samedi 2 avril 2016

Rouler la nuit





Deuux zeures du maa tin, le chanteur Pierre Bertrand a l’air heureux. Il y a effectivement un certain bonheur à rouler la nuit. Sous la voix, le son sec d'un baton frappant le rebord métallique d'une caisse de batterie. Il bat le temps, les lignes blanches sous la voiture.

Pour imiter le son sec, vous placez la langue sur le palais et vous faites claquer. Il se peut que, après quelques claquements, le son devienne moite. La salive ne suit pas la cadence. C’est comme si le bâton frappait un bout de bois mouillé, le son circule moins bien.

Je rentre de Trois-Rivières sur la 40, après avoir donné un cours à l'Université du Québec, un quart cuisse, frites, traditionnelle, et une pinte de houblon. Les lignes blanches défilent parfois au rythme de la voix à la radio. C’est le côté ludique de la route.

Un soir, une Jeep Cherokee me suit jusqu’à Montréal. Nous sommes une courte caravane, des frères de nuit solidaires.

Rouler la nuit, c’est Willie Lamothe chantant mille après mille, je m’ennuie. C’est le cheval Jolly Jumper emmenant Lucky Luke vers le soleil, I’m a poor lonesome cowboy. C’est Charlot marchant vers son avenir à la fin du film. C’est John Lennon, Nowhere man, sitting in his nowhere land, making all his nowhere plans for nobody. C’est un aveugle newyorkais qui passe ses vacances au Québec. Rouler la nuit, c'est aussi la plus belle chanson de Beau Dommage.

Tout dans cette chanson fait nuit. Le bonheur de Pierre Bertrand, le son sec, la guitare électrique, légèrement brumeuse. On ne veut pas réveiller le voisin. On dirait que ces paroles ne peuvent qu’être chantées. Si elles ne le sont pas, vous ratez la moitié du voyage.

C’est comme la chanson The Boxer, de Simon and Garfunkel. I am just a poor boy. Deux guitares acoustiques, deux voix d’ados heureux. When I was so lonesome, I took some comfort there, une berceuse pour itinérants. The Boxer ne se chante pas, elle se voyage.

Si vous jouez de la guitare acoustique dehors, attendez le noir, à l’heure d’entre chien et loup. La nuit, le son porte, l’humidité se fait complice pour le diffuser vers le plus grand nombre.

Prenez le Deuxième lac Rondeau, à St-Zénon, dans Lanaudière. Vous chuchotez, l’eau emporte votre secret chez les voisins. Pas moyen de pêcher une truite sans que tout le monde ne le sache.

Chaque fois que je vais à St-Zénon, mon ami Jean-Pierre sort sa chaloupe et nous allons faire un tour. C’est notre concert annuel, une guitare pour deux. L’eau du lac sert de fil conducteur aux cinq chalets voisins.

Rouler la nuit est une histoire d’amour sur une route en coton. Pierre Huet a écrit cette chanson pour dire qu’il n’est pas seul quand il est seul.





2 commentaires:

  1. Wow j'ai vécu les Sunset Cruize sur le deuxième Lac Rondeau - décidément bien plus beau qu'à télé pis sur internet - mais là avec une guitare en plus, à vivre, à vivre...En passant, moi quand JP n'est pas là, c'est pas pcq je ne suis pas capable d'en pogner des truites, c'est pcq je ne veux pas déranger les voisins :-) Merci de justifier mon honneur Luc...

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  2. Mon simonaque de Panneton, toé... Purée que t'écris bien.

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