samedi 23 août 2025

Le génie de la grotte

 

La grotte de Chauvet, en France, est la plus ancienne grotte d’art pariétal de l’humanité. 35 000 ans.


Des artistes ont gravé et peint des silhouettes de lionnes, de lions, de hiboux, rhinocéros, chevaux, rennes, mammouths laineux, d’aurochs et de bouquetins.


Grâce à un artiste Cro-Magnon, j’ai d’appris à quoi ressemblent un auroch et un bouquetin. Une phrase de trente cinq millénaires.


Cro-Magnon ou premiers Homo sapiens sapiens.


On compte environ trois cent cinquante grottes ornées dans le monde. Plus de la moitié se trouvent en France (merci Wiki).


Le temps n’a pas de prise sur l’humanité.


L’artiste a ajouté quelques humains, pas beaucoup. Et des centaines de mains en renversé.


Il est difficile de trouver plus belle expression humaine sur la planète.


Mes premières images montraient des animaux à la chasse.


Il y a trois cent cinquante siècles, un bison comptait quatre pattes. Les lions n’avaient pas de crinière et les lionnes chassaient le bison.


Plus tard, j’ai vu le documentaire Quand homo sapiens faisait son cinéma, co-réalisé par l’archéologue français Marc Azéma.


Une leçon de lecture de l’art pariétal.


La présentation débute par un bison à huit pattes.


Quatre pattes du début d’un mouvement et quatre de la fin du même mouvement. Il a beau être fixé sur la roche, le bison bouge.


L’artiste reproduit deux temps d’un mouvement. Le lecteur crée la séquence. S’il entend le son des sabots dans sa tête, nous voilà au cinéma muet avec son.


L’imaginaire est l’ancêtre de la technologie.


Dans un ordi, l’effet animé est saisissant. Des scènes de rut aux scènes de chasse.


Si j’avais huit pattes, je bougerais aussi.


L’image a précédé l’écrit de trente mille ans. Ça s’est passé il y a cinq mille ans, dans la ville d’Uruk, en Mésopotamie (Irak). L’écriture cunéiforme.


Il y a Marc Azéma le chercheur. Il observe sur le terrain. Il discute, lit, photographie.


Une observation peut prendre vingt ans avant de devenir une hypothèse. C’est court, vingt ans. Il y en a 1750 dans 35 000.


Observer, c’est organiser une nouvelle lecture.


La roche est l’ancêtre du papier.


Il y a Marc Azéma le communicateur. À la suite du documentaire, il écrit La préhistoire du cinéma, la version imprimée du film. J’y suis tombé comme dans une grotte.


Marc Azéma se donne les moyens de sortir l’art pariétal des grottes pour le diffuser dans nos écoles et nos salons.


Le documentaire et le livre donnent la parole à Iegor Reznikoff, anthropologue sonore. Il s’est posé une question: Y a-t-il une corrélation entre les emplacements des peintures dans la grotte et la qualité sonore?


La réponse est oui. Les endroits de la grotte contenant le plus de dessins sont aussi les plus intéressants du point de vue acoustique, dit-il.


La dessin à plat passe à la bande dessinée, au film muet 3D avec musique a capella, et presqu’au ciné-parc. Mais il y a plus.


On entre dans une grotte comme dans la tête de l’artiste. Sur les parois, des scènes quotidiennes de chasse, de spiritualité et d’humanités.


Une harde de lionnes poursuit un rhinocéros. La chasse occupe une bande dessinée sur deux panneaux. Le crâne offre plus d’espace qu’une grotte.


Dans cette scène, la quinzaine de corps d’animaux ne compte en tout que deux paires de pattes. Cela suffit pour créer l’illusion.


Lorsqu’il présente un tour, l’illusionniste Luc Langevin dit que l’imagination du public complète le geste amorcé par lui.


Le petit garçon est tout excité par ces histoires, alors que la lumière faiblit avant le spectacle.


L’hommage à Rosa Luxemburg, du peintre Jean-Paul Riopelle, mesure quarante mètres. C’est un peu notre grotte de Chauvet, au Musée national des beaux-arts du Québec.


Des oeuvres aussi parfaites ne peuvent avoir été réalisées en une seule fois. Il doit y avoir des grottes brouillons ailleurs.


Cela laisse à penser que de plus anciennes restent à découvrir.


Les pyramides à étages de Saqqarah, en Égypte, sont les premières au monde. Aujourd’hui, elles s’affaissent sous leur poids.


Elles ont probablement servi d’exemple pour la construction des pyramides de Gizeh. Deux millions de blocs pour atteindre la perfection.


Il devrait en être de même pour l’art pariétal.


C’était il y a 35 000 ans.


La séquence du film lance l’histoire.


Le public l’enrichit en se disant quelle belle soirée.


Et maintenant, allons dormir.





vendredi 15 août 2025

Heureux les nomades, et fin


Chargé de cargos, de chalands, de paquebots, de pétroliers, le Saint-Laurent quitte l’Île de Montréal au confluent de la rivière des Prairies. La rue Notre-Dame y entreprend le voyage qui la portera à travers la ville jusqu’à Lachine.


Est-Ouest est le second texte de l’ouvrage Heureux les nomades et autres reportages 1940-1945, de Gabrielle Roy. Il débute comme un dessin animé sur la Ville de Montréal.


Un dessin animé transforme un objet improbable en un sujet du verbe. La souris Mickey Mouse, de Walt Disney, pilote le bateau Steamboat Willie, sur le Mississippi, en 1928.


Le lecteur se laisse séduire par la proposition irréelle, et Mickey Mouse intègre sa culture.


Le Saint-Laurent quitte l’Île de Montréal au confluent de la rivière des Prairies.


La rue Notre-Dame y entreprend le voyage qui la portera à travers la ville jusqu’à Lachine.


Que s’est-il passé, suite à la rencontre des rues Sainte-Catherine et Peel?


Ces personnages sont en mouvement. Le fleuve devient un acteur. Il quitte toujours l’Ile de Montréal, et la rue Notre-Dame entreprend toujours un voyage, quatre-vingts ans plus tard.


Le support papier du Bulletin des agriculteurs est un écran. Je vois, j’entends le vent, la neige et les souffleuses. La fontaine ronde, au milieu du parc rectangulaire du Carré St-Louis.


L’Abitibi et ses gens.


Mais il y a plus.


Je range cet ouvrage à côté de ceux de l’anthropologue Serge Bouchard. Du groupe Kashtin et Florent Vollant. De l’historien Denys Delage. De l’anthropologue Rémi Savard. De l’avocat et auteur Cri Harold D. Johnson. Des cinéastes abénakises Alanis Obomsawin et Kim O’bomsawin. De l’aînée Innue Joséphine Bacon. Du cinéma autochtone Wakiponi. Et ainsi de suite. Je garnis les rayons de la nouvelle bibliothèque de mon histoire.


Il faut réécrire toute notre histoire, 15 livres et 15 films, dit Serge Bouchard dans le documentaire L’empreinte.


Des travaillants, du courage, des bâtisseurs. Du sang, de la sueur et des larmes, disait Winston Churchill.


Jamais de porteurs d’eau ni de petits pains.


Une révolution pas tranquille.


Plus un Canadien français est isolé là-bas (dans l’Ouest canadien), plus il se montre entreprenant, écrit Gabrielle Roy. C’est l’histoire de l’Écossais qui réussit à Londres, de l’Anglais aux Indes, de l’Irlandais à New York. Quand un Canadien français est seul de sa race dans un village de l’Ouest, il y occupe presque toujours un emploi marquant (p. 281).


Pour encourager son mari bûcheron dans le bois, sa dame l’accompagne. Quand je le voyais fatigué, dit-elle, prêt à se décourager, je lui disais: j’aurais jamais cru que tu étais aussi fort. Et il se redressait de toute sa taille et recommençait à bucher. (p.211).


Je n’ai jamais lu des propos aussi marquants à l’école.


Si nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple, comme disait le premier ministre René Lévesque, nous sommes peut-être aussi nés pour un gros pain.


La bibliothèque est prête, monsieur Bouchard.


Il reste à ouvrir les portes de l’école.





 

Heureux les nomades, suite

 

Je lisais Le peuple rieur, de l’anthropologue Serge Bouchard. Lorsqu’il a cité Heureux les nomades et autres reportages 1940-1945, de Gabrielle Roy, je me suis dit faut lire ça.


Durant cinq ans, la future romancière se fera journaliste. Laïque, en plus. Ce n’est pas un détail. Cinq ans de textes qui ne sentent pas le curé, dans les années 40, ça ne court pas les bulletins.


Cela veut dire que les faits journalistiques prennent le pas sur le style. Dans le cas de Gabrielle Roy, les faits et le style forment un couple.


Les faits ne peuvent contenir le talent. Cela donne des textes vivants, quatre-vingt ans plus tard.


J’imaginais Gabrielle Roy d’un siècle lointain et d’un autre pays, Winnipeg. Gris pâle sur gris gris. Elle porte probablement des jupes en laine, dont les plis soignés tombent en bas du genou.


Je découvre un texte unique. Pendant cinq ans, dont quatre au Québec, Gabrielle Roy arpente le pays, à la découverte de gens, d’espoirs, de géographies et d’humeurs. Sa plume se tient à fleur de peau des exils intérieurs.


Quel pays peut se vanter de compter dans sa besace une telle mémoire d’une telle plume?


Heureux les nomades fait référence aux colons qui venaient de partout pour aller n’importe où.


Je découvre une autre lecture de notre histoire. Elle est plus proche parente de celle racontée par Serge Bouchard que celle des curés.


Il y est question d’accent durable, d’occupation de territoires par les Canadiens français.


De force tranquille. Les Canadiens français donnent au pays un aspect permanent, de durée, un accent, oui vraiment, un accent éternel. De façon si normale, si peu belliqueuse, si peu comme une revanche, que le vieillard, en cette nuit d’été, regarde les étoiles et cherche à voir comment cela a pu se faire (p.384).


Le colon partage l’élégance du ton pour le dire.


Gabrielle Roy raconte une histoire d’horizons. Comme « Vers d’autres rives », le titre de mon ouvrage préféré du romancier Dany Laferrière.


Les rives de la Côte-Nord. De la Gaspésie, de l’Abitibi, des Cantons de l’Est, de l’Ouest canadien. D’ailleurs.


Des nomades explorateurs entrepreneurs. Trois pléonasmes en une phrase pas de verbe.


Et si notre histoire en était une d’explorateurs et d’entrepreneurs? Et si ces gens nés pour un petit pain étaient propriétaires de la boulangerie? Et les porteurs d’eau, de l’aqueduc?


Si la vie au Lac Saint-Jean traduit un trait du peuple canadien-français, écrit Gabrielle Roy, c’est bien l’habileté de conquérir une place au soleil par le défrichement plutôt que par le commerce (p.308).


Tu donnes au Canadien français une terre nouvelle, il la défriche et bâtit une maison.


La Révolution tranquille a été l’occasion de reprendre les clés de notre maison.


Il y a beaucoup d’affection dans le regard de la journaliste. Un soleil couchant sur la rosée du champ.


Le regard d’Héliodore Barbe, maire de La Conception de mon enfance. Il conservait des blocs de glace, couverts de bran de scie, dans une cabane, au mois d’août, pour les vendre aux touristes des campings.


Le regard de Joseph Saindon, un ancien maire. Épicier et barbier, son épicerie à l’ombre des arbres, derrière l’église. Il nous coupait les cheveux en brosse pour l’été.


De Jules et Juliette Therrien. Lui et sa pipe, dans son taxi Plymouth Fury noir 1963, quatre portes, ou au volant d’un autobus scolaire jaune.


Sa Juliette avait connu les camps de bucherons. Au petit matin, elle taillait la glace du lac pour la faire fondre en eau.


Elle nous recevait chez elle, pour le petit déjeuner, à l’époque où notre chalet n’était pas isolé. Elle cuisinait cent tartes au sucre en un avant-midi.


Son Jules se berçait en fumant sa pipe, pendant que sa Juliette nous servait. Quand arrivait le moment du crachoir, il ne ratait jamais son coup.


Un an après le décès de madame, papa a invité monsieur Therrien au chalet. Il a sorti une tarte au sucre du congélateur et la lui a offerte.


Armand Marier ne savait pas lire ni écrire mais parler aux chevaux. Il les appelait dans le champ, d’un bruit sec de bouche. Les jouaux le suivaient comme des moutons.


La peau plissée d’un visage évoque le passé. La douceur du regard, la nostalgie. Le brillant de l'oeil, le présent.


Ces gens étaient tous des enfants de la colonisation. Les nouveaux propriétaires du territoire volé aux Weskarinis (Innus).


Je doute que le curé Labelle le leur ait dit.