mercredi 20 juillet 2016

La dame africaine





C’est l’histoire d’un pied. La dame africaine l’a déposé sur le trottoir au moment où mes yeux passaient par là. Un pied et un regard se croisent en prenant une marche. C’est ainsi que débutent les histoires.

J’étais à un café sur Côte-des-neiges, avec vue sur le trottoir et la riviera. Lorsque la dame a déposé le pied sur le trottoir, j’ai eu l’impression qu’il était fait pour aller là, tant il y avait mariage des formes. Le pied, la sandale, le trottoir. Le pied semblait plus âgé que le trottoir. Ce pas foule les sols depuis des millénaires.

La journée d’aujourd’hui devrait être l’aboutissement de toutes celles qu’a connues la Terre. Quatre milliards d’années d’expériences. Ajoutées une à l’autre, la somme de l’ensemble devrait donner le bonheur.

C’est comme le saumon et le Sauvignon. Pour faire se rencontrer ces deux-là, il aura fallu des centaines d’années pour domestiquer, travailler les sols, faire pousser les vignes, inventer la chimie, développer le goût, harnacher la rivière, maitriser la mouche, ouvrir la SAQ, cuisiner, dessiner les couverts, monter la table, dresser la nappe et servir.

L’histoire de cette dame est davantage celle du regard que celle du pied. La dame blanche d’à côté n’a pas le même pied. La dame blanche porte un soulier dont le mandat est de l’éloigner du sol et de rendre jolie sa jambe. La sandale du pied de la dame africaine épouse le sol, fait corps avec lui. Il y a là deux visions du monde.

La dame africaine me rappelle la question autochtone. En fait, elle n’est pas autochtone, la question, mais européenne. Les européens se demandent que faire avec les autochtones. Ils le savent, les éliminer. Ils n’ont jamais su adapter leur regard. Ils ont donc transformé leur ignorance en question autochtone.

Lorsque l’européen a débarqué sur une roche de Tadoussac, avec ses souliers à talons hauts et ses bas de soie, il n’a pas remarqué que le mocassin et les vêtements de l’autochtone étaient des produits de la terre. Comme le pied de la dame. Si l’européen avait été un peu plus curieux, s’il avait observé un peu mieux, avec le mot humilité, nous vivrions la réponse autochtone, et non sa question.

L’igloo, le teepee et la hutte sont conçus par des gens qui couchent dehors. Ces abris sont le prolongement de la nature qui les entoure. L’européen n’a pas dit à l’autochtone qu’il installait un foyer dans sa maison. L’autochtone lui aurait demandé pourquoi. Voilà la vraie question autochtone.

Avec les murs de pierre et les outils de jardin, le foyer est le premier instrument du sédentaire. Il crée un micro climat artificiel à l’intérieur, pour tenir à distance l’environnement et le domestiquer. L’autochtone voit cela et se gratte la tête, lui qui dort dehors depuis 13 000 ans.

Le foyer est l’ancêtre du thermostat. En inventant le thermostat, l’européen a aussi inventé le frileux. Et le frileux a peur de la nature. C’est le confort au foyer Esso.

Observer, c’est discerner ce que le geste ne dit pas. Le silence est notre ami.

La femme est belle sans maquillage.

La seconde suivant son pas, la dame africaine a fait un autre pas. Elle allait de l’avant.






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