mercredi 16 novembre 2016

Leonard Cohen




Leonard Cohen est entré chez moi deux mois avant sa mort. Il a passé le reste de ma vie dans les rues de Montréal.

La musique de Leonard Cohen ne jouait pas à la maison. Ma sœur ainée était de l’époque des boites à chansons, Brel, Ferland, Félix, les Cailloux, Johnny Hallyday (je n’ai jamais compris ce qu’il faisait là). Mon frère m’a fait connaître Jimi Hendrix, The Doors, The Who. Moi, j’étais Beatles, Led Zeppelin, Jethro Tull, 10cc, King Crimson, Emerson, Lake and Palmer, Johnny Winter, Crosby, Stills, Nash and Young, Deep Purple, Procol Harum, Dionysos, Plume et compagnie.

C’était joli, So long Maria-a-a-a-nne, mais je m’ennuyais profondément, manque d’électricité.

Leonard Cohen a donc passé une grande partie de ma vie à exister dans les rues de la ville. Je savais qu’il était apprécié ailleurs, la rumeur me donnait des nouvelles une fois de temps en temps. J’étais fier.

En allant au restaurant portugais Doval, je passais sur la rue Marie-Anne, près de sa maison autour du parc du Portugal. Celle-là ou celle-là, personne ne savait trop.

Ceux et celles qui savaient, gardaient le secret, comme si on avait voulu préserver l'anonymat, en signe d'affection. Un peu comme le romancier Réjean Ducharme, tout le monde en parle, tout le monde sait qu'il existe, personne ne sait où. Certains monuments sont préservés par une complicité communautaire.

Et puis, il y a deux mois, Leonard Cohen est entré chez moi par la grande fenêtre, Mesdames et messieurs, Leonard Cohen, un documentaire de l’ONF. Une tonne de briques.

Leonard Cohen fait des lectures publiques de sa poésie. Ses mots datent de 1965. Cohen est dans la jeune trentaine. Il parle et la foule rit, s'extasie. Ses mots sonnent comme des éditoriaux, un vrai coup de masse. C’était l’époque où il louait une chambre d’hôtel 3$ par jour. Un billet d’autobus coûtait 8 sous.

Un animateur de télévision demande How can you be a good poet and not being worried about something? Réponse : I am bothered when I get up in the morning. My real concern is to discover whether or not I am in a state of grace. If I’m not in a state of grace, I try to go to bed.

Un gars qui voit ainsi la vie n’interprète pas un pot de moutarde comme vous et moi.

Cohen est un oiseau de nuit. Refuser de dormir est le premier geste de rébellion. Le Ben’s deli, angle de Maisonneuve et Metcalfe, est un repaire de rebelles. En 1965, Montréal n’en compte que quelques-uns. Le rebelle garde les yeux ouverts pendant que la masse ferme les siens.

Pour écrire une grande œuvre, il suffit d’un regard, d’une feuille de papier et d’un crayon à mine. L’auteur passe sa vie à faire des allers et retours entre les trois. Nous devrions rebaptiser cette rue So long Marianne.

Lorsqu’il est allé à Cuba durant l’attaque américaine de la Baie des cochons, en 1961, Cohen se battait des deux côtés à la fois. J’étais intéressé par la violence. Cohen est ce genre de gars qui te dit lorsque tu arriveras à la fourche, prends-là.

Ce n’était pas sa voix et sa musique. C’était ses mots et son assurance.

On se lasse à la longue de la vulgarité et de la vomissure. À preuve, la dernière campagne électorale américaine. On ne se lasse jamais de l’inspiration. J’ai regardé Mesdames et messieurs, Leonard Cohen trois fois, et une quatrième pour trouver une phrase.

Dans un salon, Leonard Cohen joue de la guitare. Le son de la première corde, le mi, est un peu bas. Cohen ne l’ajuste pas. Il n’y a rien de pire que d’être accordé pour rentrer dans le rang.




1 commentaire:

  1. Merci Luc.

    "Going home
    Without my sorrow
    Going home
    Sometime tomorrow
    Going home
    To where it's better
    Than before

    Going home
    Without my burden
    Going home
    Behind the curtain
    Going home
    Without the costume
    That I wore" ------ Leonard Cohen, "Going Home" (album: Old Ideas, 2012) http://www.youtube.com/watch?v=U6jvfSBZvn8

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