Dimanche dernier, 20 000 personnes
ont pris la parole dans les rues de Montréal, pour empêcher la fermeture de
Radio-Canada. Une fois de plus, le gouvernement du Canada, bailleur de fonds de
Radio-Canada, tente de couper la parole au diffuseur public en lui imposant des
coupures. Cette semaine, dans une charge remarquée à l’Assemblée annuelle de
Radio-Canada, le journaliste et animateur Charles Tisseyre a évoqué le montant
de 700 millions de $ de coupures depuis les années 70.
J’écoutais la sortie de Charles
Tisseyre et j’imaginais la même scène à TVA: le journaliste Pierre Bruneau dénonçant
les orientations financières de TVA devant son patron, Pierre-Karl Péladeau.
Pierre Bruneau n’aurait même pas le temps de terminer sa phrase, il serait en
lock-out.
L’assemblée annuelle de Radio-Canada
est un espace unique. Une fois l’an, le public est invité à poser des questions
à la haute direction du diffuseur, dans un exercice public. Il n’y a qu’à
Radio-Canada où un ancien directeur de l’information, Alain Saulnier, ou un
ancien journaliste, Jean-François Lépine, critiquent ouvertement la haute
direction à l’émission Tout le monde en
parle. Vous ne verrez jamais cela à TVA.
À Radio-Canada, la parole est plus
large. Il y a une quinzaine d’années, le réalisateur Pierre Plante et moi
étions à la recherche d’un diffuseur pour le financement d'un documentaire sur le jeu
compulsif au Québec. La chaîne spécialisée Canal D avait refusé, invoquant des
représailles possibles de l’annonceur Loto-Québec. TVA avait refusé, le réseau
ne diffusant pas de documentaire. Le journaliste Jean-François Lépine nous
avait ouvert les portes de Radio-Canada, le diffuseur considérait le
documentaire comme faisant partie de l’information.
Elle est là, la largeur de la
parole. Un diffuseur privé ne vise que la performance économique. L’information
importe pour ce qu’elle rapporte. J’ai déjà vu, chez un diffuseur privé, un
vice-président programmation exiger d’un producteur de couper des extraits d’un
reportage. Un de ses annonceurs aurait pu mal paraître, tu coupes ou je ne
diffuse pas. C’est beaucoup cela le privé. Pour protéger les revenus, on coupe
la parole. Le mandat de Radio-Canada est d’informer. C’est cet espace de
liberté qui est visé. Nous sommes dans une autre sphère.
Hubert Lacroix est président de
CBC-Radio-Canada. Lorsque Charles Tisseyre a fait sa sortie cette semaine,
Hubert Lacroix faisait partie du groupe qui n’applaudissait pas, ne souriait
pas. Le président de Radio-Canada devrait pourtant être son premier défenseur.
Hubert Lacroix reproche aux
manifestants pro Radio-Canada de passéisme. Il se trompe. Bobino, les Beaux dimanches,
Bernard Derome et Enquête parlent de
la même voix. Ce sont des voix de référence. Elles ont établi des standards de
créativité, de rigueur et d’indépendance. Radio-Canada permet une parole qui
n’existe pas ailleurs. C’est celle-là qui est visée par les coupures, car elle
dérange.
À l’époque des premiers ministres
Pierre Trudeau et Jean Chrétien, Radio-Canada était considéré comme un nid de
séparatistes. Aujourd’hui, Stephen Harper cache difficilement la haine qu’il
porte au diffuseur public. Il s’agit pourtant du seul diffuseur national. Il
est quand même étrange que les politiciens ne s’en rendent pas compte. En fait,
ils le savent très bien. C’est pour cette raison qu’ils cherchent tant à le
faire taire. Que font les ministres québécois du gouvernement Harper pendant ce temps? Ils bêlent.
Faisons le jeu de mots: la parole
n’a pas bonne presse au Québec par les temps qui courent. Les 16 lock-outs de
Pierre-Karl Péladeau pour museler ses employés du Journal de Montréal et du Journal
de Québec durant des années en sont témoins. La rage de Péladeau est
privée, le fils n’est pas à la hauteur du talent de son père. La haine de
Stephen Harper est publique. Il ne peut concevoir une parole inspirante, elle
doit absolument être contrôlée. Comme la parole des scientifiques. Comme celle
des ONG. Il faut tuer Walt Disney.
La parole est l’eau du fleuve dont
la démocratie est le lit. Et le fleuve coule vers son élargissement, l’océan.
Nous avons dans notre cour un des plus beaux fleuves au monde. Les projets pour
donner au public accès à ses rives ne manquent pas. La métaphore vaut pour
Radio-Canada. Une référence culturelle pour une société distincte. Sans
Radio-Canada, la commission Charbonneau n’aurait pas eu lieu. Nous devons en
prendre soin. Enquête est du même lit
que Bobino. L’horizon n’est pas
seulement loin, il est large.
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