lundi 30 juin 2014

La parole est à nous


L’objectif premier de l’abolition de 1000 à 1500 postes à la Société Radio-Canada (SRC) est de couper la parole.

En tant qu’actionnaire unique de la SRC, le rôle du gouvernement fédéral est de mettre ses culottes, de prendre le micro, et d’annoncer une nouvelle vision stratégique pour son diffuseur public, tout en justifiant une coupure de 25% des effectifs sur 5 ans.

Rien de cela. L’actionnaire principal fait faire l’annonce par le président de la SRC, et non par la ministre responsable de la société d’état. Comme cela, le gros méchant n’est pas celui qu’il y paraît. Du grand Harper, ce premier ministre élu par le Canada anglais.

De dire que la SRC va se tourner davantage vers le numérique n’a rien d’excitant ni de très nouveau. Il s’agit davantage d’une conséquence directe des coupures que d’une vision.

Vous remarquerez d’ailleurs que Harper donne rarement la parole à qui que ce soit. Sa spécialité est de couper, pas de donner. Le catimini fait moins de bruit.

Harper coupe les entretiens avec les journalistes.
Harper coupe la parole aux scientifiques du gouvernement fédéral.
Harper empêche les ministres de s’adresser à la population.
Harper musèle les fonctionnaires.
Harper coupe la parole à Radio-Canada.

Cela s’appelle du mépris.

Mépris des institutions canadiennes ;
Mépris du Parlement ;
Mépris du Sénat ;
Mépris de la Cour suprême ;
Mépris des journalistes ;
Mépris des questions environnementales ;
Mépris des organismes internationaux ;
Mépris de la diplomatie ;
Mépris de Statistiques Canada ;
Mépris du discours scientifique ;
Mépris de la Loi à l’accès à l’information ;
Mépris d’Élections Canada ;
Mépris envers tout ce qui a trait à une circulation libre de l’information (*).

La liste est longue mais le projet, unique : couper tout ce qui peut ressembler à un paysage libéral, tout ce qui ouvre et qui alimente l’esprit. Il y a bien sûr un long héritage du parti Libéral du Canada, même si l’ex-premier ministre Pierre Trudeau aimait bien manger du séparatiste contre Radio-Canada. Il y a aussi et beaucoup le parti Progressiste-conservateur de Brian Mulroney.

A Radio-Canada, la parole porte un nom. Au premier chef, le journaliste Michel Desautels, une sommité en matière d’intelligence de l’information. Il y a aussi les Michel C. Auger, Anne-Marie Dussault, Patrice Roy, Céline Galipeau, Jacques Beauchamp, René Homier-Roy, Joël Le Bigot, Gérald Filion, Alain Crevier, Pierre Craig, Serge Bouchard, Charles Tisseyre, Monique Giroux, Raymond St-Pierre, Maxence Bilodeau, Michel Coulombe, Yanick Villedieu, Simon Durivage, Edgar Fruitier, Pascale Nadeau, la liste est immense.

La parole à Radio-Canada est aussi une longue tradition: Pierre Nadeau, Jacques Languirand, Michèle Viroly, Guy Sanche, Pierre Thériault, Luc Durand, Marc Favreau, Michel Cailloux, Fernand Seguin, Judith Jasmin, Madeleine Poulain, Jacques Normand, René Lecavalier, Roger Baulu, Bernard Derome, Lise Payette, Jacques Fauteux, Raymond Charette, Henri Bergeron, Jean-Louis Millette, Christiane Charette, Andréanne Lafond, Guy Maufette, Juliette Huot, René Lévesque, James Bamber, Kim Yaroshevskaya, Richard Garneau, Jean Besré, Lise Lasalle, Louis de Santis, Yves Létourneau, Claude-Henri Grignon, Marcel Sabourin, Denise Morelle, Yvan Canuel, Michel Tremblay, Marcel Dubé.

Ce sont tous ces noms de la parole qu’il faut opposer à l’idéologie Harper. Et autour d’eux, tous les collègues des équipes techniques, qui ont fait de Radio-Canada ce qu’elle est aujourd’hui, une grande partie de ce que nous sommes. J’ai grandi avec Radio-Canada. Mon univers d’enfant a été alimenté par la créativité de Radio-Canada.

Il ne s’agit pas d’un conflit de fédéralistes contre indépendantistes, comme dans la paranoïa de Trudeau. Il s’agit d’un conflit opposant la parole au silence, la démocratie au mensonge, l’intelligence à la mesquinerie, l’inspiration à la petitesse. Ceux et celles pour qui la parole constitue une ouverture, contre ceux et celles pour qui elle est une menace.

Radio-Canada n’est pas une boîte à souvenirs ou à nostalgies. C’est ce que nous savons faire de mieux en matière de création, d’information et de variétés publiques. Cette créativité se renouvelle à chaque décennie, sur une multitude de plateformes.

Radio-Canada, ce sont aussi des doléances et des critiques bien méritées. Mais l’avenir de Radio-Canada passe par la parole, sur la place publique. C’est la parole qui nous a fait devenir qui nous sommes, pas le silence.

Si descendre dans la rue est trop fatiguant, écrivons et parlons. Ce sont nos meilleures armes contre celui qui veut nous réduire au silence. stephen.harper@parl.gc.ca . La parole est à nous.






(*) Voir, entre autres, Trouble in Toryland: their Dirty Tricks catalogue, Laurence Martin, iPolitics ; Science et pouvoir : le baillon, émission Découverte, 20 avril 2014, Radio-Canada. Sur ledevoir.com : La fuite en avant, l'éditorial de Bernard Descôteaux; Après les journalistes, au tour de l'opposition de dénoncer le contrôle de l'information sous Harper, Guillaume Bourgault-Côté ; Ingérence systématique au bureau de Paradis, Alec Castonguay ; L'information sous Stephen Harper - De la transparence à la propagande, collectif d’auteurs ; La communication sous Stephen Harper: un recul pour le débat public, Anne-Marie Gingras ; consultez aussi le blogue de Manon Cornelier.





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