, Foglia raconte
que le peloton s’est mis en branle en bloc. Tous les cyclistes portent un maillot
noir. Un des cyclistes s’envole au-dessus du peloton. C’est Casartelli.
Pour écrire,
il faut une solitude et un rayon de lumière. L’auteur coupe un mot, ajoute une
phrase, allonge un plan, change un accord, sable la pierre, doute, se lève,
s’assoit, recommence. Il gosse jusqu’à l’écoeurement. Lorsqu’il ferme la
lumière, le texte reste collé dans sa tête, comme une grotte de Lascaux. Il
peut même le réveiller la nuit, il manque un bout, celui de la solitude et du rayon
de lumière. S’il ne se lève pas pour l’écrire, il ne dormira plus. L’auteur lâche
tout lorsque le texte respire de lui-même. Il vit, il ne
lui appartient plus.
Pour lire
Foglia, il faut coucher la page de papier sur la table et la regarder non pas
de haut, mais par l’horizon. De la typographie émerge un long chemin avec des
vallons, des vélos, des fromages, des truffes, de l’Italie, Bob, Richard Desjardins,
des chats, Maxiiiime, le courrier du genou, des noms inconnus parce que vous ne
connaissez rien au sport, beaucoup d’hommeries, rarement des femmeries.
Foglia dit
d’Yves Boisvert qu’il est le chroniqueur des 20 prochaines années. Yves
Boisvert dit de Foglia qu’il a créé un style journalistique. Il y a un truc. Foglia
écrit des textes sur lesquels on ne peut tourner la page.