mercredi 31 août 2016

Mon ami Ludewic


Ludewic van Beethoven. La blague m’est passée par la tête, voilà. Beethoven n’est pas le nom de mon ami Ludewic.

Le nom de famille de mon ami Ludewic est l’immigré, Ludewic l’immigré. C’est écrit dans sa face. Il est chinois, vietnamien, haïtien, africain, pakistanais. Il est caucasien, avec un accent russe ou belge. Dans tous les cas, il n’est pas comme nous.

Ludewic est arrivé chez nous, il était seul. De fil en aiguille, de connaissances en gratuités, de jobines à rien, il s’est retrouvé à la rue. Nous lui avons offert un banc de parc, tu te sentiras moins seul.

Dans les années 40, mon grand-père Joseph-Arthur Panneton accueillait parfois un itinérant à sa table. À Yamachiche, entre Trois-Rivières et Louiseville, le passant passait devant la maison et frappait à la porte. L’homme dormait ensuite dans la grange. Pas sur un banc de parc, Joseph-Arthur n’aurait jamais accepté. Grand-papa manquait d’argent, mais pas de manières. L’itinérant n’était jamais seul.

Si vous observez quelqu’un étendu sur un banc de parc, vous verrez qu’il ne relaxe pas. Il se protège des prédateurs, la météo, le regard des autres et l’indifférence.

Lorsqu’il est arrivé chez nous, Ludewic dépassait d’une tête un grand nombre de québécois. Par sa grande taille, sa curiosité et sa culture. Un immigré apporte dans ses valises au moins une culture. Ludewic en possédait deux, une de son pays d’origine et une de France.

D’où vient Ludewic? De partout où l’homme diffère de nous. Selon les listes officielles, cela donne 197 ou 210 pays, peu importe. Ça fait beaucoup de monde différent de nous et donc, moins bons que nous. La différence va de la forme des yeux, de l’allure, du voile, de la peau, de l’accent ou d’Outremont.

Je possède une culture. Après quatre ans ici, Ludewic en compte trois. S’il était esclave au Québec, il serait plus instruit que son maitre. C’est ce que disait l’humoriste Sugar Sammy, lors de son premier spectacle à Montréal. Avec nos 53% d’analphabètes fonctionnels au Québec, il est facile pour un immigré de se positionner dans le peloton de tête du peuple d’ignorants que nous sommes. Le douanier ne sait lire le bagage de l’immigré. Et nous lui offrons un banc de parc.

Lorsque nous sommes arrivés ici en 1603, les autochtones du grand chef Anadabijou ont accepté que Champlain et ses hommes s’installent sur leurs terres. Ils nous ont ouvert grand leurs bras et ceux de leurs femmes.

Cette rencontre est le plus important geste politique jamais commis sur le territoire autochtone depuis 1534. Un regard de frères. Nous n’avons pas de grange à vous offrir, mais des terres et du gibier. Ce sera notre toit.

Nous avons perdu quelque chose en cours de route, le ton et la manière.

Aujourd’hui, vous verrez peut-être un autre Ludewic sur un banc de parc, mais jamais en train de violer une autochtone dans une voiture de police à Val d’Or. Mon ami Ludewic vit plutôt dans sa maison avec sa conjointe et leur perle de petite fille.

Le toit est le frère de l’itinérant. Il ne porte pas de jugement.





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