Le plan est très bref, une seconde et demie,
deux secondes. Quelque part à Ryad, en Arabie Saoudite, le bras d’un homme frappe
à la tête une femme entièrement voilée. Il ne frappe pas, il varge. En termes
québécois, il lui en ramène une maudite. La femme tombe.
Dans mon salon, à 10 171 kilomètres de là,
je reçois le choc en plein corps. Ce n’est pas le niqab ni la religion. C’est
la femme et l’animal. L’animal vient de signifier à la femme c’est qui le boss.
La scène va me suivre durant tout le
document de 54 minutes, Saudi Arabia
Uncovered, un documentaire diffusé sur les ondes de la chaine publique
américaine PBS. Je l’ai en tête depuis. Cette femme est ma sœur.
Je n’ai jamais frappé ainsi un chien, une
vache ou un cheval, un homme ou une femme. J’ai peut-être déjà frappé une pièce
d’équipement de tracteur pour la fixer, ou un poteau de bois sur une structure.
Mais en travaillant, il n’y a pas ce sentiment de rage et de volonté de
domination.
Seule une société de barbares peut laisser dominer
en toute impunité une femme par un animal. Cela se passe dans un lieu public. Personne
n’a sorti de laisse pour attacher l’enragé, l’animal est en liberté.
Ce geste résume la politique intérieure de
l’Arabie Saoudite. Si vous dites la vérité sur un blogue, si vous manifestez en
faveur d’une ouverture du régime, si vous les femmes conduisez une auto, si vous
les jeunes jouez de la musique dans la rue, vous serez frappés.
Pour convaincre les gens, la police dispose
de véhicules blindés noir mat. Le bras armé du régime. Ces
véhicules intimident, dispersent et tuent. Ils servent aussi à se sauver en
toute impunité. On ne peut tenir un blindé attaché à une laisse.
Dans tous les cas, les manifestants sont à
découvert dans la rue, avec leurs pierres. Les militaires sont cachés derrière
des voiles d’acier noir mat. La différence entre les militaires et les femmes,
c’est les couilles.
Je suggère que les jeeps canadiens, construits
pour l’Arabie saoudite par la General Dynamics Land Systems, à London, Ontario,
seront noir mat.
Ce geste résume la politique extérieure de
l’Arabie Saoudite. Lorsque Mohammed Ben Nayef, prince héritier et ministre de
l’Intérieur, exige de recevoir la Légion d’honneur française, le président français
François Hollande se met à genoux et la lui donne. Il dit venez par ici, nous
serons plus à l’aise dans ce petit salon.
Il y a une grande marge entre donner et
décerner. Décerner est prestigieux. En Arabie Saoudite, la lacheté est blindée.
En France, elle tient dans un petit salon. Ici, elle se cache derrière le
respect de la signature d’un contrat conservateur.
Ce geste est peut-être le battement d’aile
d’un papillon. À la longue, le petit déplacement d’air pourrait devenir un
ouragan. Les femmes conduisent des voitures, se présentent aux élections et
balaient le régime.
Je ne connais pas grand chose en matière de
politique étrangère. J’ai eu l’impression en voyant ce document que l’Arabie
Saoudite va exploser. La tension est trop grande.
La femme va se relever. Elle doit rentrer
chez elle, il lui reste un homme à élever.
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