Heureux les nomades et autres reportages: 1940-45, met en vedette la journaliste Gabrielle Roy. Elle a 30 ans.
Elle passera cinq années à observer et raconter beaucoup le Québec et un peu l’Ouest.
Le sujet: la colonisation. La journaliste prélude à la romancière.
Il s’agit d’une commande du périodique Le Bulletin des agriculteurs, fondé en 1918. Un périodique publie à intervalles réguliers, écrit le dictionnaire Usito.
Notez que le taux de scolarisation chez les Canadiens-Français à l’époque équivaut à une sixième année.
Une telle plume au service des colons et des « colones », durant cinq ans, est un hommage aux hommes et aux femmes des régions.
L’ensemble donne un portrait d’histoire d’une rare qualité.
Le Bulletin des agriculteurs a publié plus de mille fictions, de trois cents auteurs. Ces vingt-huit textes de Gabrielle Roy demeurent, à ma connaissance, le seul grand reportage.
Montréal, Gaspésie, Côte-Nord, Abitibi, Saguenay, Cantons de l’Est, les provinces de l’Ouest, Manitoba, Saskatchewan, Alberta, l’Alaska. Un grand reportage large.
Dans mon esprit, un nomade vit du nomadisme. Un parcours sans fin sur un territoire illimité, à la recherche de nourriture. Les Premières Nations ont été nomades pendant des dizaines de millénaires.
Les seuls nomades européens ont couru l’Amérique en compagnie de leurs guides autochtones. En 1680, 85 % des nouveaux arrivants Français prenaient le bois, dit l’anthropologue Serge Bouchard, dans le documentaire L’empreinte.
Ces nomades sont exclus du récit de Gabrielle Roy. Ses textes vivent dans le présent. Elle ne mentionne pas les presque deux cents ans de vie commune des Canadiens français et des Premières Nations.
En 1940, les réserves servent depuis longtemps d’enclos pour les communautés autochtones. De cela, pas un mot. Les reportages de Gabrielle Roy montrent le côté entrepreneur volontaire des colons européens.
La face éclairée de la médaille.
Dans Heureux les nomades, le nomade, c’est le colon. Il est parti de France pour s’installer au Québec. Des Iles-de-la-Madeleine pour l’Abitibi. Du Québec pour l’Alberta.
Le colon déménage. Est-il nomade pour autant? Plutôt un sédentaire des Iles cherchant à devenir un sédentaire en Abitibi.
Il nomade entre deux ancres, le temps d’un océan ou d’une forêt.
Le colon est à la recherche de grands espaces clôturés. L’autre côté de la clôture n’est pas chez lui. Il pense et vit dans un rectangle.
La première année, il défriche. Il bâtit sa maison. Deux ans plus tard, il vit de ses récoltes, de ses deux vaches et de son boeuf. Et, parfois, de ses voisins.
Dix-sept jeunes gens se sont associés en coopérative, écrit Gabrielle Roy. Les premiers arrivés, il y a trois ans, vécurent tout d’abord sous la tente, puis ils bâtirent leur maison en équipe. Plus tard, ils achetèrent en commun quelques animaux et, en commun, ils installèrent un petit moulin à scie (p.207).
Le nomade pense et vit dans un cercle. La lune, le soleil, la Terre mère, le ventre de la mère, le cycle des saisons.
Le nomade est arrivé à pied sur le continent.
Le colon, en bateau ou en avion.
Le nomade prend le bois.
Le colon prend racine.
Notre histoire est une rencontre entre colons Français et nomades autochtones.
Le nomade de Gabrielle Roy peut être désespéré, motivé par la recherche d’un monde meilleur. Il peut être naïf, mais certainement découvreur et entrepreneur. Il faut du caractère pour partir de Montréal pour monter une entreprise en Alberta.
Gabrielle Roy identifie les Ukrainiens et les Canadiens français comme les plus entrepreneurs.
Mon père est parti de Yamachiche à 18 ans. Il fuyait la pauvreté maudite.
Il est venu entreprendre à Montréal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire