dimanche 23 novembre 2014

La parole


Dimanche dernier, 20 000 personnes ont pris la parole dans les rues de Montréal, pour empêcher la fermeture de Radio-Canada. Une fois de plus, le gouvernement du Canada, bailleur de fonds de Radio-Canada, tente de couper la parole au diffuseur public en lui imposant des coupures. Cette semaine, dans une charge remarquée à l’Assemblée annuelle de Radio-Canada, le journaliste et animateur Charles Tisseyre a évoqué le montant de 700 millions de $ de coupures depuis les années 70.

J’écoutais la sortie de Charles Tisseyre et j’imaginais la même scène à TVA: le journaliste Pierre Bruneau dénonçant les orientations financières de TVA devant son patron, Pierre-Karl Péladeau. Pierre Bruneau n’aurait même pas le temps de terminer sa phrase, il serait en lock-out.

L’assemblée annuelle de Radio-Canada est un espace unique. Une fois l’an, le public est invité à poser des questions à la haute direction du diffuseur, dans un exercice public. Il n’y a qu’à Radio-Canada où un ancien directeur de l’information, Alain Saulnier, ou un ancien journaliste, Jean-François Lépine, critiquent ouvertement la haute direction à l’émission Tout le monde en parle. Vous ne verrez jamais cela à TVA.

À Radio-Canada, la parole est plus large. Il y a une quinzaine d’années, le réalisateur Pierre Plante et moi étions à la recherche d’un diffuseur pour le financement d'un documentaire sur le jeu compulsif au Québec. La chaîne spécialisée Canal D avait refusé, invoquant des représailles possibles de l’annonceur Loto-Québec. TVA avait refusé, le réseau ne diffusant pas de documentaire. Le journaliste Jean-François Lépine nous avait ouvert les portes de Radio-Canada, le diffuseur considérait le documentaire comme faisant partie de l’information.

Elle est là, la largeur de la parole. Un diffuseur privé ne vise que la performance économique. L’information importe pour ce qu’elle rapporte. J’ai déjà vu, chez un diffuseur privé, un vice-président programmation exiger d’un producteur de couper des extraits d’un reportage. Un de ses annonceurs aurait pu mal paraître, tu coupes ou je ne diffuse pas. C’est beaucoup cela le privé. Pour protéger les revenus, on coupe la parole. Le mandat de Radio-Canada est d’informer. C’est cet espace de liberté qui est visé. Nous sommes dans une autre sphère.

Hubert Lacroix est président de CBC-Radio-Canada. Lorsque Charles Tisseyre a fait sa sortie cette semaine, Hubert Lacroix faisait partie du groupe qui n’applaudissait pas, ne souriait pas. Le président de Radio-Canada devrait pourtant être son premier défenseur.

Hubert Lacroix reproche aux manifestants pro Radio-Canada de passéisme. Il se trompe. Bobino, les Beaux dimanches, Bernard Derome et Enquête parlent de la même voix. Ce sont des voix de référence. Elles ont établi des standards de créativité, de rigueur et d’indépendance. Radio-Canada permet une parole qui n’existe pas ailleurs. C’est celle-là qui est visée par les coupures, car elle dérange.

À l’époque des premiers ministres Pierre Trudeau et Jean Chrétien, Radio-Canada était considéré comme un nid de séparatistes. Aujourd’hui, Stephen Harper cache difficilement la haine qu’il porte au diffuseur public. Il s’agit pourtant du seul diffuseur national. Il est quand même étrange que les politiciens ne s’en rendent pas compte. En fait, ils le savent très bien. C’est pour cette raison qu’ils cherchent tant à le faire taire. Que font les ministres québécois du gouvernement Harper pendant ce temps? Ils bêlent.

Faisons le jeu de mots: la parole n’a pas bonne presse au Québec par les temps qui courent. Les 16 lock-outs de Pierre-Karl Péladeau pour museler ses employés du Journal de Montréal et du Journal de Québec durant des années en sont témoins. La rage de Péladeau est privée, le fils n’est pas à la hauteur du talent de son père. La haine de Stephen Harper est publique. Il ne peut concevoir une parole inspirante, elle doit absolument être contrôlée. Comme la parole des scientifiques. Comme celle des ONG. Il faut tuer Walt Disney.

La parole est l’eau du fleuve dont la démocratie est le lit. Et le fleuve coule vers son élargissement, l’océan. Nous avons dans notre cour un des plus beaux fleuves au monde. Les projets pour donner au public accès à ses rives ne manquent pas. La métaphore vaut pour Radio-Canada. Une référence culturelle pour une société distincte. Sans Radio-Canada, la commission Charbonneau n’aurait pas eu lieu. Nous devons en prendre soin. Enquête est du même lit que Bobino. L’horizon n’est pas seulement loin, il est large.




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