mardi 23 août 2016

Agatha Bas





La dame avance très lentement. Elle appuie la main gauche sur un cadre en bois. Le cadre est défini par un léger filet de lumière. Rembrandt dit ne bougeons plus. Le visage et le torse d’Agatha Bas sont en phase avec la lumière. Les épaules et les bras délimitent le halo.

Agatha Bas s’approche pour nous pénétrer. Son regard entre dans le nôtre depuis 1641.

Il est impossible de peindre aussi bien le détail de toute la broderie de sa robe. On croirait que Rembrandt l’a brodée lui-même. Ou encore, nous sommes devant la toute première photographie.

Je ne sais pas d’où vient la lumière. Elle n’arrive pas d’une fenêtre ou d’une chandelle. Agatha Bas génère elle-même sa lumière. Son regard est une arme de persuasion.

Rembrandt a peint au-delà du profil des gens. Il a illustré la surprise, le doute, la profondeur, l’élégance, la vieillesse, l’intelligence, la furie, la laideur, la transparence et l’hésitation. Ici, c’est le pouvoir. Ce moment représente la fraction de seconde d’un mouvement de séduction.

Peindre est une forme d’écriture. Le peintre écrit directement en couleurs. Ses images sont décodées en mots. À l’inverse, c’est comme si l’auteur d’un texte colorait son encre en fonction des mots, une feuille, du sable, un caon. L’auteur d’un texte n’a que les mots, le lecteur ajoute ses couleurs.

Avec ses couleurs, Rembrandt va au-delà des mots. Le génie devient une minute de silence. L’intelligence voit le génie mais elle n’arrive pas à tout nommer, ébahie. Or, le rôle des mots est de nommer, de cadrer, de contrôler. Ça ne fonctionne pas ici.

Je vois la lumière de Rembrandt, je peux la toucher et je manque de mots.

Toutes les guitares ont à peu près le même manche et personne ne joue comme Jimi Hendrix. J'entends le génie de sa guitare. Je peux jouer quelques-unes de ses notes, sans jamais y ressembler un peu. Le guitariste britannique Eric Clapton parlait d'une barrière entre lui et Hendrix. Lorsqu'il entrait en lui chercher son inspiration, Hendrix était seul. Ce n'est pas de l'ésotérisme, c’est une bulle pour personne seule.

Le génie s’exprime dans la manière. C’est la manière de Rembrandt de peindre la lumière. Ce n’est pas tant le geste du bras que la grâce qui porte le peintre. Le geste vient après un autre et en précède un autre, comme des notes de musique. C’est le rythme. Et au bout du rythme, il y a cette impression de vivre quelque chose de spécial.

Vermeer et Rubens utilisent aussi la lumière. Celle de Rembrandt est dans une classe à part. Pour comprendre le génie, l’intelligence doit accepter de vivre avec ce qui lui échappe.

L’anxieux ne peut blairer le génie. Dès qu’il voit un vide, il sort son tas de terre pour le remplir avec sa pelle. Un camion transportant un trou arrête brusquement. Le trou tombe dans la rue. Le camion recule pour ramasser le trou et tombe dans le trou. Il n’y a pas de nids-de-poule chez l’anxieux.

Génie : nom masculin et féminin. Il vit à l’étage et je n’ai pas la clef.




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