Quand j’étais ado, je filmais beaucoup avec ma caméra
Canon Super 8. Toutes sortes d’activités au chalet dans le nord, en voyage. Elles
sont devenues les archives familiales. La bague du zoom permettait d’aller
chercher un sujet au loin, mais aussi de filmer de très très près, en macro.
Une fleur filmée à un pouce de distance remplissait
l’écran.
Deux rangées de dents sur fond noir en macro, c’est la
dernière image qu’a vue le petit Chaperon rouge avant de se faire bouffer par le
loup. Un gros rocher en macro, c’est l’image que voit Coyote, avant de s’écraser
au fond du ravin, après avoir raté Road Runner. C’est aussi une longue aiguille,
suivie de gants bleus et d’un avant-bras poilu, le dentiste entre une seringue dans
votre bouche.
La seringue va piquer la gencive près de la troisième
molaire inférieure. Durant 30 minutes, je vais assister à un ballet d’outils en
macro au-dessus de mon nez.
C’est le sentiment de ce bout de métal dans la chair.
On dirait que Richard cherche en fouillant. Il sait très bien ce qu’il fait. Le
macro, le sentiment de l’aiguille se faufilant dans la gencive, est dans ma
tête.
Richard donne la seringue à Julie. Elle lui donne la fraise,
la drille du dentiste, celle qui vient avec un son d’ongles sur un tableau et
d’une odeur de brulé. Et voici un miroir, sur l’air de passe-moi le beurre.
- As-tu sorti ta roulotte?
Crochet.
- Oui, mais je ne la conduis pas. Je n’aime pas
conduire un trailer.
Vis à gyproc.
- Il y a des miroirs. En ligne droite, il n’y a pas de
problème.
Tournevis carré.
- C’est pour reculer.
Julie n’a pas dit c’est
pour reculer. C’est la réponse que je lui ai fait dire dans ma tête. J’ai
souvent conduit des remorques à reculons, un véritable cours de géométrie pour
les nuls. Une fois que tu as pogné la twist,
ça se fait très bien. Anyway. J’ai tiqué sur le miroir au moment où j’en avais
un dans la bouche. Richard a de la suite dans le macro.
Mon premier dentiste s’appelait Clément Vallée. Un
monsieur très gentil avec une moustache. À cette époque, l’enfance était une
collection de caries.
Le docteur Vallée aimait poser des questions alors que
j’avais la bouche pleine de cossins. Il savait très bien que je ne pouvais pas
répondre et nous trouvions ça amusant tous les deux. Je me faisais prendre à
chaque fois. Même chose pour mes frères et sœurs.
Avec le temps, la moustache noire macro est devenue
grise macro. Lorsque le docteur Vallée a pris sa retraite, il nous a offert le
cognac dans son bureau.
Richard termine d’un outil, la main de Julie l’attend
déjà. Lorsqu’il a besoin du suivant, Julie le tend déjà. Tout cela en silence. Une
chorégraphie. Je n’ai jamais vu d’aussi près des gens travailler aussi bien.
Il fraise, elle crochet. Il crochet, elle miroir. Il miroir,
elle forceps. Il forceps, elle marteau. Il marteau, elle scie à chaine. Il scie
à chaine, elle bulldozer. Elle pompe à salive, il pause.
Pour savoir si son interlocuteur l’écoutait, le président
américain Lyndon B. Johnson ajoutait parfois dans la conversation j’ai tué ma belle-mère hier.
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