vendredi 3 mai 2019

Ailleurs, l'indifférence


Au fond de ma cour, un fil pend.

Il devrait normalement transporter les conversations téléphoniques d’un poteau à l’autre. Il a été coupé en chemin.

Les conversations n’ont pas dû s’en rendre compte, le fil pend depuis trois ans.

Il est attaché dans le haut d’un poteau à d’autres fils.

Le voisin d’en arrière se dit peut-être que le problème est dans ma cour.

Je me dis que c’est l’affaire de Bell.

Les passants ne se disent rien.

L’été dernier, j’ai roulé une partie du fil en boucle. De cette façon, personne ne peut s’y empêtrer.

Le fil a la forme d’un 6, accroché dans le haut du poteau.

Le même été, un technicien de Bell a travaillé à vingt pieds. Il a peut-être pensé que couper ce fil ne faisait pas partie de ses tâches.

La réceptionniste de Bell ne s’intéresse pas au fil. Le technicien non plus. Le président de Bell non plus. Chacun chacune a une bonne raison. Quelqu’un le fera.

Nous sommes responsables puisque quelqu’un le fera.

Et ainsi de suite, personne ne le fera, jusqu’à ce quelqu’un s’électrocute.

Je dis ça pour l’image, on ne s’électrocute pas avec ce type de fil.

L’indifférence est un cercle, elle se trouve toujours autour. Autour comme dans regarder ailleurs.

Le centre n’est jamais indifférent. C’est là que ça se passe. Le centre est une cible.

Une jeune fille de sept ans a été assassinée cette semaine.

La face dans son écran, le juge, le policier, le travailleur social, la voisine, le système, chacun chacune avait une raison de regarder ailleurs.

Tout le monde a le droit et pas d’obligation.

Lorsque tout le monde regarde ailleurs en même temps, on parle de tempête parfaite.

Au fond de la cour, une jeune fille pend.

L’indifférence coupable de meurtre.



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