Peut-on être le descendant d’un bout
de terrain? Une clairière peut-elle être mon ancêtre?
Vous débarquez pour la première fois
sur un continent. En fait, vous êtes le premier étranger sérieux à débarquer
sur ce continent, vous voulez faire la différence. Vous avez un projet en tête,
fonder une Nouvelle-France. Vous ne voulez surtout pas refaire les mêmes
erreurs que vos compatriotes Français, Hollandais et Espagnols, ceux qui ont
systématiquement massacré les premiers résidants du continent. Comme vous avez été
bien élevé, vous traitez ces compatriotes d’idiots, mais dans votre tête.
Bref, vous vous pointez chez les
Amérindiens, sans haine, sans armes et sans violence, sur un plateau surélevé
devant le fleuve. Il porte aujourd’hui le nom de Pointe aux Alouettes, à Baie
Ste-Catherine, tout près de Tadoussac. Coup de pot, vous débarquez dans une
grande réunion de nations amérindiennes. La table est grande et les esprits,
ouverts. Vous demandez au chef amérindien Anadabijou la permission de vous
installer sur ses terres. Et by the way, chef, nous voulons vivre en paix, nous
autres, la chicane, pas vraiment. Ça tombe bien, Anadabijou n’aime pas la
chicane. Il dit ok et by the way, comme vous dites, si vous voulez marier nos
femmes, c’est good.
Ça s’est passé le mardi 27 mai 1603.
Le lendemain, la nouvelle fait la une de tous les journaux: Champlain inaugure un pont.
L’idée, en gros, visait à développer
une “colonie” dans la paix, d’abord parce que c’est plus le fun, mais aussi parce
qu’il n’est pas évident de construire une maison un fusil dans les mains. À la
limite, même la guerre servira la paix.
On se retrouve donc devant un monde
immense, et deux manières de voir. Une est basée sur la propriété, je prends possession
de ces terres au nom de mon roi; l’autre, sur la liberté, la terre est ma mère,
l’arbre est mon frère et la lune, ma lumière.
L’entente, appelée la Grande Alliance,
mettra la table à 160 ans de vie commune sous le signe de l’ouverture. Un
paquet de Français a pris le bord du bois pour devenir coureurs et amérindiens.
Nous allons apprendre le consensus, la solidarité, l’égalité collective, la
liberté des bois, la beauté des courbes. Mon ADN culturel est teinté de ces
couleurs. Quand je sors mon bâton de hockey, c’est l’indien qui va jouer
dehors.
On apprend beaucoup de choses en 160
ans. Lundi. Viens, je vais te montrer comment naviguer en canot. Mardi. Regarde,
ça s’appelle un fusil, ce soir, on mange de l’ours. Mercredi. Les Tremblay font
goûter leurs tourtières aux Obumsawin. Jeudi. Les Obumsawin initient les
Tremblay à une épluchette de blé d’Inde. Même pas une semaine de faite.
Et quand un adulte fait une grosse
gaffe, la communauté se réunit pour décider le consensus du châtiment. Des manières
de faire qui sont entrées une à une dans notre hérédité. C’est la rencontre
entre le cercle de l’amérindien et la pyramide du Français. Une forme de
mimétisme de bon voisinage pour un futur ADN culturel.
La culture, c’est la manière de
faire les choses. Lorsque l’immigrant arrive du Liban avec son shish taouk, il nous
montre une nouvelle façon de parler poulet. Le sien est mariné, épicé, coupé en
tranches et grillé. C’est du poulet comme le mien, préparé autrement. Son
poulet entre chez moi et je deviens un peu libanais.
Causer shisk taouk au comptoir chez
Adonis, ça veut dire que votre vie se porte bien. Ici, c’est autre chose. Il
faut bâtir des maisons au plus sacrant, en espérant que nous ne mourrons pas de
froid et qu’il y aura assez de castors pour tout le monde.
L’enjeu de cette toute première
rencontre est la terre. On la voit comment, la terre, on la traite comment? Pourtant, la terre n’est pas assise autour de la table
lors des discussions.
La différence entre l’homme et la
terre, c’est que la terre va plus loin que l’horizon. Là où la vue de l’homme
arrête, débute un horizon nouveau. Comme la Terre est ronde, les horizons sont
infinis. Pour pallier à la chose, l’homme a développé une astuce. Si la vue est
limitée, la vision n’a pas de fin.
La Pointe aux Alouettes est un bois.
Nos ancêtres ont laissé l’endroit propre, la clairière est devenue forêt. Autour
du feu, les arbres parlent français, montagnais, abénaquis et algonquin. Tout
le monde se comprend.
Je suis un peu libanais, un peu bagel,
pas mal anglo-saxon, pas mal italien, un peu Schwartz’s, assez africain, américain,
portugais, Français en façade seulement. Je suis aussi pas mal plus amérindien
que je ne le pensais. C’est ma révélation 2015. Les chevaux sont lachés.
Je fais mes premiers pas sur le
terrain où je suis né. C’est le seul partenaire de cette soirée encore vivant.
Le reste fait partie de notre mémoire. Je marche dans notre chair, il y a
quelque chose de noble chez nous.
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