lundi 27 mai 2019

Un tour de machine


Pendant trois semaines, pas une note de musique dans l’auto. Que de la route.

New York, Pennyslvanie, Kentucky, Tennessee, Alabama, Mississippi, Louisiane.

Puis, Mississippi, Alabama, Géorgie, Caroline du Nord, Virginie, New Jersey, New York.

Ce pays s’est bâti sur la volonté de trois entreprises, Standard Oil, General Motors et Firestone.

Le pétrole pour fabriquer l’asphalte, les pneus et les plastiques, alimenter les véhicules.

L’automobile et les pneus pour redécouvrir l’Amérique.

Au passage, ces entreprises ont racheté la plupart des réseaux électriques de tramway en Amérique du Nord. Elles les ont remplacés par de beaux autobus GM brun et crème, alimentés au pétrole.

Ce modèle économique fonctionne à merveille. Dans ce pays, la route est l’otage de la consommation. Aux arrêts, que de la malbouffe, du pétrole et des hôtels.

Sur la route, on ne roule pas, on fonce.

Rouler est une action. Foncer est une attitude.

Ici, les choses se passent entre 130 et 160.
Si tu roules 120, garde ta droite ou reste chez vous.

Je n’ai pas vu un seul cow boy. Pas de zig zag, pas de tapon. Tout le monde à l’unisson. Et ça fonce.

Je monte une côte à 130. Un 4X4 Ford F-250 me dépasse. La roulotte qu’il tire arrivera en haut de la côte avant moi.

Deux poids lourds transportent chacun une moitié de maison pré-usinée. Un bandeau prévient : largeur excessive.

Ils dépassent à 130.

Rarement un changement d’adresse aura été opéré aussi rapidement. 

Dans un segment de quatre cents milles, j’ai vu au moins vingt cerfs morts sur le bord de la route. Une hécatombe.

J’ai vu trois taouins, un roulait à 100 et deux, à 160.

Trop, c’est comme pas assez. Une règle en cybernétique dit qu’un système trouve son équilibre par lui-même.

On reconnaît un pneu de poids lourd éclaté par une grande semelle déchirée, entourée de débris.

Dans ce cas-ci, il n’y a que des confettis de caoutchouc partout. Ce pneu s’est volatilisé.

Cent pieds plus loin, je compte douze pneus dans le fossé. Le reste du poids lourd est en dessous.

En allant vers le sud, les arbres présentent leurs feuilles du nord.
En allant vers le nord, les arbres présentent leurs feuilles du sud.

Je le confirme, les arbres sont verts sur les deux faces.

On ne peut en dire autant de tout le monde.

Un pays qui fonce le pied dans le tapis est-il en mesure d’épeler les mots gaz, effet, serre?

Une plaque de Porsche : SPLIFF

Au volant, on bronze plus à gauche qu’à droite.

Au retour, je suis arrêté à Woodstock.

Ceux qui se souviennent d’avoir été à Woodstock, c’est parce qu’ils n’y étaient pas.

Une dizaine de Porsche, Ferrari, Lamborghini et Audi, sautent sur la route. Elles filent entre les véhicules comme si elles tricotaient un chandail.

Encore un peu, la Lamborghini part avec ma peinture.

Nous sommes sur la 30, direction Vaudreuil.

Les sauvages sont de retour.




vendredi 3 mai 2019

Ailleurs, l'indifférence


Au fond de ma cour, un fil pend.

Il devrait normalement transporter les conversations téléphoniques d’un poteau à l’autre. Il a été coupé en chemin.

Les conversations n’ont pas dû s’en rendre compte, le fil pend depuis trois ans.

Il est attaché dans le haut d’un poteau à d’autres fils.

Le voisin d’en arrière se dit peut-être que le problème est dans ma cour.

Je me dis que c’est l’affaire de Bell.

Les passants ne se disent rien.

L’été dernier, j’ai roulé une partie du fil en boucle. De cette façon, personne ne peut s’y empêtrer.

Le fil a la forme d’un 6, accroché dans le haut du poteau.

Le même été, un technicien de Bell a travaillé à vingt pieds. Il a peut-être pensé que couper ce fil ne faisait pas partie de ses tâches.

La réceptionniste de Bell ne s’intéresse pas au fil. Le technicien non plus. Le président de Bell non plus. Chacun chacune a une bonne raison. Quelqu’un le fera.

Nous sommes responsables puisque quelqu’un le fera.

Et ainsi de suite, personne ne le fera, jusqu’à ce quelqu’un s’électrocute.

Je dis ça pour l’image, on ne s’électrocute pas avec ce type de fil.

L’indifférence est un cercle, elle se trouve toujours autour. Autour comme dans regarder ailleurs.

Le centre n’est jamais indifférent. C’est là que ça se passe. Le centre est une cible.

Une jeune fille de sept ans a été assassinée cette semaine.

La face dans son écran, le juge, le policier, le travailleur social, la voisine, le système, chacun chacune avait une raison de regarder ailleurs.

Tout le monde a le droit et pas d’obligation.

Lorsque tout le monde regarde ailleurs en même temps, on parle de tempête parfaite.

Au fond de la cour, une jeune fille pend.

L’indifférence coupable de meurtre.