La Fabrique culturelle, c’est le pays, chanté par Félix Leclerc.
Pour Félix, le pays est le territoire et l’imaginaire, affection et colère.
Le territoire est plus vaste que l’individu et l’imaginaire déborde
infiniment le territoire.
À 5h, le 11 août 2015, la Gaspésie de cap Bon ami passe entre chien
et loup. Sur un plateau avec la mer dans le dos, Martha Wainwright s’apprête à
chanter Traveller. Elle berce une
centaine de personnes assises sur le gazon, des vapeurs d’oreiller dans les
cheveux. La Fabrique culturelle en a fait un très joli film. Je suis dans mon
pays devant mon ordi.
La Fabrique culturelle, c’est une belle et une bonne idée. Filmer ce
qui se passe dans le pays de nous autres et le dire à tous via le web. Ici, les
régions sont aussi belles que la grande ville. Dans une ruelle de Montréal, on
ne chante pas une chanson avec la mer dans le dos. L’imaginaire a le territoire
large.
La culture, c’est la manière de faire, et de la répéter. D’une génération
à l’autre, nous refaisons ce que nos vieux ont fait de la même manière avant
nous. Ça se passe dans une crique, sur un plateau, ou au 2001 rue St-Laurent.
Vendredi dernier, à la porte du Centre autochtone de Montréal, au
2001 rue St-Laurent, mon ami Jean-Pierre et moi croisons une connaissance de
Jean-Pierre, Matthewsi, Inuit de Kuujjuaq. Il mendie à Montréal durant l’été
pour chasser l’ennui. L’hiver, il remonte dans le grand nord. La culture de
l’itinérance se renouvelle devant nos yeux.
La culture se conjugue au présent et l’addition des présents donne un
contour au pays.
La culture consiste aussi à la raconter. Nos conteurs ont forgé des
légendes autour de faiseux et de violoneux. Un faiseux, c’est quelqu’un qui
faize. La Fabrique culturelle rencontre les faiseux sur place. Ils faizent des
revues, des toiles, des danses, du jazz. La manière de la Fabrique est partout
la même, écouter parler.
Dans un film de Wapikoni mobile, on ne dit pas où nous sommes, ni
avec qui. Nous sommes dans la nuit, en direction d’une crique et d’un bateau de
pêche. Le jeune homme monte à bord. Il reproduit la culture de pêche Micmac, avec
des gens qu’il ne connaît pas. Je le sais parce qu’il le chante dans un rythme de
rap. Une pêche au crabe à Gesgapegiag, là
où la rivière s’élargit. Je comprends la langue Micmac, je lis Gaspésie.
D’une génération à l’autre depuis des millénaires, nous racontons
les mêmes thèmes. L’amour, la haine, l’envie, la guerre, l’amitié. Ce qui
change d’une génération à l’autre, c’est la manière de raconter. Xavier Dolan a
l’air tout neuf avec son premier film, J’ai
tué ma mère. Pourtant, les conflits entre un garçon et sa mère existent
depuis que les mères ont des garçons.
Il faut travailler fort pour bien raconter une histoire. Faire en sorte
que l’ensemble coule de source. La caméra et le micro sont mes yeux et mes
oreilles. La Fabrique me berce, comme Martha.
Lorsque Félix a chanté le pays, il a mis de vieux mots dans un
nouvel ordre, une image élargie. La Fabrique culturelle écrit le pays à sa
façon, en montrant pour la première fois comment nous reproduisons les vieux
avant nous. C’est le verbe aimer.
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