lundi 3 juin 2019

Born on the bayou


Je sais où est nulle part.

Le point bleu du GPS s’est arrêté en plein milieu de Bayou Road, à Breaux Bridge, Louisiana.

Nulle part, c’est ici.

À nulle part, il y a quelque chose.
À gauche, des maisons.
Tout droit, une lisière d’arbres.
À droite, des champs.
Derrière, le chemin du retour.
Ici, sur le point, l’asphalte de Bayou Rd. Encore un peu, je verrais une Jetta blanche.

Je dépasse nulle part et me rends à la lisière.

Voilà Champagne Cajun’s Swamp Tours. Une bâtisse en bois. Chez nous, on y vendrait des hot dogs.

La dame à l’accueil m’appelle Baby.

Dans une autre vie, elle s’appelait Lulu Carabine. Elle a été invitée par Lucky Luke à ouvrir un tripot à Dalton City. Elle fume le cigare en chantant.

Son mari Wallace fume le cigare en jouant du piano.

Madame Baby est fortement maquillée. Elle passe sa vie près des alligators et n’a pas peur des requins.

Pour une ballade de deux heures sur le bayou, vingt-cinq dollars par personne, payé en argent. Vingt-huit, par carte de crédit.

Son mari est assis à côté. Il fume le cigare et sourit avec ses yeux verts.

J’achète un Coke, un dollar cinquante. Le fils de madame, treize ans environ, va à la caisse. Je lui donne deux dollars. Il ouvre le tiroir, zieute la monnaie et me rend vingt-cinq sous.

It costs one dollar fifty. I gave you two dollarsJe parle sur le ton de celui qui aime les alligators. C’est le même ton qu’un prof qui aime les mathématiques.

Le garçon rezieute la monnaie et me rend trois vingt-cinq sous. J’en accepte deux.

Je fais quoi avec la canette vide? Tu la donnes à la dame dehors.

La dame est assise sur la galerie avec un homme. À eux deux, ils comptent six dents. Comme elles ne sont pas alignées, un sourire montrerait une seule rangée de dents.

Je n’ai jamais vu un alligator à trois dents.

La dame et son mari ramassent les canettes vides pour arrondir leurs fins de mois.

Tous ces gens portent des vêtements propres. Ils sourient sympathique.

Notre bateau à fond plat flotte dans quatre pouces d’eau. Ça fait du bien, les pouces, les milles, les Farenheit.

Notre guide Jimmy recommande de ne pas mettre les mains dans l’eau, à cause des dents. Ne pas toucher aux branches d’arbres, à cause des pattes. Les araignées.

Jimmy a les yeux bleus, le teint cuivré, la tresse de cheveux aux fesses et beaucoup d’excès dans son passé. Shawn Phillips, genre.

Jimmy est sorti de sa retraite pour travailler près des dents du bayou.
I capote here, dit-il dans ses mots.

Les bums sont toujours intéressants.

Un bayou est une forêt flottante, dit Jimmy.

Les plantes flottent. Les arbres sont plus hauts qu’ils n’y paraissent.

Celui-ci a cinq cents ans, dit Jimmy. Cet arbre est né quinze ans avant l’arrivée de Jacques Cartier chez nous.

Selon les vox pop de l’humoriste Guy Nantel, Jacques Cartier est arrivé à Montréal par le pont Champlain. Le vieux, pas le neu.

Vous marchez sur la verdure, vous coulez.

Sous l’eau, il y a 2 000 alligators. On ne sait pas combien de serpents.

C’est Jurassic Park.

C’est vous la proie.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire