lundi 5 décembre 2022

Madame Jones

 


Je ne me souviens pas de m’être battu avec les Anglais.


Je ne me souviens pas de m’être battu contre, non plus.


Lorsque nous allions à l’école primaire Jean-Grou, mon cousin Louis et moi passions devant le coin des anglais, sur la rue Tassé. Nous ne voulions pas les croiser, pour ne pas avoir à nous battre.


Nous ne les connaissions pas. Nous ne leur avions jamais parlé.


Je ne sais pas d’où venait cette animosité.


La mère de Louis était franco-ontarienne.


Elle appelait mon oncle « Daddy ».


Il était parfait bilingue. Ils écoutaient la radio anglo, CJAD-FM.


Mes parents n’ont jamais dit un mot contre les Anglais. Contre personne, d’ailleurs.


Papa préférait faire des affaires avec le Vanier College que le Cégep St-Laurent.


Était-ce nos frères ainés? La cour d’école? Les livres d’histoire? Bobino?


Sur la rue Dépatie, les Chapleau, Dufour, Adam et Panneton, voisinaient les Baxter, Clarence, Thompson et Pirsky.


Lorsque nous avons piqué la corde à linge de madame Baxter, ce n’était pas parce qu’elle était anglo.


C’est parce que nous en avions besoin.


Et sa cour était ouverte.


Pendant que mon frère Gilles et mon cousin Louis grimpaient dans le poteau pour la couper, je faisais le guet, caché dans la haie.


Lorsque monsieur Baxter est sorti prendre l’air, nous avons paralysé.


Il allait peut-être contempler sa Lincoln Continental 1962 bourgogne, à portières antagonistes, ou portières à ouverture inversée (merci Wiki).


Elle rivalisait de beauté la Chrysler Imperial 1961 de mon père. Blanche, intérieur en cuir rouge, fauteuil de la passagère avant pivotant. Un bande d’acier inoxydable sur la lunette arrière.


Le plus beau char de sa vie.


Lorsque monsieur Baxter est retourné à son salon, nous avons complété la mission.


Madame Jones habitait derrière chez nous, de l’autre côté de la clôture.


Elle ne manquait pas une occasion de nous dire bonjour et de nous gâter à la Halloween. Elle nous a parlé plus souvent que toutes les voisines réunies.


Nous avons piqué de la rhubarbe dans le jardin de madame Dufour, mais jamais dans celui de madame Jones.


Pas besoin de parler anglais pour comprendre l’affection.


Je n’ai jamais fait le lien entre madame Jones et nos ennemis anglos de la rue Tassé.


Les fils ne se touchent pas toujours dans la tête d’un enfant de 7 ou 8 ans.


Nous ne nous sommes jamais battus.


Nous avons juste eu peur.


C’était peut-être ça, l’idée.


Avoir peur.


Le Bonhomme 7 heures.





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