vendredi 18 mai 2012

Les vrais amis sont dans la rue

En ce 18 mai 2012, une question mathémathique pour cégépiens : comment fait-on pour perdre six mois dans une année qui n’en a fait que cinq?

Réponse : il suffit d’avoir à la maison deux cégépiens en grève durant 13 semaines, 26 semaines = six mois. Six mois de grève en cinq, quatre en réalité, tout a débuté en février. Multiplié par 200 000 étudiants en grève, j’arrête ici la recherche du temps perdu.

Si on ajoute que mon fils ne retournera pas terminer sa session, le travail d’été l’ayant remporté sur l’écoeurement, cela fait neuf mois. Ajoutons le stage humanitaire, crédité et annulé, de ma fille, 10 mois. Et je ne parle pas du mois supplémentaire qu’elle comptait faire en Équateur, ni des offres d’emplois refusées pour partir dans le sud, ni de son entrée incertaine à l’université en septembre.

En ce 18 mai, nous en sommes donc au 600 000ème mois de grève cette année. Le 16 mai, dans le journal La Presse, la journaliste Marie-Claude Lortie écrivait la grève, plus capable. Bien d’accord, faisons donc contre mauvaise fortune bon coeur.

Pour consoler un père, mieux vaut compter les dommages collatéraux de la grève en termes qualitatifs que quantitatifs. Parce que si cela était, je dirais ce que je dis depuis le début : toute cette grève pour 325 $ d’augmentation de frais de scolarité par année durant cinq ans? Vous êtes dans le champ, ma Camille. Tout cela pour l’équivalent d’une semaine de travail au salaire minimum? Cela n’en vaut pas la peine. Si nous parlions de 10 000 $ d’augmentation, j’imprimerais vos pancartes de protestations et je vous les livrerais dans la rue.
Mais 325 $? Une farce.

Au bac à l’UQAM, j’ai été de tous les conseils étudiants et de toutes les grèves. C’était au pavillon Read, angle St-Alexandre et La Gauchetière, avant le pavillon Judith-Jasmin. Pour franchir la porte d’entrée, il fallait contourner le marxiste-léniniste de service qui vendait son journal. Nous nous foutions bien de sa gueule, il devait boire de la grosse Black Label. Et quand il y avait grève, nous faisons des chaînes téléphoniques pour demander à nos collègues d’aller voter et de tasser ces marxistes qui tentaient de noyauter les assemblées. À cette époque, Charlebois chantait entre deux joints, tu pourrais te grouiller le Q. Nous n’avions rien à cirer de Marx ni de Lénine, mais être contre, c’était le fun, trois années de purs plaisirs.

C’est ce que je dis à Camille, impliquée dans son carré rouge. Je ne crois pas à votre cause, mais vas-y, amuse-toi. Lève-toi à 3h pour aller empêcher l’administration d’entrer à 5h, vas-y. Va piqueter à fond, c’est ça, vivre. Mais 325 $? Fais seulement en sorte que ton oeil ne se trouve pas devant une balle en caoutchouc. Pour le reste, vas-y, tu le ne regretteras pas. L’insouciance et la naïveté font partie de la jeunesse. L’idée, c’est que, avec l’âge, elles ne vieillissent pas trop vite.

Le truc pour les parents, c'est de ne pas pogner les nerfs. Pas toujours évident. Je paie les frais scolaires, cette grève est la mienne par la bande. Mais dans les faits, Camille est le moteur de sa grève. Ma job, c'est de l'encourager. D’où une longue conversation depuis février. Toutes sortes d’échanges à propos de la légitimité, de la police, de la politique et de la communication. Des lettres d’étudiants que Camille me fait suivre, en demandant chaque fois mes commentaires. Durant cette grève, Camille est en train de devenir une jeune femme.

Il y a eu des erreurs de part et d'autres. Il y a aussi eu d’excellents coups de la part des étudiants, ils ont montré une grande intelligence dans leur parole et dans leurs gestes. La marche des 200 000 était tout simplement magnifique. Comme quoi l’intelligence peut impressionner autant que la violence. Autre acquis, il me semble qu'il y a moins de temps passé devant Facebook. Les vrais amis sont dans la rue.

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