Leonard
Cohen est entré chez moi deux mois avant sa mort. Il a passé le reste de ma vie
dans les rues de Montréal.
La musique
de Leonard Cohen ne jouait pas à la maison.
Ma sœur ainée était de l’époque des boites à chansons, Brel, Ferland, Félix,
les Cailloux, Johnny Hallyday (je n’ai jamais compris ce qu’il faisait là). Mon
frère m’a fait connaître Jimi Hendrix, The Doors, The Who. Moi, j’étais
Beatles, Led Zeppelin, Jethro Tull, 10cc, King Crimson, Emerson, Lake and
Palmer, Johnny Winter, Crosby, Stills, Nash and Young, Deep Purple, Procol
Harum, Dionysos, Plume et compagnie.
C’était
joli, So long Maria-a-a-a-nne, mais
je m’ennuyais profondément, manque d’électricité.
Leonard
Cohen a donc passé une grande partie de ma vie à exister dans les rues de la
ville. Je savais qu’il était apprécié ailleurs, la rumeur me donnait des
nouvelles une fois de temps en temps. J’étais fier.
En allant au
restaurant portugais Doval, je passais sur la rue Marie-Anne, près de sa maison
autour du parc du Portugal. Celle-là ou celle-là, personne ne savait trop.
Ceux et
celles qui savaient, gardaient le secret, comme si on avait voulu préserver l'anonymat,
en signe d'affection. Un peu comme le romancier Réjean Ducharme, tout le monde
en parle, tout le monde sait qu'il existe, personne ne sait où. Certains
monuments sont préservés par une complicité communautaire.
Et puis, il
y a deux mois, Leonard Cohen est entré chez moi par la grande fenêtre, Mesdames
et messieurs, Leonard Cohen, un documentaire de l’ONF. Une tonne de briques.
Leonard
Cohen fait des lectures publiques de sa poésie. Ses mots datent de 1965. Cohen est
dans la jeune trentaine. Il parle et la foule rit, s'extasie. Ses mots sonnent comme des éditoriaux, un vrai coup de masse. C’était
l’époque où il louait une chambre d’hôtel 3$ par jour. Un billet d’autobus
coûtait 8 sous.
Un animateur
de télévision demande How can you be a
good poet and not being worried about something? Réponse : I am bothered when I get up in the morning.
My real concern is to discover whether or
not I am in a state of grace. If I’m not in a state of grace, I try to go to
bed.
Un gars qui
voit ainsi la vie n’interprète pas un pot de moutarde comme vous et moi.
Cohen est un
oiseau de nuit. Refuser de dormir est le premier geste de rébellion. Le Ben’s deli, angle de Maisonneuve et
Metcalfe, est un repaire de rebelles. En 1965, Montréal n’en compte que
quelques-uns. Le rebelle garde les yeux ouverts pendant que la masse ferme les
siens.
Pour écrire
une grande œuvre, il suffit d’un regard, d’une feuille de papier et d’un crayon
à mine. L’auteur passe sa vie à faire des allers et retours entre les trois. Nous
devrions rebaptiser cette rue So long
Marianne.
Lorsqu’il
est allé à Cuba durant l’attaque américaine de la Baie des cochons, en 1961,
Cohen se battait des deux côtés à la fois.
J’étais intéressé par la violence. Cohen
est ce genre de gars qui te dit lorsque tu arriveras à la fourche, prends-là.
Ce n’était
pas sa voix et sa musique. C’était ses mots et son assurance.
On se lasse à
la longue de la vulgarité et de la vomissure. À preuve, la dernière campagne
électorale américaine. On ne se lasse jamais de l’inspiration. J’ai regardé Mesdames
et messieurs, Leonard Cohen trois fois, et une
quatrième pour trouver une phrase.
Dans un
salon, Leonard Cohen joue de la guitare. Le son de la première corde, le mi,
est un peu bas. Cohen ne l’ajuste pas. Il n’y a rien de pire que d’être accordé
pour rentrer dans le rang.
Merci Luc.
RépondreSupprimer"Going home
Without my sorrow
Going home
Sometime tomorrow
Going home
To where it's better
Than before
Going home
Without my burden
Going home
Behind the curtain
Going home
Without the costume
That I wore" ------ Leonard Cohen, "Going Home" (album: Old Ideas, 2012) http://www.youtube.com/watch?v=U6jvfSBZvn8