Plus la vie
avance, plus les médias pénètrent en nous. À la maison, dans la rue, les
autobus, le métro, dans les écoles et les parcs, ces têtes penchées sur leur
écran à écrire, à jouer, à écouter, bla bla, comme si elles s’apprêtaient à
plonger dedans. Les réseaux en temps réel, où coule le flot de la nouvelle
communication.
En première
page le 1er octobre, le quotidien La Presse annonce Le Blues du
débranché, une mini-saga du journaliste Patrick Lagacé, qui a débranché ses
appareils numériques, pour retourner à l’âge du papier et du temps qui passe. Le
mini mélodramme d’un gars qui fait rire de lui, parce qu’il propose un sujet à
une équipe de travail. L’équipe avait unanimement rejeté ce sujet dans des
courriels auxquels le journaliste débranché n’a pas eu accès. En passant, être
débranché ne garantit pas que vous serez mal informé.
L’omniprésence
des médias dans nos vies a débuté en 1841, avec la découverte des ondes électromagnétiques,
qui ont amené l’avènement des télégraphes, radios, télés, portables, numériques
et ainsi de suite. À partir de ce moment, les relations entre humains ont
commencé à connaître une accélération qui ne s’est jamais démentie depuis. Au coeur
de ces relations, un média électrique puis électronique puis numérique. Aujourd’hui,
une grande partie de nos échanges sont médiatisés, un bidule portable entre
nous et les autres. Et tout indique qu’il soit là pour rester.
Patrick
Lagacé capote, comme tout compulsif angoissé à qui on enlève son jouet. Comme si
une encyclopédie en papier égalait un retour en arrière. Comme si retrouver
subitement du temps annonçait un danger.
Le papier
possède une grande qualité que le numérique a oubliée, le respect du temps.
Consulter du papier, c’est prendre le temps de tourner des pages, de parcourir
des chapitres, de revenir en arrière et de donner au cerveau de la latitude
pour se construire une idée. Le papier n’est pas compulsif.
Nous ne nous
branchons pas pour être plus instruits ou mieux informés, mais pour faire
partie des autres. De la même manière, écrit le journaliste Pierre Sormany,
nous ne lisons pas les journaux pour nous informer, mais pour causer actualité avec
les collègues. La fonction du média est sociale. Ceux et celles qui veulent
jouer sur la galerie sont des branchés. Les autres, des rétrogrades.
Le nouveau a
ceci de particulier qu’il charrie toujours avec lui le tabou de ne pas
critiquer le nouveau. Critiquer le nouveau, c’est critiquer les usagers du
nouveau dans leur choix. Et ça, les usagers du nouveau n’apprécient pas. La
nouvelle technologie transporte avec elle un nouveau sentiment d’identité.
Grâce à elle, je m’identifie à la nouvelle tendance. Huit jours après son
lancement, Apple annonce avoir vendu 10 millions d’iPhone 6.
Sur
Internet, il n’y a pas de désir, le café est instantané. Je clique, j’ai. Le
désir demande du temps, c’est ce qui rend la suite si intéressante. Le papier
crée le désir. L’information est quelque part, je vais la découvrir. Au cinéma,
c’est The Bridges of Madison County,
avec Clint Eastwood et Meryll Streep. Cent trente-cinq minutes de désir.
Pour avoir
grandi dans du papier, je sais aujourd’hui mettre en perspective
l’instantanéité de google avec le temps de recherche que le papier demande. Je
sais l’apport du temps dans une bonne recherche. Ce n’est pas le cas de google.
Je trouve mes infos en 10 minutes et voilà la recherche achevée.
Lorsque je
regarde Woodstock, de Michael
Wadleigh, je suis frappé de voir le temps que ces jeunes avaient pour eux. Le
seul moment du film où leur relation est médiatisée, c’est dans cette longue
file où les jeunes vont déposer 10 cents dans le téléphone public, dire allo
maman tout va bien, je te vois dans deux jours. Et de raccrocher et de parler à
leur mère dans deux jours. Deux jours! Le bonheur d’une ballade en moto sans casque.
Easy Rider.
Dans les
années 50, on vantait la technologie comme le moyen de nous approcher de la
société des loisirs. En l’an 2000, annonçait-on, nous ne devrions à peu près
plus travailler, les machines s’en chargeront. Or, la nature a horreur du vide.
Il suffit de gagner du temps pour le passer à faire autre chose. Aujourd’hui,
vous pouvez taper en même temps un texte tout en lavant la vaisselle, le linge,
arroser le gazon et vous couler un café. Sans oublier d’allumer la radio.
Et si vous
voulez créer l’événement, vous vous débranchez de tout. C’est le monde à
l’envers. Depuis 4 milliards d’années, la vie normale est débranchée. Les seuls
gagnants à notre angoisse collective, ce sont les réseaux.
Ma fille n’a
pas de cell et elle s’en porte très bien. Ses amis ne sont pas manchots, la
nature s’est organisée autour d’elle. Une de ses amies n’est pas invitée aux
partys. Ce n’est pas faute de branchements, c’est parce que les autres ne
veulent pas la voir. C’est aussi cruel, la technologie.
Et pourtant,
nous ne sommes pas loin de Woodstock.
Un clic, en fait. Lagacé cite l’humoriste Louis-José Houde qui, portable ouvert
ou fermé, s’en passe aisément. Dans mon cas, la limite est physique, je n’aime
pas passer du temps devant les écrans.
Lorsque le seul fait de mettre un interrupteur à off génère une angoisse, nous avons un
sérieux problème. Le seul antidote à l'angoisse, c'est de dire non. Mais pour
dire non, il faut du caractère.
J'adore!
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