Mon ami s’appelle Normand, en l’honneur de Jacques Normand, merveilleux
personnage public des années 50 et 60, entre autres, co-animateur de l’émission
télé Les Couche-tard, en compagnie de
Roger Baulu, dit le prince des annonceurs.
Son prénom lui a été donné, comme à chacun chacune.
Normand s’appelle aussi Chiasson, de par son père.
Normand vient d’avoir une idée. Une autre.
Celle-là me plait particulièrement.
Je dis à Normand j’adopte ton idée. Je la fais mienne. Mais je ne peux
me l’approprier.
Le mot approprier évoque une propriété
forcée, presque volée. Je ne suis pas propriétaire de l’idée de Normand, ni des
miennes.
Je reconnais à Normand la paternité de l’idée. Paternité n’est pas
propriété.
Jean Lesage est le père de la Révolution tranquille, pas le
propriétaire.
Nous ne sommes pas propriétaires de nos enfants.
Je ne peux pas m’approprier le passé de Normand. Je n’ai pas grandi dans
le quartier Villeray.
Moi, blanc, caucasien, je ne peux m’approprier l’histoire de l’esclavagisme
africain, non plus que des génocides arménien, juif, rwandais ou autochtones. Cela
me semble une évidence.
Par contre, je peux parler de la Doctrine de la découverte, de la bulle
papale, de la prétention des européens, dès le seizième siècle, d’imposer leur
mode de vie aux Africains et aux autochtones d’Amérique, en vue de leur faire connaitre les bienfaits de notre civilisation.
Je peux démonter la mécanique blanche canadienne, raciste, religieuse et
génocidaire, des politiques des pensionnats autochtones, des enlèvements
d’enfants, des femmes disparues et assassinées. La connaissance de l’anglais
est utile.
Je peux critiquer en long et en large cette mentalité étroite, perverse
et toujours bien en place, à Québec comme à Ottawa.
L’appropriation culturelle est une impossibilité dans les termes.
Nous avons pourtant consacré notre été à en discourir, au point de
censurer deux productions.
Robert Lepage et Betty Bonifassi ne sont pas exactement des deux de
pique.
Dans Le procès, de Franz
Kafka, Joseph K est accusé d’il ne sait quoi et ne le saura jamais.
Joseph K est le personnage principal. On ne verra jamais ses accusateurs.
Ce sont pourtant eux qui créent l’angoisse.
J’imagine facilement un spectacle traitant de l’histoire du Canada sans
un seul autochtone.
Cela s’appelle un éléphant dans la pièce.
Cet été, l’artiste Aly Ndiane a déchiré sa chemise sur la place publique
pour condamner le spectacle SLAV, sous prétexte de manque de Noirs.
Cette chemise lui appartenait.
Le Festival international de Jazz de Montréal a fait dans ses culottes,
et dans nos mains.
Dans les belles années de l’agence Cossette, nous misions sur
l’intelligence du public.
Le Festival a eu peur de l’annulation de prestations d’artistes en
contestation de SLAV. Ni une ni deux, il a annulé SLAV.
On se croirait dans le Carnaval
des animaux; certains spectacles sont plus égaux que d’autres.
Le Festival nous a empêchés de faire notre idée.
Plus tard, les productions Park Avenue Armory ont eu peur du spectacle
Kanata, sous prétexte de manque d’autochtones.
Tout du brun.
Tout ça pour des mots qui n’existent pas.