vendredi 26 avril 2019

La leçon de guitare


Tomtomtomtom tomtomtomtom tomtomtomtom tomtomtomtom.

Le documentaire ouvre sur ce rythme, le tambour indien de mon enfance.

À l’époque, nous disions indien. Aujourd’hui, ce pourrait être autochtone. Indien est une vision européenne, puisque l’autre se croyait débarquer aux Indes.

Je dis ça, mais Serge Bouchard utilise le mot Indien. Si Serge Bouchard le dit.

En musique, on compte un, deux, trois, quatre, un, deux, trois, quatre. Un peu plus vite, et appuyez sur le premier ton, undeuxtroisquatre,tomtomtomtom.

Tambour autochtone est un pléonasme. Si vous allez dans un pow wow, cet été, vous comprendrez.

Un guitariste sort du passé, guitare électrique au cou. Il joue deux accords, ré, ré, mi.

Le mi est un peu allongé : ré, ré, miiiiiiii,
le temps du rythme tomtomtomtom tomtomtomtom.

Ça donne ré, ré, miiiiiiii, tomtomtomtom tomtomtomtom,
ré, ré, miiiiiiii,tomtomtomtom tomtomtomtom,
ré, ré, laaaaaaaa,tomtomtomtom tomtomtomtom.

Si on m’avait demandé de jouer deux accords de rock, ç’aurait été mi, la ou sol, do, ou la, ré.

Link Wray joue plutôt ré, ré, mi, les accords fondateurs du rock.

En réalité, l’invention de Link Wray, c’est le volume. Il l’a clenché dans le tapis. Et il se déhanche les épaules.

Cela s’appelle de la distorsion, l’excès du son.

En 1958, c’est du jamais entendu. Le rock, le vrai, le wild, est né.

Sans Link Wray, pas de Jimi Hendrix ni de Johnny Winter ni de Led Zep.

En 1968, CKGM-FM faisait jouer du Hendrix. Ils ne savaient pas trop comment nommer ça.

Link Wray + volume = nouveau rock.
Nouveau rock = Jimi Hendrix.
Jimi Hendrix + émotion = Pete Townshend.

Dans un documentaire de 1971, Pete Townshend, du groupe britannique The Who, dit Jimi Hendrix nous a appris à jouer nos émotions avec une guitare.

C’est la théorie de l’Effet papillon. Un battement d’aile en Amérique peut-il générer une tempête en Europe?

Oui, mais ça va plus vite en avion.

Sans Link Wray, pas d’Iggy Pop, dit Iggy Pop.

La distorsion est la couette rebelle du rock.

C’est pour cette raison que Stephen Harper a l’air aussi nono devant un piano.

Link Wray a fait du rock une énergie.

Le volume comme arme de guerre, faisons sauter les parents.

Link Wray est un Shawnee, né en Grande Tortue.
En termes européens, Caroline du Nord, dans l’une des deux Amériques.

Sa guitare s’appelle Gibson SG et sa pièce, Rumble, comme le documentaire.

The Indians who rocked the world, écrit le sous-titre.

Ça dure deux heures comme ça. La paternité autochtone du rock.

Plusieurs membres de la maison de production sont de Kahnawake.

Le volume dans le tapis, c’est le gras de la viande, ce qui donne le goût.

Le désir n’a pas de fin.



vendredi 12 avril 2019

Dialogue Nord-Sud


La nouvelle de quinze secondes max est la plus courte du téléjournal de 21h, sur RDI.

Une petite fille hondurienne fond en larmes pendant que sa mère est fouillée par un agent en pleine crise, à la frontière américaine, dit la journaliste Céline Galipeau.

L’image a reçu le prestigieux prix de la photo de l’année du World Press Photo.

Tout un honneur pour le photographe John Moore, de Getty Images. Fin de la citation.

La fillette, le véhicule à côté duquel elle pleure, la mère fouillée et l’agent fouilleur sont anonymes.

Le prix est prestigieux.
La photo est de l’année.
L’honneur est tout un.

Le photographe s’appelle John Moore.
Le prix, World Press Photo.
Le patron du photographe, Getty Images.

La misère est toujours devant la caméra.
La vedette de la photo est toujours derrière la caméra.

Le nom du photographe est inscrit au générique.
Il est payé pour faire sa photo.
La victime, réfugiée, est toujours pauvre et du Sud.

Pas Sud comme dans plage, Sud comme dans pauvreté.

Elle est belle la photo.
Bien cadrée.
Couleurs contrastées.
La détresse en évidence.

Elle est là pour enrichir John Moore, Getty Images, ses commanditaires et notre culture.

L’exposition World Press Photo prétend vouloir attirer l’attention du public sur les problèmes du monde, to connect the world to the stories that matter.

Céline Galipeau et John Moore sont collègues par la bande.
Ils vivent de la misère des autres.

La petite fille et sa mère n’ont pas fait de concours sur leur photographe préféré.

La petite fille est devenue actrice d’une photo.
Elle est dépossédée de sa mère et de sa propre image.
Elle est devenue la faire-valoir de sa misère.

Daniel Boorstin appelle cela un pseudo-événement.
Une forme de vol.

Les vedettes du World Press Photo sont derrière la caméra.

Il n’y a pas de générique pour les pauvres.