Faut-il abandonner l'écriture cursive, à l'ère du
numérique? Faut-il délaisser le stylo au profit du clavier? L’édition de mai du
magazine L'Actualité pose la question.
Le débat est neuf, mais la question est une vieille récurrente.
En 1980, dans mon dernier cours de bac à l’UQAM, le prof
Bernard Schiele nous a causé de technologies. La mise au point automatique d’un
appareil photo est le résultat du croisement du radar et de la photographie.
Dorénavant, chaque boitier photo est équipé d'un radar. Il mesure la distance
du sujet et facilite la vie du photographe. Je n'ai plus besoin de savoir
comment faire la mise au point manuellement, la caméra la fait à ma place. Ce
savoir, autrefois le mien, est devenu le sien.
Avec le temps, les caméras sont devenues automatiques et
numériques. Les savoirs ayant trait à la vitesse d'obturation et la profondeur
de champ ont été transférés de mon cerveau au boitier. Avant, je pouvais
orienter le contenu de la photo en fonction de la sensibilité du film, de
l'ouverture du diaphragme et de la vitesse. Aujourd'hui, je ne suis pas tenu de
le savoir, toutes ces opérations se font automatiquement. De la même façon, l'écriture
cursive pourrait disparaître au profit du clavier.
De tous temps, nous avons écrit avec des produits
minéraux ou acides, de la mine de plomb ou d’argent, de l’encre ou du graphite
(merci Wiki). Nos moyens d’écriture étaient d’origines naturelles. Pour la
première fois, l’écriture sera générée par une impulsion électrique. Pour la
première fois, nous serons tous égaux dans le pareil.
Le psychologue suisse Jean Piaget était le grand
spécialiste du développement de l'enfant. Il a écrit que ce que nous montrons à
l'enfant, nous l'empêchons de l'apprendre par lui-même. Piaget valorisait le développement
de l’enfant par le savoir.
Or, le développement de la technologie procède exactement
de l'inverse. Ce que l'enfant aurait pu savoir n'est plus utile, sa caméra ou
son ordinateur le sait à sa place. Il n'a plus besoin de passer des heures à la
bibliothèque pour fouiner dans les livres, à la recherche d'informations pour
un travail de session. Sur le sujet travail
de session, Google va trouver 70 700 000 documents en 0,00070700000
seconde. Les commandes couper et coller feront le reste. A défaut de savoir
écrire, je sais taper.
La technologie permet ainsi de gigantesques déplacements
de savoirs. Ainsi, pour calculer une taxe de 15% sur un montant de 100$, plus
besoin de cours de mathématiques, une calculatrice suffit. Au lieu de savoir, je vais savoir comment. Je n’ai qu’à apprendre quelles touches utiliser
pour faire le calcul. Pour creuser un trou dans le sol, pas besoin de savoir
manier une pelle, je dois savoir comment manoeuvrer le tracteur.
Nous passerons de savants à gestionnaires de technologies,
d’applications et de logiciels. Nous gérerons ce qu’eux savent. Et pour écrire,
un clavier suffira. On ne dira plus que j'écris bien ou que ma calligraphie est
belle. On dira plutôt que j'ai une belle typo, helvetica, arial ou copperplate.
Le dictionnaire Robert cédera sa place à la correction automatique du logiciel
Word, et ainsi de suite. Cela s’appelle le changement.
La vraie quesion n’est pas de savoir si nous devons
passer du stylo au clavier. La vraie question est de savoir par quoi sera
comblé ce que je ne saurai plus, une soif d’apprendre ou de la paresse ?
Si tout va bien, d'ici une génération ou deux, nous
serons tous claviers. Les stylos Parker, Sheaffer, Bic et Mont Blanc seront exposés
dans les musées. Le plus grand ennemi du savoir ne sera pas l’ignorance, mais la
panne d'électricité.
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