dimanche 22 octobre 2017

Une rue pour ça




Je n’ai jamais vu un lion violer une antilope avant de la tuer. Je n’ai jamais vu non plus un éléphant mettre sa queue au visage d’une panthère. Si vous avez déjà vu la queue d’un éléphant, la panthère servirait de brochette. Bref, dans la nature, le pouvoir est une question de nécessité. Je bouffe l’antilope parce que j’ai faim, je veux nourrir mes petits.

Le seul code sur lequel s’entendent parfaitement le lion et l’antilope est celui de la peur. L’antilope a peur parce qu’elle sait qu’elle ne survivra pas au lion. Par contre, l’éléphant n’a rien à craindre de la panthère et la panthère court plus vite que l’éléphant.

Et si l’antilope virait son capot de bord et attaquait le lion?

Il faut être peureux pour avoir peur d’Éric Salvail. Il n’est pas grand, il n’est pas gros, il n’est pas équipé pour faire peur.

Je suis peureux parce que c’est ma nature. Je suis aussi peureux parce que je suis réaliste. J’ai une hypothèque à payer, deux enfants, je peux endurer quelques niaiseries de Salvail le long du parcours. Celles de Rozon, un peu moins.

J’ai peur parce qu’il y a quelque chose que je n’assume pas. Si je m’assume, Salvail ou l’autre n’a aucune emprise sur moi.

Un prostitué vend son cul. Je ne lui demande donc pas d’écrire des textes. J’écris des textes, je maquille, je scénarise ou je réalise; je ne vois pas ce que les gosses de l’autre viennent faire dans ma face. Il y a une rue pour ça.

Tout cela à cause de la pyramide. En haut, le pouvoir, l’argent, la lâcheté. En bas, le nombre et la peur.

Cette pyramide n’existe pas, elle est dans nos têtes. C’est pire. Je crois mon patron supérieur à moi parce qu’il est mon patron, alors qu’il n’en est rien. La seule chose qu’il a de supérieure à moi, c’est le salaire.

Il possède des qualités de gestionnaire que je n’ai pas. Je possède des qualités qu’il n’a pas. Si cette équation n’était pas exacte, il n’y aurait qu’une personne pour remplir nos deux tâches. Le score : 1-1.

Il faut dire que beaucoup de parents enseignent l’insécurité à leurs enfants. Ne fais pas ci, ne fais pas ça, ça ne fait pas des enfants forts. Et le système d’éducation enseigne davantage les avantages du moule que leurs contraires.

À l’agence Cossette, les associés avaient développé une belle complicité avec les employés. Je me souviens d’un pitch pour Air Canada. Nous travaillions jour et nuit. La seule différence entre l’associé et nous, c’était la bouteille de scotch sur la table de Georges Morin.

La pression de la pyramide est en fait celle de la gravité.

Si vous prenez la pyramide et que vous la ramenez au ras les pâquerettes, elle devient un cercle. Tout le monde est assis autour de la même table. Un pour tous, tous pour un.

Mon patron n’est pas mon patron, mais mon collègue. Il m’accepte dans son groupe et j’accepte de travailler avec lui. Son salaire plus élevé est un relent de la pyramide qui n’a aucun sens. Il faudra le comprendre un jour.

La responsabilité et la pression sont partagées. Dans un cercle, le chef ne va pas peloter la jeune fille de 14 ans derrière le décor. Et si mon collègue met sa queue dans mon visage, je lui dis d’aller voir le médecin, de l’autre côté de la courbe.

Dans un cercle, il n’y a que des riches.

Toutes ces histoires de cul qui explosent ces jours-ci sont d’abord des histoires de peur. La peur du faible alimente l’agressivité du pouvoir. Et si ces eunuques ont couru si longtemps, c’est parce que la peur a duré.

Dès que les antilopes se sont levées, les lions sont tombés.

C’est le début de la liberté.




1 commentaire:

  1. Luc, impossible de dire quelle partie, quelle paragraphe, de ce texte est supérieure en force et en profondeur. Tout est en finesse sans perdre de sa puissante justesse. Le cul, la peur, les eunuques, voilà donc le triptyque de la Comédie humaine, cette tragédie qui amuse et divertit trop souvent sans être drôle. Je ne me suis pas amusé en te lisant, je me suis retrouvé, merci pour chacun de tes mots. Ce texte ne devrait pas être oublié. Dave Lludewic.

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