J'ai piqué le titre de Pierre Christin et Enki Bilal.
Leur vaisseau de pierre, c'est le village breton de Trehoët, qui décide de
lever le camp, pour éviter l'invasion de promoteurs immobiliers. Les villageois
emportent avec eux toutes leurs racines, le château, les maisons, le cimetière,
les ancêtres.
Mon vaisseau de pierre, c'est la vieille ville de Québec.
J'y suis allé très souvent, mais jamais comme hier soir. Dans l'hiver, il
ventait à écorner les boeufs. Un vent pas normal. Un vent qui vient te chercher
pour t’emmener par-dessus bord. Je me sentais sur un bateau. Pas un endroit
dans les rues, le long des murs, pas un recoin qui n'échappe au vent.
Sur la terrasse Dufferin, le vent tombe comme des masses
d'eau. Il dispose d’un immense espace pour prendre son élan. Il sent le fleuve.
La dernière fois que j'ai senti un tel vent, c'était à
Niamey, au Niger. Il était poussé par l’espace du Sahara. Son poids
transformait les arbres en pierre, avant qu'ils ne tombent en poussière.
Dans 1000 ans, j’imagine que le vent aura patiné les murs
de Québec. Les pierres arrondies de la grande façade offriront de nouvelles
courbes aux yeux des visiteurs, comme des sculptures inuit. Ce sera la courbe
de l'érosion, un compromis entre la pierre et l’environnement.
La courbe de la pierre donnera à la ville de Québec un
look autochtone, comme un retour de l’histoire. Il faut savoir que la rencontre
des autochtones et des Français relève des mathématiques. C'est la rencontre du
consensus et de la pyramide, du cercle et du triangle. Dans mon esprit, la
pyramide entre dans le cercle et pas l'inverse. La courbe est le devenir de la
droite.
Je n'ai jamais compris de quoi aux mathématiques, jusqu'à
ce que je lise que l'algèbre enseigne les égalités et la géométrie, les
inégalités. La formule serait du philosophe français Michel Foucault. J'ai eu
l'impression ce jour-là de tout comprendre des mathématiques.
L'inégalité est la plus prometteuse. Elle est le
fondement même de la justice. Chez les autochtones, la notion de justice est
communautaire, le consensus suit la forme du cercle. L'inégalité, c'est la
couette qui dépasse. C'est le rebelle qui alimente toute la littérature. L'inégalité
est vivante et la beauté est courbe.
Voyez le magnifique édifice au nom laid de Musée canadien
de l'histoire, à Gatineau. Ses courbes sont sorties tout droit de la pensée
autochtone. Il portait avant le nom de civilisation, tellement mieux adapté à
son architecture.
Québec est un joyau de la Couronne dans un écrin de
pierre. Avec ses nouvelles courbes, elle deviendrait plus érotique, car
l'érotisme est la cousine de l'érosion. L’érosion enlève le superflu pour aller
à l’essentiel.
Les courbes sont les réponses de la nature aux travaux de
l'homme. Y a des jours de plaines, dans les nuages, on voit la mer, chante
Daniel Lavoie. Il aurait aussi pu dire dans la pierre, il y a le vent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire